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Référence : VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Ministre des Transports), 2018 TATCF 8 (révision)

Date : 2018-03-20

No de dossier : H-0022-41

No du MdT : RDIMS 12647975

RELATIVEMENT à l’audience en révision demandée par VIA Rail Canada Inc., en ce qui a trait à une violation de l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire (L.R.C., 1985, ch. 32 (4e suppl.)), tel que l’allègue le ministre des Transports.

ENTRE :

Via Rail Canada Inc., requérante

- et -

Ministre des Transports, intimé

[Traduction française officielle]

Conseiller du Tribunal : 

Gary Drouin

Audience tenue à :

Toronto (Ontario), les 21 et 22 septembre 2017

Pour la requérante :

Douglas C. Hodson

Pour l’intimé :

Eric Villemure

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D’UNE RÉVISION

Arrêt : Le conseiller confirme le procès-verbal du ministre des Transports mais réduit la sanction administrative pécuniaire de moitié.

Le montant total de 19 791,54 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.

I.  HISTORIQUE

[1]  Le 30 janvier 2017, le ministre des Transports a délivré un procès-verbal, alléguant que le ou vers le 5 septembre 2016, à Bayview (Ontario) ou aux alentours, VIA Rail Canada Inc. (VIA Rail) a exploité du matériel ferroviaire sur un chemin de fer en violation de la règle 439 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) qui s’applique à VIA Rail, lorsque ses employés ont omis d’arrêter un mouvement à un signal d’ARRÊT ABSOLU, contrevenant ainsi à l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire (L.R.C., 1985, ch. 32 (4e suppl.)) (LSF).

II.  LOIS ET RÈGLEMENTS

[2]  L’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire prévoit ce qui suit :

17.2 Il est interdit à toute compagnie de chemin de fer d’exploiter ou d’entretenir un chemin de fer, notamment les installations et le matériel ferroviaires, et à toute compagnie de chemin de fer locale d’exploiter du matériel ferroviaire sur un chemin de fer, en contravention avec un certificat d’exploitation de chemin de fer, les règlements et les règles établies sous le régime des articles 19 ou 20 qui lui sont applicables, sauf si elle bénéficie de l’exemption prévue aux articles 22 ou 22.1.

[3]  La règle 439 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada indique : « Arrêt absolu – S’arrêter ».

[4]  L’alinéa 3(1)b) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire (DORS/2014-233) prévoit ce qui suit :

3 (1) Sont désignés comme des textes dont la contravention est assujettie aux articles 40.13 à 40.22 de la Loi les textes suivants :

[…]

b) les règles en vigueur sous le régime des articles 19 ou 20 de la Loi;

III.  PREUVE

A.  Ministre

[5]  Le représentant du ministre, M.  Villemure, a déposé la pièce M‑1 en preuve,  comprenant un énoncé des faits rédigé et signé par les deux parties.

[6]  M. Villemure a traité de tous les points soulevés par Transports Canada (TC), ainsi que des entrevues avec l’équipe de train, elles aussi incluses à la pièce M‑1. Cette dernière comprenait également une carte et des photographies des emplacements de divers signaux, y compris le signal 006 à Bayview et une jonction entre les deux subdivisions, afin de mettre en perspective l’endroit où les faits sont survenus.

[7]  M. Villemure a déposé les documents B (pièce M-1b) et C (pièce M-1c), rédigés par M. Jeff Creighton. Le document B renvoie aux notes que M. Creighton a prises lors de l’entrevue avec M. Mike Campbell, et le document C renvoie aux notes que M. Creighton a prises lors de l’entrevue avec M. Dale Roberts.

[8]  Lors de la lecture à voix haute de la pièce M-1d, soit l’entretien de l’inspecteur Hopper,  de Transports Canada, avec M. Campbell, il est apparu que les notes manuscrites et les notes dactylographiées en format électronique différaient.

[9]  Le conseiller a suspendu l’audience pour permettre au représentant du ministre d’examiner ses pièces et de revenir à l’audience avec certains éclaircissements.

[10]  M. Villemure a expliqué que l’erreur avait été commise au moment de la transcription des notes manuscrites sous forme électronique. Il a présenté des corrections. M. Hodson, le représentant de la requérante, a accepté que les révisions apportées à la pièce soient présentées en preuve.

[11]  Le conseiller Drouin a indiqué que la pièce officielle serait les notes manuscrites et non pas la version électronique.

[12]  M. Villemure a lu à voix haute les notes que l’inspecteur Hopper avait prises lors de l’entrevue avec M. Campbell. À la question no 11, M. Hodson est intervenu et a indiqué au conseiller que certaines informations ne figuraient pas dans les notes manuscrites.

[13]  Le conseiller a ordonné une courte suspension afin de permettre à nouveau au représentant du ministre d’examiner la transcription des notes manuscrites en notes électroniques.

[14]  À la suite de la suspension et des éclaircissements du représentant du ministre, le conseiller a admis les pièces en preuve, à la suite de certains changements, car les deux parties y souscrivaient.

[15]  M. Villemure a traité du bulletin de marche no 4228, qui est lié au paragraphe 10 de la pièce M-1f.

[16]  M. Villemure a également traité du procès-verbal inclus à la pièce M-1, et portant la lettre G.

[17]  La requérante a indiqué qu’étant donné que l’équipe de train avait été interrogée par deux inspecteurs de la sécurité ferroviaire (ISF), que leurs notes avaient été déposées en preuve et que le ministre et la requérante s’accordaient tous deux sur l’énoncé des faits, il n’était pas nécessaire d’appeler des témoins car elle souscrivait aux faits présentés devant le Tribunal.

(1)  Suzanne Madaire-Poisson

[18]  Mme Madaire-Poisson occupe le poste de chef de la conformité et de la sécurité à la Direction de la sécurité ferroviaire (DSF) de Transports Canada, à Ottawa. Elle a expliqué que son rôle consistait à appliquer le programme des sanctions administratives pécuniaires (SAP).

[19]  Mme Madaire-Poisson a décrit en détail le programme, les politiques et les procédures qui régissent le processus menant à l’imposition d’une SAP, de même que le calcul du montant de la sanction, ainsi que les rôles respectifs de l’inspecteur, du gestionnaire régional et du directeur. Elle a aussi expliqué l’approche progressive que suit Transports Canada à l’égard des mesures d’application.

[20]  Mme Madaire-Poisson a déclaré qu’il y avait eu des incidents semblables en octobre et en décembre 2015, ainsi qu’un troisième en mars 2016. L’ISF avait donc effectué une enquête administrative en vue de recueillir tous les éléments de preuve qui avaient mené à l’envoi d’une lettre d’avertissement à VIA Rail (pièce M-2), datée du 4 août 2016.

[21]  Mme Madaire-Poisson a confirmé que la pièce M-3 était la lettre de réponse, datée du 11 août 2016, dans laquelle VIA Rail expliquait les mesures correctives qu’elle avait prises.

[22]  Mme Madaire-Poisson a confirmé que l’inspecteur et la direction de TC étaient satisfaits des mesures correctives prises par VIA Rail, et qu’une lettre relative au caractère suffisant des mesures prises avait été rédigée, puis signée par Mme Diogo, directrice générale, Direction de la sécurité ferroviaire.

[23]  Mme Madaire-Poisson a expliqué qu’entre le moment où la lettre a été présentée à Mme Diogo pour signature et le moment réel où la lettre aurait dû être signée, VIA Rail avait été impliquée dans un autre incident semblable.

[24]  La directrice générale a retenu la lettre (pièce M-4, lettre relative au caractère suffisant des mesures prises (non envoyée), datée du 9 septembre 2016), jusqu’à ce que l’inspecteur mène une enquête supplémentaire.

[25]  Mme Madaire-Poisson a expliqué les diverses parties et sections de la liste de vérification relative à la prise de décisions de la sécurité ferroviaire (pièce M-5) et a indiqué quelle règle avait été enfreinte, le degré de gravité, le résumé des faits, la preuve documentaire et d’autres détails.

[26]  Mme Madaire-Poisson a expliqué que plusieurs erreurs de date avaient été commises dans la liste de vérification. Des corrections y ont été apportées lors du témoignage. M. Hodson a convenu que l’on apporte des changements à la pièce M-5 au cours du témoignage.

[27]  Mme Madaire-Poisson a aussi expliqué les facteurs aggravants et les facteurs atténuants, de même que le processus administratif, lequel consistait à envoyer le document au gestionnaire régional pour commentaires. Elle a déclaré que Mme Diogo avait décidé de mettre de côté le non‑respect de la règle 34 du REFC et de mettre l’accent sur la règle 439, vu le nombre récent de cas de non-respect de cette règle.

[28]  Mme Madaire-Poisson a expliqué la méthode de calcul employée pour déterminer le montant de l’amende à imposer à la compagnie de chemin de fer. Elle a ajouté que le montant maximal prévu pour le non-respect de la règle 439 est de 125 000 $, mais que, dans le cas d’une première infraction, il s’agissait de 30 pour cent de ce montant, soit un montant de base moyen de 37 500 $. Chaque facteur aggravant vaut 14 583 $, et l’on soustrait 6 pour cent pour chaque facteur atténuant que l’on relève.

[29]  Mme Madaire-Poisson a ensuite expliqué la justification des facteurs aggravants et atténuants, et elle a confirmé que le montant total de la SAP s’élevait à 39 583,08 $.

Contre-interrogatoire par la requérante

[30]  Mme Madaire-Poisson a fourni d’autres renseignements sur sa carrière à Transports Canada. Elle a confirmé d’autres informations déjà données au sujet de la direction régionale et des pièces que le ministre a présentées.

[31]  M. Hodson a cité plusieurs extraits des pièces M-3 et M-4, et Mme Madaire-Poisson les a commentés.

[32]  Mme Madaire-Poisson a expliqué que VIA Rail avait pris des mesures correctives, non pas à la suite de la lettre d’avertissement mais de sa propre initiative.

[33]  Mme Madaire-Poisson a également souscrit aux énoncés que M. Hodson avait cités à propos de l’incident de VIA Rail du 11 mars 2016, affirmant que VIA Rail avait pris des mesures correctives avant l’envoi de la lettre d’avertissement.

[34]  Mme Madaire-Poisson a confirmé qu’elle n’avait pas fait de suivi auprès de VIA Rail au sujet de la lettre datée du 11 août dans laquelle VIA Rail avait décrit les mesures prises et confirmé qu’elle continuerait d’améliorer la gestion des risques pour la sécurité qui étaient associés à ses activités ferroviaires.

[35]  Mme Madaire-Poisson a confirmé qu’un courriel daté du 11 août 2016 (pièce A-1) avait été envoyé au bureau régional lui demandant de confirmer si les mesures que VIA Rail se proposait de prendre étaient satisfaisantes.

[36]  Mme Madaire-Poisson a confirmé qu’une note de service adressée à Mme Stephanie Lines (directrice, Opérations, Transports Canada), en date du 1er septembre 2016 (pièce A-2), incluait une lettre relative au caractère suffisant des mesures prises, elle aussi datée du 1er septembre 2016, à faire signer par Mme Diogo, une mesure qu’avait recommandée le bureau régional et qui confirmait que non seulement les mesures que VIA Rail se proposait de prendre étaient satisfaisantes, mais que VIA Rail les mettait effectivement en application.

[37]  Mme Madaire-Poisson a souscrit à la déclaration de M. Hodson selon laquelle, dans la lettre relative au caractère suffisant des mesures prises, aucune mention n’était faite de mesures additionnelles nécessaires, et voulant que le ministère était satisfait des mesures que VIA Rail avait prises.

B.  Requérante

(1)  Marc Beaulieu

[38]  M. Beaulieu, chef, Transport et sécurité, et gestionnaire supérieur responsable de la sécurité à VIA Rail, compte 39 ans d’expérience dans le transport de passagers, tant au CN qu’à VIA Rail.

[39]  M. Beaulieu a expliqué qu’à son entrée en fonction à titre de chef des transports et de la sécurité, il y avait un nombre élevé d’infractions pour avoir dépassé des limites d’autorisation. Il a élaboré et introduit au sein de VIA Rail une nouvelle culture de la sécurité en travaillant avec les syndicats et leurs membres, ainsi qu’en mettant au point de nouveaux outils et de nouvelles initiatives, dont, notamment, la tenue d’un atelier trimestriel sur la sécurité.

[40]  Il a ensuite expliqué comment les ateliers étaient structurés et a déclaré que tous les employés étaient libres de s’exprimer librement, et que l’on recourait à des séances de remue-méninges pour trouver des solutions.

[41]  M. Beaulieu a confirmé qu’il était au courant de l’incident du 5 septembre 2016 et il a expliqué qu’il avait laissé l’équipe de première ligne s’occuper des détails et formuler des recommandations en vue de la prise de mesures correctives, après quoi l’incident avait été transmis à son niveau en vue de la tenue d’une enquête plus poussée.

[42]  M. Beaulieu a expliqué le chemin critique que suivent les équipes avant la prise en charge d’un train : séance d’information appropriée et examen des BMT (bulletins de marche tabulaires), instructions spéciales, restrictions, etc.; il y avait aussi le fait que les membres de l’équipe de train signaient les BMT de l’un et de l’autre, ce qui démontrait qu’ils avaient passé en revue la totalité des renseignements pertinents et importants.

[43]  M. Beaulieu a confirmé qu’il était au courant de l’énoncé des faits figurant à la pièce M‑1. Il a confirmé qu’au cours de son enquête il avait conclu que M. Roberts et M. Campbell s’étaient conformés non seulement aux règles mais aussi aux instructions spéciales de VIA Rail concernant l’examen du BMT. Il a ajouté que l’équipe avait relevé les restrictions et semblait être suffisamment préparée pour comprendre les restrictions à respecter.

[44]  M. Beaulieu a continué en expliquant qu’au cours de son enquête il avait examiné tous les facteurs contributifs possibles. Il a confirmé qu’ils avaient déclaré eux-mêmes l’erreur et il a expliqué qu’il s’agissait là d’un facteur important pour la culture de la sécurité à VIA Rail, car cette entreprise se servait des informations recueillies pour rehausser la sécurité.

[45]  M. Beaulieu a expliqué de quelle façon une situation peut survenir et inculquer un comportement mental. Par exemple, lorsqu’un train de marchandises quitte le point de contrôle, l’équipe de train peut se forger un modèle mental qui fait en sorte qu’elle présume qu’elle aura un signal de voie libre au moment où le train de marchandises libérera la voie.

[46]  M. Beaulieu a ajouté que tous les renseignements recueillis sont ensuite transmis et partagés lors des activités de formation des employés. Il a fait état d’informations supplémentaires sur la formation des employés; par exemple, VIA Rail a adopté le modèle de formation du CN et y a ajouté une formation d’une durée de 18 mois appelée « Midterm Cab Concentration Awareness » [Sensibilisation à la concentration des occupants des cabines à mi-parcours].

[47]  M. Beaulieu a expliqué le document intitulé « Passenger Train Instructions » [Instructions relatives aux trains de voyageurs] (pièce A-4, onglet 6) et le fait que VIA Rail n’effectue que 4 % de ses activités sur ses propres voies et que le reste des activités a lieu sur des infrastructures destinées aux trains de marchandises, à l’exception d’un petit tronçon du GO Transit. Il a ajouté que cette activité de formation procure aux équipes une définition claire des attentes de VIA Rail quant à l’exploitation d’un train de voyageurs, au degré élevé de responsabilité qu’elles assument, ainsi qu’à l’importance critique d’exercer ses fonctions le plus parfaitement possible.

[48]  M. Beaulieu a convenu qu’en plus du REFC, et après avoir terminé le processus de vérification, les membres d’une équipe doivent échanger leur copie du BEQ (bulletin d’exploitation quotidien) ou du BMT avec leurs collègues de travail et parapher chaque BMT. À la dernière page, ils doivent signer et inscrire lisiblement leur nom complet et leur NIP (numéro d’identification personnel). Cette mesure, a-t-il ajouté, a pour but de s’assurer que les deux membres d’une équipe ont le même BMT.

[49]  M. Beaulieu a ensuite confirmé que MM. Roberts et Campbell s’étaient tous deux conformés aux instructions spéciales de VIA Rail en matière de contre-vérification du BMT, et que tous deux y avaient apposé leur signature et inscrit leur NIP.

[50]  M. Hodson a cité la politique de la « Cab Red Zone (CRZ) » et M. Beaulieu a souscrit à ses diverses instructions, dont la question de savoir ce que l’équipe doit communiquer ou non au moment de s’approcher d’une zone à accès restreint. Il a ajouté que la raison pour laquelle il y a des restrictions sur le plan des communications avec le directeur des services ou d’autres membres de l’équipe de train, à moins d’une urgence médicale, est de s’assurer que l’on se concentre sur le prochain signal d’ARRÊT ABSOLU.

[51]  M. Beaulieu a confirmé que le 12 décembre 2015 un avis aux employés d’exploitation, no HQ15-22 (pièce A-15), avait été émis; ce document décrivait ce qui s’était passé lors de l’incident du 11 décembre 2015.

[52]  M. Beaulieu a expliqué que l’avis HQ16-05, daté du 14 mars 2016 (pièce A-16, onglet 27) avait été émis en guise de rappel de l’incident et pour « tenir tout le monde sur un pied d’alerte ». Il a ajouté qu’il était important d’émettre un tel avis le plus rapidement possible afin de susciter un dialogue entre les mécaniciens de locomotive, et non pour s’en servir comme mesure punitive.

[53]  M. Beaulieu a décrit l’intention derrière l’instruction spéciale, entrée en vigueur le 25 février 2016 (pièce A‑17, onglet 28), au sujet des systèmes de surveillance de cabine qui effectuent un contrôle à distance pour déterminer si les équipes se conforment à l’instruction. De plus, une technologie appelée « Information sur l’état du train », calcule la vitesse du train à  l’aide d’un système de localisation GPS dans le corridor Québec-Windsor. Il a ajouté que, depuis la mise en œuvre de ce système, VIA Rail n’avait pas commis d’infraction de « dépassement de limites d’autorisation » depuis le 5 septembre 2016. Il a également fait état d’autres avantages de ce système sur le plan de la sécurité.

[54]  M. Beaulieu a parlé de la formation que M. Roberts avait suivie (pièce A-5) et il a déclaré que même si ce dernier avait suivi une formation à CP Rail, VIA Rail lui avait fourni une formation supplémentaire, puisque VIA Rail n’exploitait que des trains de voyageurs. Il a également mentionné que la note de passage, pour la formation relative au REFC, était de 80 pour cent, mais que VIA Rail exigeait une note de 90 pour cent.

[55]  M. Beaulieu a également parlé de la familiarisation au territoire, initiative dans le cadre de laquelle un nouvel employé circule à bord des trains à titre de troisième membre d’une équipe pour se familiariser avec le territoire, les signaux et d’autres subtilités.

[56]  M. Beaulieu a ensuite confirmé que les pièces A-7 (onglet 14) et A-8 (onglet 15) avaient été utilisées dans le cadre de la formation de M. Roberts en janvier 2016. Il a ajouté que ces documents avaient pour but d’atténuer les erreurs imputables à des facteurs humains en montrant les techniques appropriées, et de veiller à ce que chacun comprenne ce qui pouvait arriver lors d’un voyage.

[57]  M. Beaulieu a expliqué les catégories d’erreur humaine, qui comportent les « méprises, oublis et erreurs », et il a donné des exemples de la manière dont non seulement VIA Rail, mais aussi l’industrie les traitent de façon à atténuer les erreurs humaines.

[58]  Il a continué en expliquant comment VIA Rail contrôle l’équipe de train à son insu en se garant le long de la ligne principale et en contrôlant à la fois les conversations radio des équipes de train et la vitesse du mouvement.

[59]  M. Beaulieu a informé le Tribunal que, le 3 septembre 2016, M. MacKenzie, un gestionnaire de VIA Rail en poste à Toronto, avait parcouru le tronçon de la subdivision Dundas avec M. Roberts en vue d’évaluer le rendement de ce dernier et de s’assurer qu’il se conformait aux règles. M. Beaulieu a ensuite fait référence à la pièce A-11, le rapport du contrôle à bord de M. Roberts, et il a confirmé qu’en 2016 il n’y avait eu aucun cas de non-conformité.

[60]  M. Beaulieu a parlé du dossier de discipline de M. Roberts (pièce A-12). Il a indiqué qu’étant donné que l’incident était considéré comme un « manquement à une règle capitale », M. Roberts s’était vu imposer 45 points d’inaptitude pour son défaut d’observer l’indication d’un signal; le nombre maximal de points d’inaptitude autorisés avant la cessation d’emploi est de 60. Il a ajouté que tous les douze mois les employés recevaient 20 points si leur dossier était sans tache.

[61]  M. Beaulieu a confirmé qu’il y avait eu une enquête du BST (Bureau de la sécurité des transports) qui avait conclu que M. Roberts n’avait pas observé la règle 34. Il a ajouté qu’il y avait un facteur contributif, soit que le contremaître avait déclaré qu’il allait  « suivre la voie nord », alors qu’il y avait une conversation avec le CCF (contrôleur de la circulation ferroviaire) qui qualifiait cette voie de  « voie de marchandises », ce qui constituait un modèle mental erroné. Le CN avait lui aussi fait enquête, car l’incident était survenu sur ses voies.

[62]  M. Beaulieu a expliqué l’incident en se fondant sur l’enquête. L’omission de M. Roberts, qui était survenue le 5 septembre, n’était pas liée aux deux incidents antérieurs. M. Roberts se concentrait sur une « limitation de vitesse » qui n’existait pas. Il avait la tête baissée lors d’un signal précédent et quand son collègue avait nommé le signal, il ne l’avait pas répétée et n’avait donc pas observé la CRZ et la règle 34.

[63]  M. Beaulieu a ajouté qu’étant donné que le train de marchandises passait, il s’attendait à voir un signal d’indication de voie libre lorsqu’il avait pris la courbe, ce qu’il n’avait pas vu, et que son collègue lui avait alors dit de serrer tous les freins d’urgence.

Contre-interrogatoire par le ministre

[64]  M. Beaulieu a confirmé que la formation mentionnée à la pièce A-7, onglet 14 (un guide de sensibilisation des occupants des locomotives) est un cours d’une durée d’une journée. Il a ajouté qu’à l’heure actuelle, on présente aux employés une activité de formation appelée Cab Awareness – 4 Pillars of Impact [Sensibilisation des occupants des cabines – 4 piliers d’impact] (pièce A‑7), ainsi qu’un diaporama sur la sensibilisation des occupants des cabines (pièce A-8). Il a mentionné que même s’il était un peu tôt pour en parler, VIA Rail avait fait l’achat d’un nouveau simulateur qui ferait partie de la formation relative à la sensibilisation des occupants des cabines. Il a ajouté que la formation serait assurée par d’anciens mécaniciens de locomotive, des membres du personnel interne ou des formateurs qualifiés.

[65]  M. Beaulieu a donné plus de détails sur la planification des activités de formation. Il a mentionné qu’en septembre 2015 VIA Rail était revenue à un programme complet de formation en classe d’une durée de deux semaines, qu’elle avait ajouté une activité de sensibilisation des occupants des cabines plus approfondie et que, au cours de la formation de 18 mois à mi‑parcours, le personnel suivait également une formation de recyclage qui porte sur les règles et la sensibilisation des occupants des locomotives.

[66]  M. Beaulieu a confirmé qu’à la suite d’un incident, et suivant la gravité de celui-ci, plusieurs options sont prévues en ce qui concerne la sensibilisation des employés. Il peut s’agir de séances d’information à l’intention des équipes, de séances « maison », de discussions d’orientation, de bulletins et d’autres.

[67]  Quand on lui a demandé si l’on évaluait les aptitudes en matière de sensibilisation des occupants des cabines lors d’un voyage supervisé, M. Beaulieu a expliqué que le gestionnaire présent dans la cabine surveillait toutes les activités des membres de l’équipe de locomotive pour déterminer, par exemple, s’ils se préparaient adéquatement pour leur BMT, s’ils se rappelaient la vitesse à respecter, s’ils nommaient les signaux, s’ils réagissaient aux bons moments et s’ils faisaient fonctionner la locomotive correctement, de façon à ce que les clients fassent un voyage agréable. Il a ajouté d’autres exemples de ce que le superviseur évaluait.

Réinterrogatoire par M. Hodson

[68]  En réponse à la question de M. Hodson sur les mesures prises à la suite de l’incident du 11 décembre, M. Beaulieu a confirmé les informations déjà fournies plus tôt lors de l’interrogatoire, lesquelles comprenaient la tenue d’une « campagne éclair de sécurité » qui comportait des séances d’information destinées aux mécaniciens de locomotive.

[69]  M. Beaulieu a confirmé que VIA Rail avait demandé au CN d’intervenir au sujet des instructions des contremaîtres qui entraient en conflit avec les itinéraires des trains. De plus, une instruction spéciale jointe à l’avis visé à l’alinéa 578a) du REFC a été établie, avec le concours du CN et de la CFTC (Conférence ferroviaire de Teamsters Canada), pour obliger le mécanicien responsable d’une locomotive à transmettre un message radio sur les ondes du canal d’attente désigné, précisant l’indication donnée par le signal avancé du prochain emplacement contrôlé, point contrôlé ou enclenchement.

[70]  M. Beaulieu a ajouté que les mécaniciens de locomotive impliqués dans l’incident du 11 décembre 2015 n’étaient plus au service de VIA Rail, et il a confirmé que toutes les mesures correctives prises par VIA Rail l’avaient été de la propre initiative de cette dernière, sans lettre d’avertissement de Transports Canada.

IV.  ARGUMENTS

A.  Ministre

[71]  M. Villemure a traité des objectifs énoncés à l’article 3 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, lesquels consistent à pourvoir à la sécurité et à la sûreté du public et du personnel dans le cadre de l’exploitation ferroviaire, et à en faire la promotion.

[72]  Il a ensuite cité l’objectif mentionné à l’alinéa c), lequel consiste à reconnaître la responsabilité qui incombe aux compagnies d’établir, par leurs systèmes de gestion de la sécurité et autres moyens à leur disposition, qu’elles gèrent continuellement les risques en matière de sécurité.

[73]  M. Villemure a déclaré que VIA Rail n’avait pas toujours géré les risques comme elle aurait dû le faire. Il a cité l’article 17.2 de la LSF comme étant la disposition qui exige que les compagnies de chemins de fer se conforment aux règlements et aux règles qui sont établis sous le régime des articles 19 et 20, ce qui inclut le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada.

[74]  M. Villemure a fait référence à l’alinéa 3(1)b) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire, soit la disposition qui autorise l’imposition d’une sanction pécuniaire en l’espèce.

[75]  M. Villemure a fait référence au recueil de jurisprudence du ministre (onglet 3, page 72) ainsi qu’à la règle 439, qui illustre les signaux à feux rouges exigeant qu’un train s’immobilise lorsqu’il se trouve à la hauteur de ce type de signal. Il a déclaré qu’il s’agissait des signaux qui étaient affichés dans la subdivision Dundas le 5 septembre, date à laquelle le train 76 de VIA Rail circulait sur cette voie.

[76]  M. Villemure a référé à la défense de diligence raisonnable dont il est question dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 RCS 1299. La Ville de Sault Ste. Marie avait conclu une entente contractuelle avec une compagnie de gestion de déchets. La société polluait l’environnement car des déchets étaient déposés dans un ruisseau avoisinant situé à l’intérieur des limites municipales, et la ville avait été accusée en vertu des dispositions en matière de pollution de la législation provinciale.

[77]  M. Villemure a cité le passage suivant, extrait de la page 1331 de l’arrêt Sault Ste. Marie :

Lorsqu’un employeur est poursuivi pour un acte commis par un employé dans le cours de son travail, il faut déterminer si l’acte incriminé a été accompli sans l’autorisation ni l’approbation de l’accusé, ce qui exclut toute participation intentionnelle de ce dernier, et si l’accusé a fait preuve de diligence raisonnable, savoir s’il a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives.

[78]  M. Villemure a fait valoir que VIA Rail ne s’était pas acquittée de sa responsabilité. Elle avait un système mais ne s’est pas assurée que celui-ci fonctionnait efficacement.

[79]  M. Villemure a invoqué une autre affaire : R. c. Weyerhaeuser, [2000] BCPC 0227, et il a présenté l’historique de cette affaire, ainsi que la décision qui y a été rendue, dans laquelle il est fait référence à l’arrêt Sault Ste. Marie pour prouver une défense de diligence raisonnable :

Les systèmes préventifs en place, les efforts faits pour régler le problème, la célérité de leur réponse. Quelles sont les normes de l’industrie? S’agit-il de questions indépendantes de la volonté de l’accusé? Était-il prévisible que cela se puisse survenir?

[80]  M. Villemure a ajouté qu’il s’agissait tous là d’éléments qu’il était nécessaire de prendre en compte afin de déterminer si une personne avait fait preuve de diligence raisonnable ou non. Dans l’affaire Weyerhaeuser, la Cour a conclu que l’entreprise avait fait preuve de diligence. Il a ajouté que celle‑ci s’était efforcée de régler les problèmes, qu’elle avait agi avec célérité et qu’elle avait respecté les normes de l’industrie.

[81]  M. Villemure a indiqué que VIA Rail ne disposait pas d’un système préventif efficace et que ces incidents, ainsi que le type d’incidents, étaient et sont prévisibles.

[82]  M. Villemure a soutenu que le ministre s’était acquitté du fardeau de prouver que les événements du 5 septembre avaient bel et bien eu lieu, en vertu de l’énoncé des faits signé et des déclarations que le témoin de VIA Rail avait faites le 21 septembre 2017.

[83]  M. Villemure a indiqué au Tribunal que si l’on applique l’arrêt Sault Ste. Marie, le ministre n’avait pas le fardeau d’établir que VIA Rail avait pris des mesures raisonnables; il incombe plutôt à VIA Rail d’en faire la preuve.

[84]  M. Villemure a déclaré que, selon les témoignages, VIA Rail disposait d’un système. Elle forme ses employés, elle surveille leur rendement et elle a établi des instructions. Il s’est ensuite demandé si le système fonctionnait et s’il était efficace.

[85]  M. Villemure a mis en doute l’efficacité des avis que VIA Rail avait émis le lendemain des incidents afin d’indiquer aux équipes de train d’être vigilantes, et de leur rappeler les règles de sensibilisation des occupants des cabines. Il a conclu qu’il ne croyait pas que ces avis étaient suffisants, si l’on considérait les données factuelles qui avaient mené à l’imposition d’une sanction pécuniaire.

[86]  M. Villemure a une fois de plus porté à l’attention du Tribunal l’incident VIA 605 du 11 décembre 2015, au cours duquel les membres de l’équipe avaient omis de se rappeler les exigences en matière de signalisation. Cette affaire n’est pas liée à celle en l’espèce, mais il y a fait mention à titre d’exemple d’un incident au cours duquel les membres de l’équipe n’ont pas bien communiqué entre eux. Il a ensuite parlé de l’incident VIA 40, près de la ville de Cobourg, où le train avait franchi une liaison à une vitesse supérieure à celle permise.

[87]  M. Villemure a parlé de la formation que VIA Rail offre à ses équipes de train. La sensibilisation des occupants des cabines n’est qu’un concept d’équipe, selon le témoignage de M. Beaulieu. Il a ajouté que les équipes ne suivent une formation en vue de leur certification que tous les trois ans dans le cadre d’une activité de formation en classe et que la sensibilisation des occupants des cabines ne dure que huit heures, moins les pauses et l’heure du midi, ce qui donne en tout une journée de formation d’une durée de six heures et demie.

[88]  M. Villemure a ajouté qu’il croyait que M. Beaulieu aurait présenté en preuve les détails des activités de formation, qu’il aurait indiqué comment on surveille la formation dispensée et qu’il y aurait plus que seulement des mécaniciens de locomotive à la retraite pour dispenser la formation, comme par exemple des experts en facteurs humains.

[89]  M. Villemure a porté à l’attention du Tribunal plusieurs paragraphes du manuel de formation de VIA Rail et a ajouté que VIA Rail elle-même n’était au courant que d’une faible partie des problèmes, et qu’il ne s’agissait que de la « pointe de l’iceberg », comme il était indiqué à la page 10 du guide de sensibilisation des occupants des cabines de VIA Rail.

[90]  M. Villemure a ajouté que les trois incidents, tous reliés, avaient les mêmes causes fondamentales : les équipes ne communiquaient adéquatement. Les gens ne travaillaient pas en équipe. Il a fait valoir qu’aucune mention n’avait été faite de M. Campbell; tout le blâme avait été jeté sur M. Roberts.

[91]  M. Villemure a présenté au Tribunal quelques exemples de la manière dont les procédures sont appliquées dans le secteur du transport aérien, et de la façon dont les pilotes et les copilotes travaillent en équipe à l’approche d’un atterrissage.

[92]  Dans sa conclusion, M. Villemure a porté à l’attention du Tribunal les calculs de Mme Madaire-Poisson à propos des facteurs aggravants, le témoignage de M. Beaulieu au sujet d’un manquement à une règle capitale et le fait que VIA Rail avait collaboré avec Transports Canada. Il a toutefois ajouté que VIA Rail n’avait pas établi le bien-fondé de sa défense de diligence raisonnable.

B.  Requérante

[93]  M. Hodson a soumis au Tribunal que l’audience ne portait pas sur l’incident du 11 décembre 2015, ni sur celui de mars 2016, mais plutôt sur celui du 5 septembre 2016. Il a ajouté qu’il s’opposait vivement à ce que le ministre invoque des arguments concernant les deux incidents antérieurs et qu’il était injuste que VIA Rail doive traiter de ces incidents en plus de celui du 5 septembre.

[94]  M. Hodson a déclaré que le fait que Mme Madaire-Poisson avait deux incidents antérieurs sur sa liste de contrôle quand on avait décidé d’émettre un procès-verbal ne lui posait aucun problème; il s’agissait toutefois d’affaires différentes, et l’incident du 5 septembre était une affaire nouvelle.

[95]  M. Hodson a fait référence à l’incident du 5 septembre lui-même, alors que le train no 76 de VIA Rail avait dépassé de 20 pieds le signal d’arrêt, à une vitesse d’un mille à l’heure. Le train s’était presque arrêté. Il a ajouté qu’en aucun cas il avait soutenu que l’équipe n’avait pas enfreint la règle ; néanmoins, l’équipe avait entièrement collaboré avec l’ISF.

[96]  M. Hodson a cité en partie l’argument invoqué par le ministre dans l’arrêt Sault Ste. Marie, à la page 1325 :

Selon cette thèse, il n’incombe pas à la poursuite de prouver la négligence. Par contre, il est loisible au défendeur de prouver qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Cela incombe au défendeur, car généralement lui seul aura les moyens de preuve. Ceci ne semble pas injuste, vu que l’alternative est la responsabilité absolue qui refuse à l’accusé toute défense. Alors que la poursuite doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que le défendeur a commis l’acte prohibé, le défendeur doit seulement établir, selon la prépondérance des probabilités, la défense de diligence raisonnable.

[97]  Il a souligné la question du caractère raisonnable, en ce sens que la diligence raisonnable, et l’obligation de prendre des mesures raisonnables, n’exigent pas que VIA Rail prenne toutes les mesures concevables, ni ne réponde à une norme de perfection.

[98]  M. Hodson a fait référence à l’arrêt R. c. Deforest, 2013 SKPC 30, une décision de la Cour provinciale de la Saskatchewan, plus particulièrement au paragraphe 15, où il est écrit :

La diligence raisonnable n’exige pas qu’une personne garantisse qu’une infraction n’aura pas lieu; cette personne est plutôt tenue de démontrer qu’elle a pris « toutes les mesures raisonnables ».

[99]  Il a indiqué qu’on avait le sentiment que, lorsque l’incident du 5 septembre s’était produit, cela devait être parce que VIA Rail n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables. Il a ajouté que ce n’était toutefois pas le cas.

[100]  M. Hodson a également invoqué le paragraphe 257 d’une décision de la Cour provinciale de l’Alberta, R. c. Servisair Inc., 2012 ABPC 63, où est-il écrit :

Au vu de l’ensemble de la preuve qui m’a été soumise, je suis convaincu que la société défenderesse a convaincu la Cour, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables pour garantir la sécurité et la santé de son employé, M. Murgappa Naiker, et pour s’assurer qu’il portait son équipement de protection contre les chutes. La perfection n’est pas ce à quoi la Cour s’attend en ce qui concerne le critère de la diligence raisonnable et, tout bien considéré, la société défenderesse a pris toutes les mesures raisonnables pour prévenir l’accident et elle a exercé le soin et la diligence voulus pour éviter les infractions dont la Cour est saisie.

[101]  M. Hodson a présenté une autre décision en vue d’illustrer l’aspect important de la diligence raisonnable qui survient lorsque le manquement au règlement dépend entièrement de l’employé : R. c. Z-H Paper Products Ltd., 1979, CarswellOnt 1357, Cour divisionnaire de l’Ontario, paragraphe 18, qui indique en partie :

[…] lors de l’établissement et de l’exécution d’une activité industrielle, un employeur devrait, à juste titre, être responsable des actes de ses préposés […] Si l’on présume que l’employeur a pris toutes les mesures de précaution raisonnables, comment peut-il éviter un manquement à un règlement qui dépend entièrement de l’employé si ce dernier commet l’acte interdit de manière délibérée, ou par sa propre négligence ou par inadvertance. Il est certain que dans ces circonstances, comme il a été dit : « La loi ne punit plus l’insouciance ou l’incapacité, ce qui servirait à promouvoir le bien-être de la collectivité, mais s’abat sur la victime à sa portée » […]

[102]  M. Hodson a poursuivi en citant une autre affaire, R. c. Procrane Inc., 1991, CarswellSask 229. Aux paragraphes 13 et 17, on peut lire :

Quand un employeur est accusé d’une infraction de responsabilité stricte, la question n’est pas de savoir si l’employé a pris les mesures raisonnables pour éviter l’infraction, mais plutôt si l’employeur a pris les mesures raisonnables pour éviter l’infraction.

[…]

À mon avis, Procrane a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter que l’on enfreigne le règlement. Il n’y a rien de plus qu’elle aurait pu faire ou qu’elle aurait dû raisonnablement faire pour éviter que son employé commette une erreur humaine.

[103]  M. Hodson a ensuite demandé ce que VIA Rail aurait pu faire de plus pour éviter le défaut de s’immobiliser à un signal d’ARRÊT ABSOLU.

[104]  M. Hodson a fait un survol des événements du 5 septembre, comme le fait d’examiner le BMT, le fait d’indiquer les signaux et le fait de croire que la limitation de vitesse était encore en vigueur. Pourtant, M. Roberts ne s’est pas conformé aux activités de formation qu’il avait suivies et aux règles auxquelles il était soumis. Il a ajouté que les employés sont tous humains et que parfois, malgré leurs efforts et leur concentration, ils ne suivront pas ce qu’on leur a appris au sujet des règles en vigueur.

[105]  M. Hodson a ensuite traité de la défense de diligence raisonnable. Il a reconnu que VIA Rail avait le fardeau de prouver la diligence raisonnable et a ajouté avoir clairement établi que VIA Rail avait pris des mesures raisonnables.

[106]  Il a ajouté que des règles claires avaient été mises en œuvre pour se prémunir contre cet incident. VIA Rail a fait part de ces règles de manière efficace à ses employés (Roberts et Campbell) et a dispensé une formation efficace. VIA Rail a pris des mesures de suivi et a exercé une surveillance en vue de s’assurer que l’on se conformait aux règles, et des conséquences concrètes étaient prévues en cas de manquements de la part des employés, des conséquences conçues pour assurer le respect des règles, et il a parlé de chacune d’elles.

[107]  M. Hodson a ensuite passé en revue le programme de formation, les procédures et la manière dont les employés sont formés et évalués, et il a également traité du matériel de formation et de son efficacité.

[108]  M. Hodson a énoncé les règles qui visaient directement M. Roberts et M. Campbell. Ils avaient l’obligation de passer en revue le BMT et d’observer les signaux. VIA Rail avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer que M. Roberts avait lu le BMT et qu’il en comprenait l’importance. De plus, la CRZ est fort importante, car elle comporte des instructions et des règles additionnelles.

[109]  M. Hodson a parlé de la formation que dispense VIA Rail et il a dit croire que M. Villemure avait décrit erronément le document de formation de 80 pages. Il a ajouté qu’au cours de la formation, VIA Rail avait bel et bien fait appel à des experts, des personnes qui conduisent des trains, des personnes travaillant dans la cabine, et que l’équipe de train était évaluée.

[110]  M. Hodson a porté à l’attention du Tribunal le fait que la sensibilisation des occupants des cabines était un sujet dont il était question non seulement sur deux pages du programme de formation, mais aussi pendant toute la durée du programme de formation.

[111]  M. Hodson a fait mention des « catégories d’erreur humaine » et a attiré l’attention du Tribunal sur les facteurs liés au secteur ferroviaire. Il a également parlé de communications et du comportement humain.

[112]  M. Hodson a conclu ses propos en référant au témoignage de M. Beaulieu et en faisant des liens directs avec les mesures prises par les équipes en général et dans le cadre de l’incident particulier dont il est question en l’espèce.

V.  ANALYSE

[113]  Compte tenu du fait, d’une part, que VIA Rail a reconnu, dans le cadre de témoignages et en signant l’énoncé conjoint des faits, que l’infraction avait eu lieu, à savoir qu’il y avait eu manquement à la règle 439 du REFC quand ses employés ont omis d’immobiliser le train à un signal d’ARRÊT ABSOLU et ainsi manqué à une règle capitale de l’industrie le 5 septembre 2016 et, d’autre part, que VIA Rail a imposé des sanctions sévères à l’équipe de train (M. Roberts) en rapport avec cet incident, l’infraction a donc été prouvée.

[114]  J’examinerai maintenant si la requérante a fait preuve de toute la diligence raisonnable voulue pour éviter de commettre l’infraction. Dans l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie, la Cour suprême indique :

Lorsqu’un employeur est poursuivi pour un acte commis par un employé dans le cours de son travail, il faut déterminer si l’acte incriminé a été accompli sans l’autorisation ni l’approbation de l’accusé, ce qui exclut toute participation intentionnelle de ce dernier, et si l’accusé a fait preuve de diligence raisonnable, savoir s’il a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives. Une compagnie pourra invoquer ce moyen en défense si cette diligence raisonnable a été exercée par ceux qui en sont l’âme dirigeante et dont les actes sont en droit les actes de la compagnie elle-même.

[115]  Même si la requérante a établi à l’aide de preuves qu’elle dispose d’un programme de formation et de systèmes de surveillance des équipes (dans les cabines et en bordure de route), qu’elle organise des séances d’information régulières et qu’elle intervient immédiatement quand une infraction est relevée en en informant d’autres équipes, il n’a pas été prouvé que ces actes et ces mesures ont constitué un moyen approprié d’éviter la commission de l’infraction en cause.

[116]  Il est ressorti de la preuve que les inspecteurs de la sécurité ferroviaire, dans le cadre d’entrevues, ont confirmé que l’incident avait bel et bien eu lieu et que l’équipe de train avait admis avoir commis les erreurs de comportement relevées. Les ISF ont interrogé de manière efficace et efficiente l’équipe de train, ils ont pris des notes et ils ont consulté la Direction de la sécurité ferroviaire pour veiller à ce que l’on prenne des mesures correctives appropriées en vue d’assurer la sécurité des activités ferroviaires.

[117]  Le Tribunal conclut toutefois qu’on n’a pas pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’infraction. Comme l’a démontré la preuve, le ministre a approuvé le programme de formation de la requérante qui a été soumis à la Direction de la sécurité ferroviaire par l’entremise du programme SGS (Système de gestion de la sécurité), et la requérante a pris des mesures correctives immédiates. Le ministre ne peut pas jeter uniquement le blâme sur la requérante lorsqu’il approuve un programme de formation et soutient par la suite, après la commission d’une infraction, que ce programme était inefficace.

[118]  Bien que le ministre ait bel et bien prouvé que l’incident a eu lieu, il y a suffisamment de facteurs atténuants en l’espèce. Je réduis donc la sanction pécuniaire à 19 791,54 $.

VI.  DÉCISION

[119]  Le conseiller confirme le procès-verbal du ministre des Transports mais réduit la sanction administrative pécuniaire de 50 pour cent.

[120]  Le montant total de 19 791,54 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.

Le 20 mars 2018

(Original signé)

Gary Drouin

Conseiller

 

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