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Référence : Tilroe c. Canada (Ministre des Transports), 2017 TATCF 13 (révision)

Date : 20170420

No de dossier : C-4272-33

No du MdT : 5504-088648 P/B

RELATIVEMENT à l'audience en révision demandée par Kevin Andrew Tilroe concernant un avis d'amende pour contravention délivré par le ministre des Transports en vertu de l'article 7.7 de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-2, en ce qui concerne une contravention à l'alinéa 602.96(3)g) du Règlement de l'aviation canadien, DORS/96-433, tel que l'allègue le ministre.

ENTRE :

KEVIN ANDREW TILROE, requérant

et

MINISTRE DES TRANSPORTS, intimé

[Traduction française officielle]

Conseiller du tribunal:

Arnold Olson

Affaire entendue à :

Edmonton (Alberta), le 31 janvier 2017

Pour le requérant :

Kevin Andrew Tilroe (se représentant lui-même)

Pour le ministre :

Catherine Newnham

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D'UNE RÉVISION

Arrêt : Le ministre a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le 20 novembre 2015, le requérant, Kevin Tilroe, en tant que commandant de bord, a effectué le décollage d'un aéronef sans autorisation préalable, contrevenant ainsi à l'alinéa 602.96(3)g) du Règlement de l'aviation canadien. L'amende de 525 $ est cependant réduite à 400 $.

Le montant révisé de l'amende de 400 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d'appel des transports du Canada dans les trente-cinq (35) jours de la signification de la présente décision.

I.  HISTORIQUE

[1]  Le 18 août 2016, le ministre des Transports (ministre) a délivré un avis d'amende pour contravention (avis) à M. Kevin Tilroe, le requérant, en raison d'une contravention alléguée à l'alinéa 602.96(3)g) du Règlement de l'aviation canadien, DORS/96-433 (RAC). L'annexe A de l'avis énonce ce qui suit :

Le ou vers le 20 novembre 2015, autour de 1 h 15 UTC, alors que vous utilisiez un aéronef, plus précisément un Beech King Air sous l'immatriculation canadienne C-FSAO, vous avez décollé de la piste 30 à l'aéroport international d'Edmonton, en Alberta, sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de la part de l'unité de contrôle de la circulation aérienne compétente à la tour d'Edmonton, en contravention avec le paragraphe 602.96(3) du Règlement de l'aviation canadien.

AMENDE TOTALE – 525 $

II.  LOIS ET RÈGLEMENTS

[2]  Le paragraphe 7.7(1) de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-2, énonce ce qui suit :

7.7 (1) Le ministre, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a contrevenu à un texte désigné, peut décider de déterminer le montant de l'amende à payer, auquel cas il lui expédie, par signification à personne ou par courrier recommandé ou certifié à sa dernière adresse connue, un avis l'informant de la décision.

[3]  L'article 602.96 du RAC est en partie libellé de la manière suivante :

602.96 (1) Le présent article s'applique à la personne qui utilise un aéronef VFR ou IFR à un aérodrome non contrôlé ou à un aérodrome contrôlé ou dans le voisinage de ceux-ci.

(3) Le commandant de bord qui utilise un aéronef à un aérodrome ou dans son voisinage doit :

g) si l'aérodrome est un aérodrome contrôlé, obtenir de l'unité de contrôle de la circulation aérienne compétente, par radiocommunications ou par signal visuel, une autorisation de circuler au sol ou d'effectuer un décollage ou un atterrissage à cet aérodrome.

III.  PREUVE

A.  Ministre

(1)  Interrogatoire principal de l'inspecteur David Gaboury

[4]  L'inspecteur Gaboury est l'enquêteur de l'Application de la loi en aviation de Transports Canada qui a été chargé de mener une enquête à l'égard d'un rapport du Système de compte rendu quotidien des événements de l'aviation civile (CADORS) (pièce M-1) portant sur un aéronef qui a décollé sans autorisation le 20 novembre 2015. En consultant la base de données du Système d'information national des compagnies aériennes (SINCA) de Transports Canada (pièce M-2), il a établi que Can-West Corporate Air Charters Ltd. était propriétaire de l'aéronef. Le gestionnaire des opérations, M. Justin Krasnikoff, a précisé que le capitaine Tilroe était le commandant de bord et que Mme Natalie Hanczak était le commandant en second, et a envoyé les pages pertinentes du carnet de route de l'aéronef (pièce M-3). Il ressort également du rapport de M. Krasnikoff qu'après avoir confirmé que les renseignements du CADORS étaient exacts, il avait mis fin à l'emploi du capitaine Tilroe. L'inspecteur Gaboury a ensuite consulté la base de données du Système décentralisé des licences du personnel de l'air (SDLPA) de Transports Canada et a pu établir que les licences des membres de l'équipage étaient valides (pièces M-4 et M-5).

[5]  Dans un courriel daté du 15 décembre 2015, l'inspecteur Gaboury a par la suite demandé à Mme Hanczak de donner sa version des évènements du 20 novembre 2015 (pièce M-6). Cette dernière a répondu qu'ils avaient reçu en soirée, elle et le capitaine Tilroe, une demande urgente pour un vol Medevac immédiat de l'aéroport d'Edmonton (priorité élevée – code rouge). Ils ont reçu l'autorisation de circuler au sol sur une courte distance pour attendre à l'écart de la piste 30. Elle a entendu la contrôleuse aérienne qui demandait s'ils pouvaient décoller immédiatement. Elle a répondu : « Oui, nous le pouvons ». Alors que le capitaine Tilroe achevait de faire les vérifications avant décollage, elle a cru entendre quelque chose, a dit « chut » au capitaine et lui a demandé « est-ce que c'était pour nous »? Il a répondu « je pense que oui ». Au lieu de demander à la contrôleuse aérienne de répéter ce qui pouvait avoir été dit, elle a transmis le message suivant : « 33.45 [la fréquence des départs], décollage autorisé [piste] 30, Rider 522 Medevac ». Elle a supposé que les messages qu'elle avait transmis auraient déclenché une réponse s'il s'était agi d'une erreur. Comme elle n'a rien entendu de la contrôleuse aérienne, ils ont décollé. Ce n'est que beaucoup plus tard, après les faits, qu'elle s'est rendu compte que la contrôleuse aérienne n'avait pas du tout entendu ses communications.

[6]  Le capitaine Tilroe a répondu à la lettre d'enquête (pièce M-7) et a donné sa propre version des faits (pièce M-8). Mme Hanczak avait interrompu son exposé avant décollage et lui avait demandé s'il pensait que la tour de contrôle leur avait donné l'autorisation de décoller. Il a répondu qu'il croyait que l'autorisation avait été donnée, et s'attendait à ce qu'elle demande que les instructions d'autorisation soient répétées. Au lieu de cela, il l'a entendue répéter une autorisation de décollage. Il avait alors compris qu'ils avaient reçu l'autorisation de décoller et avait procédé au décollage. Dans sa lettre, il a précisé aussi qu'on avait immédiatement mis fin à son emploi, sans qu'aucune enquête ne soit menée quant aux causes ayant contribué à l'incident, qu'il n'avait reçu aucune indemnité de départ ni de prestations d'assurance-emploi, qu'il n'avait pu se trouver un autre emploi de pilote et qu'il croyait qu'il avait déjà été lourdement sanctionné. Après avoir lu la déclaration, l'inspecteur Gaboury a dit que, s'il y avait de la confusion en ce qui concerne une autorisation du contrôle de la circulation aérienne (ATC), une bonne gestion des ressources de l'équipage aurait exigé que l'autorisation soit vérifiée.

[7]  L'inspecteur Gaboury a demandé (pièce M-9) les données radar WINRAD pertinentes de Nav Canada. L'ensemble des saisies d'écrans (pièce M-10) montre un RD522 effectuant un décollage à partir de la piste 30 à l'aéroport international d'Edmonton. Il a également préparé un résumé du fichier sonore de l'ATC correspondant (pièce M-11). En outre, il a obtenu les notes du « registre » de la tour de l'ATC (pièce M-12) selon lesquelles le RD522 Medevac en question avait décollé sans autorisation, mais qu'il n'y avait eu « aucune incidence sur les activités ».

(2)  Contre-interrogatoire de l'inspecteur Gaboury

[8]  L'inspecteur Gaboury a été questionné au sujet du rapport d'enquête de l'Application de la loi en aviation qu'il avait préparé, et on lui a demandé pourquoi il ne s'était pas penché sur la question de l'absence d'une enquête relativement au système de gestion de la sécurité (SGS). L'inspecteur Gaboury a répondu que les compagnies régies par la sous-partie 704 (Exploitation d'un service aérien de navette) du RAC ne sont pas tenues d'avoir un SGS. Quoi qu'il en soit, aucun renseignement du SGS n'a été utilisé dans l'enquête qu'il a menée au sujet de cet événement.

(3)  Réinterrogatoire de l'inspecteur Gaboury

[9]  En réinterrogatoire, le ministre a déposé en preuve le rapport d'enquête de l'Application de la loi en aviation (pièce M-13). Dans le rapport, l'inspecteur Gaboury a indiqué que la contrôleuse aérienne n'avait pas reçu de réponse à sa requête à savoir si RD522 était prêt à effectuer un décollage immédiat. La contrôleuse aérienne avait donc donné à un autre aéronef l'autorisation d'effectuer un atterrissage sur une piste différente. Dans le rapport, il a avancé une hypothèse : « Tilroe et Hanczak ont tous les deux entendu une partie de [cette] autorisation d'atterrissage [...] et ont supposé à tort qu'il s'agissait d'une autorisation qui leur était donnée d'effectuer un décollage ».

[10]  Quant aux circonstances atténuantes dans la détermination du montant de l'amende, l'inspecteur Gaboury a fait observer que la contrôleuse n'avait pas tenté d'arrêter le décollage du RD522 Medevac, étant donné qu'il n'y avait pas de circulation incompatible. Si elle avait tenté d'empêcher le décollage, les membres de l'équipage auraient vraisemblablement été avertis de leur problème de communication. L'inspecteur Gaboury a également tenu à souligner les conditions de stress dans lesquelles les membres de l'équipage devaient assurer le vol d'ambulance aérienne, le fait que le capitaine avait reconnu d'emblée avoir commis l'infraction et le fait qu'il avait accepté d'en assumer la responsabilité en tant que commandant de bord. Il a recommandé l'imposition d'une amende de premier niveau réduite de 30 pourcent, soit 525 $.

(4)  Interrogatoire principal de Dina Jammaz

[11]  Mme Jammaz était la contrôleuse de la tour de contrôle qui était de service à l'Aéroport international d'Edmonton le soir du 20 novembre 2015, et elle a confirmé le contenu aussi bien du fichier sonore de l'ATC (pièce M-14) que des données radar réelles WINRAD (pièce M-15). Elle a précisé qu'elle avait observé le RD522 effectuer un décollage sans qu'elle en ait donné l'autorisation. Elle n'était pas préoccupée en ce qui concerne la sécurité.

B.  Requérant

(1)  Témoignage du capitaine Kevin Tilroe

[12]  Le capitaine Tilroe a produit la pièce A-1, un résumé de l'événement, de l'enquête subséquente et des conséquences de la contravention sur sa carrière en aviation et sa situation financière. Il a précisé que l'équipage de l'ambulance aérienne avait reçu un « APPEL ROUGE », c'est-à-dire, un appel de la plus haute priorité. Lui et Mme Hanczak ont accéléré les activités de démarrage et ont reçu l'autorisation de circuler au sol sur la courte distance menant à la piste 30. Il a fait circuler l'aéronef au sol et Mme Hanczak devait assumer la responsabilité d'opératrice radio. Il a entendu la contrôleuse aérienne leur demander s'ils pouvaient effectuer le décollage immédiatement et a entendu Mme Hanczak transmettre la réponse « Affirmatif ». Ils s'attendaient donc à recevoir une autorisation de décollage immédiate. Lorsqu'il effectuait son exposé avant décollage, il a été interrompu par Mme Hanczak qui croyait avoir entendu une transmission radio venant de la tour de contrôle. Elle a demandé « est-ce que c'était pour nous ? » Il a répondu « je pense que oui », pour l'inviter à obtenir des éclaircissements si elle n'était pas certaine de ce qu'elle avait entendu. Son message suivant fut le collationnement d'une autorisation de décollage. Étant donné la réaction de Mme Hanczak, il a compris qu'elle avait reçu l'autorisation de décoller, et il a alors procédé au décollage. À ce moment-là, il n'était pas conscient, et il ne croyait pas non plus qu'il y avait moyen pour lui de déterminer, que la contrôleuse aérienne n'avait pas en réalité entendu Mme Hanczak. Lui et Mme Hanczak avaient été très surpris lorsque, trois jours plus tard, Can-West avait reçu un avis selon lequel ils avaient transgressé les règlements. Can-West l'a congédié en raison de cet événement.

(2)  Contre-interrogatoire du capitaine Tilroe

[13]  Le capitaine Tilroe a reconnu qu'en tant que commandant de bord, il lui incombait en fin de compte de s'assurer qu'une autorisation de décollage ait été obtenue avant d'effectuer un décollage. Toutefois, il avait compris que le « collationnement » de Mme Hanczak était une vérification de l'autorisation de décollage qu'elle avait reçue. Il était impensable qu'elle puisse simplement inventer le collationnement d'une autorisation qu'elle n'avait pas entendue.

[14]  Il ne pouvait pas expliquer pourquoi la communication cruciale de Mme Hanczak n'avait pas été enregistrée sur la bande magnétique de la tour de contrôle. Il a insisté sur le fait qu'elle avait fait la transmission en déclarant « je l'ai entendue le dire ! » Il a admis qu'il n'avait pas personnellement entendu la contrôleuse aérienne donner une autorisation de décollage.

IV.  ARGUMENTS

A.  Ministre

[15]  Le ministre a soutenu que le témoignage de l'inspecteur Gaboury et les éléments de preuves provenant du radar établissent, selon la prépondérance des probabilités, que le requérant a contrevenu au paragraphe 602.96(3) du RAC. La disposition dispose que, si l'aérodrome est un aérodrome contrôlé, le commandant de bord doit obtenir de l'unité ATC compétente une autorisation d'effectuer un décollage. Mme Hanczak a cru qu'elle avait entendu quelque chose et avait demandé « est-ce que c'était pour nous ? » Malgré le fait qu'il n'était pas clair si l'autorisation de décollage avait été reçue, le capitaine Tilroe n'a pas demandé à l'ATC s'il avait l'autorisation de décoller, une responsabilité qui lui incombait en tant que commandant de bord. Le fichier sonore de l'ATC établit qu'aucune autorisation de décollage n'a été donnée à RD522 et les données radar démontrent que l'aéronef a bel et bien effectué le décollage. Par conséquent, la preuve de la contravention est établie.

B.  Requérant

[16]  Le capitaine Tilroe a déclaré avoir entendu la contrôleuse aérienne demander s'ils étaient prêts à effectuer un décollage immédiat, et Mme Hanczak répondre par l'affirmative. Lorsqu'il a par la suite entendu Mme Hanczak transmettre clairement le « collationnement » d'une autorisation de décollage, il a compris qu'elle vérifiait si elle avait bien reçu une autorisation de décoller. Il avait confiance en sa copilote. Il ne lui est jamais venu à l'esprit qu'elle pouvait simplement inventer le collationnement d'une autorisation qu'elle n'avait pas entendue. Le capitaine Tilroe estime qu'il devrait être jugé en fonction de ce qu'il croyait être vrai à ce moment-là, à savoir qu'ils avaient reçu une autorisation de décollage. Ils n'ont pas entendu la contrôleuse aérienne contester le collationnement de Mme Hanczak de l'autorisation de décollage; il n'avait donc pas de raison de penser qu'aucune autorisation n'avait en réalité été communiquée à l'aéronef. De toute façon, la sécurité n'a pas été compromise.

[17]  Le requérant a également soutenu que l'imposition d'une sanction pécuniaire ne règle pas la question à l'origine du problème. Il aurait fallu qu'une enquête appropriée du SGS soit menée à l'interne chez Can-West pour déterminer les causes fondamentales de l'incident. Il croit que son congédiement était injustifié, étant donné qu'il n'y a pas eu d'enquête adéquate. En outre, il estime que Transports Canada aurait dû effectuer une enquête de sécurité non punitive concernant l'événement. Aussi, il aurait été plus approprié qu'il reçoive des conseils verbaux. Au contraire, Transports Canada a mené une enquête relative à l'application de la loi, sans se préoccuper de l'effet dévastateur de cette tache à son dossier qui est par ailleurs exempt d'infraction. Par conséquent, il n'a pu trouver un autre emploi de pilote professionnel et a eu des difficultés financières, en plus d'éprouver des problèmes psychologiques. Il a demandé que la contravention soit annulée.

V.  ANALYSE

[18]  La norme de preuve imposée au ministre est précisée au paragraphe 15(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des transports du Canada, L.C. 2001, ch. 29, soit la « prépondérance des probabilités ».

[19]  Les faits entourant la contravention à l'alinéa 602.96(3)g) du RAC ne sont pas contestés et tous les éléments de la contravention ont été prouvés. Les déclarations des témoins et les pièces déposées en preuve établissent que le capitaine Tilroe, en tant que commandant de bord, a bel et bien effectué un décollage sans autorisation, le 20 novembre 2015. La question à trancher est de savoir si oui ou non il peut établir une défense.

(1) Défense de diligence raisonnable

[20]  L'article 8.5 de la Loi sur l'aéronautique dispose que nul ne peut être reconnu coupable d'avoir contrevenu à une disposition telle que le paragraphe 602.96(3) du RAC s'il a exercé toute la diligence raisonnable afin de s'y conformer. La charge d'établir une défense de diligence raisonnable incombe au requérant et la défense sera recevable si ce dernier a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'événement en question, comme le précise l'arrêt R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 RCS 1299 (p. 1326).

[21]  Compte tenu de la situation — l'urgence d'effectuer un vol « code rouge » pour sauver une vie, la contrôleuse aérienne qui leur demande s'ils peuvent effectuer un décollage immédiatement et, par la suite, la copilote qui confirme une autorisation de décollage — dans le feu de l'action, le capitaine a fait confiance à sa copilote et croyait qu'ils avaient reçu l'autorisation de décoller. Toutefois, a-t-il pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'incident? Tout juste avant de procéder spontanément à son collationnement fictif, Mme Hanczak avait demandé au capitaine Tilroe, « est-ce que c'était pour nous »? Dans le contexte du poste de pilotage, cette question veut réellement dire « je ne suis pas certaine d'avoir bien entendu ». La sécurité aérienne et la discipline professionnelle des membres d'équipage en ce qui concerne les procédures de communication par radio exigent qu'une telle incertitude soit dissipée. Le capitaine Tilroe a déclaré qu'il s'attendait à ce que Mme Hanczak demande des éclaircissements à la contrôleuse aérienne. Étant donné qu'elle s'occupait des communications radio, elle avait l'obligation professionnelle à ce moment-là de faire une demande pour que l'autorisation de décollage soit répétée afin d'éliminer toute équivoque. Même si cette obligation professionnelle incombait à Mme Hanczak, le capitaine Tilroe avait l'obligation légale en tant que commandant de bord de s'assurer que l'autorisation avait été obtenue avant le départ et, par conséquent, de veiller à ce que la communication soit répétée si un doute subsistait. Étant donné qu'il n'avait pas lui-même entendu clairement l'autorisation de décollage, il aurait dû ordonner à Mme Hanczak de demander à la contrôleuse aérienne de répéter la communication de telle sorte qu'il aurait pu, tout comme elle, l'entendre. En n'agissant pas de la sorte, il n'a pas pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'événement. Par conséquent, je conclus que la défense de diligence raisonnable n'est pas établie.

(2) Défense d'erreur provoquée par une personne en autorité

[22]  Étant donné que le capitaine Tilroe soutient qu'il a été induit en erreur par des renseignements inexacts obtenus de sa copilote concernant l'autorisation d'effectuer un décollage, j'examinerai aussi la nature et la question de savoir si la défense de l'erreur provoquée par une personne en autorité peut être invoquée, en vertu de l'arrêt R. c. Jorgensen, [1995] 4 RCS 55.

[23]  Le fait que Mme Hanczak ait inventé le « collationnement » d'une autorisation de décollage inexistante constituait un manquement à la procédure pour le moins étonnant. Elle avait tort, mais le capitaine Tilroe l'a crue. Existe-t-il une défense qui peut être invoquée pour le fait d'avoir eu foi en des renseignements erronés provenant d'un membre de l'équipage? La défense de l'erreur provoquée par une personne en autorité repose sur deux considérations principales: qu'est-ce qu'une « personne en autorité » et qu'est-ce qui constitue un « avis d'une personne en autorité » ? (Jorgensen, au paragraphe 24). Dans la grande majorité des cas, une personne en autorité est une personne employée par l'État, bien que ce moyen de défense ait été invoqué avec succès dans d'autres circonstances. Selon l'arrêt Jorgensen, au paragraphe 30, « la personne en autorité doit être celle qu'une personne raisonnable dans la même situation que l'accusé considérerait normalement chargée de donner des avis sur la loi en question ». Mme Hanczak ne peut pas être considérée comme une personne en autorité pour les besoins de cette défense, parce que c'était le capitaine Tilroe, et non elle, qui était la personne chargée de veiller à recevoir une autorisation de décollage.

[24]  Deuxièmement, et plus important encore, compte tenu de ce qui constitue l'avis d'une personne en autorité, le capitaine Tilroe n'a pas été induit en erreur par une application erronée de la loi. Il a été amené à croire à tort à l'existence d'une autorisation qui, en réalité, n'existait pas. Ainsi, l'erreur qu'il a commise était une pure erreur de fait (il a confondu le « collationnement » de Mme Hanczak avec une réponse à une autorisation de décollage de l'ATC) et non une erreur de droit ou une erreur mixte de fait et de droit concernant une infraction à la réglementation. En fin de compte, la défense de l'erreur provoquée par une personne en autorité découle du principe selon lequel un individu ne doit pas être tenu responsable « lorsque la conduite d'une personne en autorité l'a amené à se fonder sur une interprétation raisonnable, mais incorrecte, du droit applicable » (La Souveraine, Compagnie d'assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, au paragraphe 128). Tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce, étant donné que l'erreur n'était pas une erreur de droit ni une erreur provoquée par une personne en autorité ayant interprété le droit applicable d'une manière erronée. Par conséquent, je conclus que le capitaine Tilroe ne peut pas invoquer la défense de l'erreur provoquée par une personne en autorité.

(3) Derniers points à examiner

[25]  Le témoignage du capitaine Tilroe et la description des faits de Mme Hanczak (pièce M-6) concordent sur le fait que le « collationnement » inventé de Mme Hanczak avait réellement été transmis. Pourtant, il n'a pas été entendu par la contrôleuse aérienne ni n'a été saisi sur l'enregistrement audio de la fréquence tour. La preuve démontre que l'une des radios de bord était réglée sur la fréquence sol, étant donné que des instructions de circuler au sol avaient été reçues. L'autre radio était réglée sur la fréquence tour, puisque les deux membres de l'équipage avaient entendu la contrôleuse aérienne leur demander s'ils pouvaient effectuer le décollage immédiatement. Dans sa description des faits, Mme Hanczak laisse entendre que les sélections de commutateurs radio qu'elle avait faites n'étaient peut-être pas correctes. Le capitaine Tilroe n'a pas réussi à avoir accès à la fréquence sol audible afin de confirmer que Mme Hanczak avait transmis par erreur son collationnement fictif à la fréquence sol plutôt qu'à la fréquence tour. Malheureusement pour le capitaine Tilroe, la question de savoir si les renseignements communiqués par Mme Hanczak étaient inventés ou non ou si la communication avait été réellement effectuée n'est pas du tout pertinente. Tout ce qui est pertinent, c'est qu'en tant que commandant de bord, il n'avait pas reçu d'autorisation de décollage de la part de l'unité ATC compétente.

[26]  Un « récit édifiant » est un récit folklorique qui vise à prévenir d'un danger. L'événement dont il est question en l'espèce constitue un exemple frappant de récit édifiant. La gestion des ressources de l'équipage contribue à améliorer la sécurité aérienne en réduisant les erreurs humaines et est maintenant obligatoire pour les opérations aériennes commerciales. Les pilotes reçoivent une formation dans des domaines tels que la communication ouverte, la dynamique interpersonnelle, le partage de l'influence et le processus décisionnel efficace. Malheureusement, ces principes ne s'accordent peut-être pas toujours bien avec le cadre juridique relatif aux responsabilités du commandant de bord. Bien que le maintien d'un climat de collaboration axée sur la sécurité dans la cabine de pilotage soit un objectif louable et que des tâches puissent être déléguées à d'autres membres de l'équipage, l'obligation juridique correspondante à l'exécution de ces tâches incombe au commandant de bord et ne peut pas être déléguée.

[27]  Dans l'évaluation de la sanction pécuniaire, je me suis appuyé sur la décision Ministre des Transports c. Wyer, rendue par ce Tribunal dans le dossier no O-0075-33 (TAC) (appel), et qui énonce les principes qui doivent être pris en compte: la dénonciation de la conduite, la dissuasion, la rééducation, les recommandations sur l'application des règles ainsi que les facteurs aggravants et atténuants. Le capitaine Tilroe semble être une personne très compétente qui a déjà payé un lourd tribut, aussi bien sur le plan professionnel que personnel, pour avoir eu confiance en l'autre membre d'équipage. En soupesant les considérations d'ordre réglementaire en fonction des circonstances exceptionnelles de l'événement, je réduis l'amende de 525 $ à 400 $.

VI.  DÉCISION

[28]  Le ministre a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le 20 novembre 2015, le requérant, Kevin Tilroe, en tant que commandant de bord, a effectué le décollage d'un aéronef sans autorisation préalable, contrevenant ainsi à l'alinéa 602.96(3)g) du Règlement de l'aviation canadien. L'amende de 525 $ est cependant réduite à 400 $.

[29]  Le montant révisé de l'amende de 400 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d'appel des transports du Canada dans les trente-cinq (35) jours suivant la signification de la présente décision.

Le 20 avril 2017

(Original signé)

Arnold Olson

Conseiller

 

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