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Dossier no P-3044-27 (TATC)
Dossier no 5802-796935 (MdT)

TRIBUNAL D'APPEL DES TRANSPORTS DU CANADA

ENTRE :

Shannon Theresa Lanning, requérant(e)

- et -

Ministre des Transports, intimé(e)

LÉGISLATION:
Loi sur l'aéronautique, L.R.C. 1985, c. A-2, art. 6.71


Décision à la suite d'une révision
Sandra Lloyd


Décision : le 1er février 2005

TRADUCTION

Je considère que le ministre a refusé de délivrer une licence de pilote privé à la requérante conformément à son pouvoir de le faire en vertu de l'article 6.71 de la Loi sur l'aéronautique. Je confirme donc la décision du ministre du 20 juillet 2004, de refuser de délivrer une licence de pilote privé à la requérante.

Une audience en révision relative à l'affaire en rubrique a été tenue le jeudi 13 janvier 2005 à 10 h dans les bureaux de Premiere Verbatim Reporting, salle Discovery, à Victoria (Colombie-Britannique).

HISTORIQUE

Par lettre en date du 20 juillet 2004, Transports Canada a refusé de délivrer une licence de pilote privé à la requérante, Mme Lanning, parce qu'elle ne respectait pas l'exigence relative au vol-voyage long en solo mentionnée au sous-alinéa 421.26(4)b)(ii) des Normes de délivrance des licences et de formation du personnel relatives aux permis, licences et qualifications de membre d'équipage de conduite (Normes). Plus précisément, le ministre a allégué que la requérante n'avait pas effectué deux atterrissages suivis d'arrêt complet lors d'un vol-voyage.

La requérante avait fait une demande de licence de pilote privé, le 16 juin 2004. Le dossier de formation du pilote de la requérante démontre que le 9 juillet 2003, elle a effectué un vol voyage en solo aller-retour de Victoria à Campbell River. Le 16 juillet 2003, elle a effectué un vol aller-retour de Victoria à Nanaimo. De l'avis de la requérante, elle avait ainsi respecté les exigences de la Norme 421.26(4)b)(ii) et deux atterrissages suivis d'un arrêt complet avaient été effectués (à Campbell River et à Nanaimo), en dépit du fait qu'ils avaient été faits lors de deux voyages différents.

En vertu de l'article 6.72 de la Loi sur l'aéronautique, la requérante a demandé une révision du refus du ministre de lui délivrer une licence.

LA PREUVE

Transports Canada a appelé un témoin, M. John Milligan, surintendant, Surveillance de la sécurité - Opérations, pour le compte de Transports Canada, Aviation civile, à Vancouver. À ce titre, M. Milligan supervise la formation des pilotes. De plus, il est pilote d'avion de ligne et il possède une qualification d'instructeur classe 1. Il compte 13 années d'expérience dans le domaine de l'aviation, dont 11 années au service de Transports Canada. Je l'ai accepté à titre d'expert en formation de pilote.

M. Milligan a expliqué le dossier de formation du pilote de la requérante en ce qui a trait aux vols-voyage de juillet 2003.

En contre-interrogatoire, M. Milligan a dit que le Règlement de l'aviation canadien (RAC) ne contenait aucune définition de « vol » mais il a déclaré qu'à son point de vue, un vol, conformément à la Norme 421.26(4)b)(ii), doit avoir lieu dans une même journée. À son avis, un vol-voyage se doit d'être une série de vols consécutifs. Normalement, on peut s'attendre à un vol de trois tronçons dans une même journée, à moins qu'une personne ne s'envole pour un voyage prolongé. Il a dit que son interprétation correspondait aux normes de l'industrie. Il a toutefois admis qu'à sa connaissance, les gestes de la requérante n'avaient compromis aucun élément de sécurité.

Mme Lanning a témoigné en son propre nom. Elle a décrit son vol-voyage du 9 juillet 2003. Elle a dit que dès son arrivée à Campbell River, elle est entrée dans l'aérogare. Lorsqu'elle a tenté de retourner à son aéronef, la barrière de l'aire de trafic était verrouillée et il a fallu 30 minutes pour trouver quelqu'un qui pourrait déverrouiller la barrière pour elle. Elle a trouvé l'expérience agaçante. Selon son témoignage, en approchant de Nanaimo, elle écoutait la radio et elle a constaté que l'aéroport était encombré. Elle se sentait incapable d'envisager un autre atterrissage. Elle avait peur de faire des erreurs et a pensé qu'il pouvait y avoir un risque d'accident si elle tentait d'atterrir à Nanaimo. Elle a donc décidé de contourner Nanaimo et d'aller atterrir à Victoria.

En contre-interrogatoire, Mme Lanning a dit que lorsque sa demande de licence de pilote privé a été refusée, elle a parlé à Transports Canada et elle a obtenu un permis de pilote de loisir. Par la suite, elle a effectué un autre vol-voyage, à partir de Victoria avec des atterrissages à Qualicum et à Nanaimo et elle a obtenu sa licence de pilote privée.

PLAIDOIRIES

Au nom du ministre des Transports, M. Dixon a plaidé qu'un « vol » ne se prolonge pas au-delà du retour à l'aéroport de départ. Il a plaidé que si ce n'était pas le cas, on pourrait prétendre que l'ensemble des 45 heures d'un demandeur de licence de pilote privé soit considéré comme un « vol ». Il estime que le RAC exige qu'un demandeur de licence privée exécute un vol-voyage qui revient au point de départ, en une seule fois. Il a de plus plaidé que le Canada doit suivre les normes de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), au risque que ses licences de pilotes ne soient pas reconnues sur d'autres territoires. Il a présenté des exemplaires des normes de l'OACI et celles d'autres territoires pour appuyer son interprétation.

Bien que M. Dixon ait avoué compatir avec Mme Lanning, il a plaidé que sa propre déclaration selon laquelle un atterrissage à Nanaimo, le 9 juillet 2003, la préoccupait sur le plan de la sécurité, indiquait qu'il était prématuré pour elle d'effectuer un vol-voyage en solo, à ce moment-là, ou encore, qu'il était approprié qu'elle effectue un deuxième vol-voyage pour acquérir l'expérience nécessaire.

M. Dixon a plaidé que le RAC est explicite sur cette question : un vol-voyage doit être effectué suivi de deux arrêts complets. Il a dit que le deuxième vol-voyage de la requérante respectait les exigences et c'est la raison pour laquelle Transports Canada a délivré sa licence de pilote privé à la suite du vol. Il a demandé que la décision du ministre soit maintenue.

Au nom de la requérante, M. Gorle a plaidé que, parce que le « vol » n'est pas défini dans le RAC, il y a place à interprétation. Il était d'avis que Mme Lanning avait répondu aux exigences relatives au vol-voyage même s'il avait eu lieu sur deux jours différents. Il a dit qu'un précédent en la matière avait été établi par le prédécesseur de M. Milligan et qu'il avait eu une entente verbale avec lui selon laquelle un vol-voyage pouvait se dérouler sur deux jours différents. M. Gorle a pensé qu'aucune question de sécurité n'était en cause et que Mme Lanning avait pris une bonne décision en tant que pilote. Il a demandé que la décision initiale du ministre de refuser de lui délivrer une licence de pilote soit renversée.

En réplique, M. Dixon a plaidé que les bonnes prises de décision de pilote ont souvent des conséquences négatives. Bien que la décision de Mme Lanning de ne pas atterrir à Nanaimo ait sans doute été bonne, la conséquence négative est le fait qu'elle soit obligée d'effectuer le vol de nouveau. M. Gorle a rétorqué que les pilotes ne devraient pas être punis pour avoir pris une bonne décision.

DISCUSSION

L'alinéa 401.06(1)b) du RAC prévoit que, sous réserve de l'article 6.71 de la Loi sur l'aéronautique, le ministre doit délivrer une licence si le demandeur fournit la documentation qui établit, entre autres choses, qu'il respecte les normes applicables en matière d'expérience. La Norme 421.26(4)b)(ii) prévoit que, pour qu'une licence soit délivrée, l'expérience de vol-voyage du demandeur doit comprendre « un parcours d'au moins 150 milles marins qui comporte deux atterrissages avec arrêt complet effectués à d'autres points qu'au point de départ ». Le mot « un » précède le mot « vol » dans cet alinéa, indiquant un seul vol.

L'article 6.71 de la Loi sur l'aéronautique prévoit que le ministre peut refuser de délivrer un document d'aviation canadien parce que le demandeur est inapte ou ne répond pas aux conditions de délivrance ou de modification du document; ou que le ministre estime que l'intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du demandeur, le requiert.

Le mot « vol » n'est pas défini dans la Loi sur l'aéronautique ou le RAC. Le « temps de vol » est défini au paragraphe 101.01(1) du RAC comme suit :

« temps de vol » ­ le temps calculé à partir du moment où l'aéronef commence à se déplacer par ses propres moyens en vue du décollage jusqu'au moment où il s'immobilise à la fin du vol.

On pourrait conclure qu'un « vol » débute à partir du moment où l'aéronef commence à se déplacer par ses propres moyens jusqu'à ce qu'il stationne. Toutefois, cette interprétation serait dénuée de sens dans le contexte de la Norme 421.26(4)b)(ii), étant donné que cette norme requiert deux atterrissages avec arrêts complets lors d'un seul vol et ailleurs qu'au point de départ. Il serait absurde de penser qu'un pilote ne respecte pas les normes s'il ou elle choisit d'éteindre le moteur et de demeurer un certain temps à son point d'arrêt de vol lors de son vol-voyage en solo ou s'il ou elle doit faire un arrêt de nuit à un de ses points d'arrêt en raison de mauvaises conditions météorologiques imprévues ou encore s'il ou elle choisit de prolonger son voyage.

Je considère qu'un « vol », conformément à la Norme 421.26(4)b)(ii), débute à partir du moment où l'aéronef commence à se déplacer par ses propres moyens et finit au moment où il s'immobilise à l'aéroport d'origine du départ.

Des exemplaires des normes de l'OACI et d'autres sphères de responsabilité, ont été présenté par le ministre, pour appuyer cette interprétation.

J'ai aussi pris en considération la raison pratique reliée à l'exigence du vol-voyage en solo. Manifestement, cette exigence vise à ce que le pilote démontre son habilité à gérer, par ses propres moyens, un vol de loisir typique qui nécessite un voyage à l'extérieur de la base principale. Le vol-voyage peut vraisemblablement présenter une variété de défis et d'événements imprévus, notamment des changements de conditions météorologiques, de la circulation aérienne, du fonctionnement de la radio ainsi que des atterrissages à des aéroports inconnus. Il est logique qu'avant d'obtenir sa licence, un pilote ait à démontrer qu'il ou elle a une expérience suffisante pour relever ces défis et réagir à des urgences ou des situations inconnues avec un niveau raisonnable de compétence et de confiance. L'exigence des Normes selon laquelle un pilote qui fait une demande effectue un vol de 150 milles de la base principale, en arrêtant à deux aéroports avant de revenir à son point de départ, me semble entièrement raisonnable.

Le témoignage de la requérante concernant son vol du 9 juillet 2003 ne me persuade pas que le refus du ministre de délivrer une licence, dans le cas en l'espèce, n'était pas justifié. Je conviens avec le ministre que l'expérience de Mme Lanning, en ce qui a trait à ce vol, indique qu'il était prématuré pour elle de faire un vol-voyage en solo ou qu'il était approprié qu'elle effectue un autre vol-voyage avant qu'une licence de pilote ne lui soit délivrée. Elle a réussi un autre vol-voyage, à une date ultérieure, et elle doit être félicitée pour son engagement à acquérir l'expérience requise pour obtenir sa licence de pilote.

Je ne suis pas d'accord, comme M. Gorle l'a laissé entendre, que le fait de demander à la requérante d'effectuer un deuxième vol-voyage équivaut à la punir d'avoir pris une bonne décision. On s'attend simplement à ce qu'un pilote titulaire d'une licence prenne de bonnes décisions. Qu'il effectue un vol-voyage en solo selon les Normes est autre chose. Je ne trouve ni surprenant, ni excessivement onéreux qu'un demandeur de licence puisse avoir besoin de faire plus d'une tentative pour respecter l'exigence d'un vol-voyage en solo, puisqu'il s'agit d'une tâche exigeante pour un pilote inexpérimenté.

Bien que M. Gorle ait mentionné que le prédécesseur de M. Milligan à Transports Canada avait adopté le point de vue que la Norme 421.26(4)(b)(ii) pouvait être respecté en deux vols séparés, il n'a présenté aucune preuve ou de jurisprudence pour appuyer cette position. Je considère que le libellé des Normes n'est pas conforme à cette interprétation.

DÉCISION

Je considère que le ministre a refusé de délivrer une licence de pilote privé à la requérante conformément à son pouvoir de le faire en vertu de l'article 6.71 de la Loi sur l'aéronautique. Je confirme donc la décision du ministre en date du 20 juillet 2004, de refuser de délivrer une licence de pilote privé à la requérante.

Sandra K. Lloyd
Conseillère
Tribunal d'appel des transports du Canada

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