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Référence : Ian Murray Auld c. Canada (Ministre des Transports), 2019 TATCF 7 (révision)

No de dossier du TATC : C-4308-33

Secteur : aviation

ENTRE :

Ian Murray Auld, requérant

- et -

Canada (Ministre des Transports), intimé

Audience tenue à :

Winnipeg (Manitoba), les 6 et 7 novembre 2018

Affaire entendue par :

Arnold Olson, conseiller

Décision rendue le :

26 février 2019

[Traduction française officielle]

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D’UNE RÉVISION

Arrêt : Le ministre des Transports n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le requérant, Ian Murray Auld, a contrevenu à l’article 602.01 du Règlement de l’aviation canadien. La sanction pécuniaire de 1 000 $ est annulée.


I.  HISTORIQUE

[1]  Par un soir clair d’été, le 22 août 2016, les inspecteurs de Transports Canada Jennifer Fortier et Robert Fortier, qui profitaient d’une sortie en famille, franchissaient la rivière Assiniboine sur la route 44, dans la région rurale de Lockport, au Manitoba. Depuis le pont de la route 44, Mme Fortier a vu au loin un hélicoptère Robinson R44 garé dans un vaste stationnement en gravier adjacent au restaurant Skinner’s, situé sur River Road. Le couple, accompagné de sa fille, s’est dirigé vers l’appareil afin d’enquêter. En arrivant dans le stationnement, ils ont trouvé l’hélicoptère sans surveillance. Comme Jennifer Fortier était à l’époque une nouvelle inspectrice à l’emploi de Transports Canada, ils ont communiqué avec le bureau, puis ont reçu l’instruction de rester en retrait, d’observer et d’attendre. Après 10 ou 15 minutes, ils ont vu deux personnes s’approcher et entrer dans l’aéronef. Aussi, les deux inspecteurs ont photographié et filmé le démarrage du moteur, le réchauffage et le décollage de l’hélicoptère.

[2]  L’inspectrice Jennifer Fortier a préparé et soumis un avis de détection (pièce M-1) pour une possible violation du paragraphe 602.13(1) du Règlement de l’aviation canadien (RAC), qui interdit l’atterrissage ou le décollage d’un aéronef à l’intérieur d’une zone bâtie à moins qu’il ne soit effectué à un aéroport ou un héliport. William Scholefield, un enquêteur de l’application de la loi, a reçu l’avis, puis a préparé un rapport d’application de la loi en aviation (pièce M-5), appliquant l’allégation à la violation d’une disposition différente — soit l’article 602.01 du RAC. Le 10 mars 2017, l’intimé a délivré un avis d’amende pour contravention de 1 000 $. L’avis précise en partie que :

Le ou vers le 22 août 2016, à ou dans les environs de Lockport, au Manitoba, vous, Ian Murray AULD, avez utilisé un hélicoptère, soit un Robinson R44II portant l’immatriculation canadienne C-GRHM, d’une manière imprudente ou négligente qui constituait ou risquait de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne.

Contraire à l’article 602.01 du Règlement de l’aviation canadien.

[3]  Le même jour, le 10 mars 2017, M. Auld a fait une demande de révision auprès du Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal), et a en outre demandé qu’une requête en divulgation complète de la preuve soit transmise à Transports Canada. Ce n’est que le 26 mars 2018, un an plus tard, que Transports Canada a remis une copie de ses éléments de preuve à M. Auld.

[4]  Dans un exposé conjoint des faits en date du 6 novembre 2018, les deux parties ont convenu que l’hélicoptère immatriculé C-GRHM est enregistré au nom de 3133796 Manitoba Ltd., qu’Ian Murray Auld détient une licence canadienne de pilote privé d’hélicoptère et que M. Auld était le commandant de bord de l’hélicoptère le 22 août 2016, lors de l’atterrissage et du décollage en cause.

II.  QUESTION PRÉLIMINAIRE

A.  Qualification des témoins experts

[5]  Les deux parties ont présenté un candidat au titre de témoin expert. Le requérant a avancé le nom de John Swallow. J’ai inscrit au dossier que j’avais précédemment reconnu à M. Swallow la qualité d’expert dans une autre affaire, Friesen c. Canada (Ministre des Transports), 2015 TATCF 9 (Friesen), encore que je n’ai pas partagé toutes ses conclusions. Après avoir examiné les qualifications techniques de M. Swallow, je le reconnais comme étant un témoin expert pour le requérant, bien que je me réserve le droit d’attribuer à son témoignage la valeur probante appropriée.

[6]  À la suite de l’audience, par souci d’équité et avec l’accord des parties, j’ai aussi conféré à Daniel Stelman le titre de témoin expert pour le ministre.

III.  ANALYSE

[7]  En l’espèce, la disposition en cause est l’article 602.01 du RAC, qui se lit comme suit :

602.01 Il est interdit d’utiliser un aéronef d’une manière imprudente ou négligente qui constitue ou risque de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne.

[8]  Conformément au paragraphe 7.91(4) de la Loi sur l’aéronautique, après examen de l’avis d’amende pour contravention, il incombe au ministre d’établir que l’intéressé a contrevenu au texte désigné. La charge de preuve imposée au ministre est la norme civile prévue au paragraphe 15(5) de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada voulant que « la preuve repose sur la prépondérance des probabilités ».

A.  Définition

[9]  Alors que l’article 602.01 du RAC aborde l’utilisation imprudente ou négligente d’un aéronef, l’avis délivré à M. Auld réfère exclusivement à son imprudence. Si l’on se fie au rapport d’application de la loi en aviation et au témoignage de son auteur, l’enquêteur Scholefield, ce choix était délibéré. En conséquence, mon examen visera uniquement à évaluer si M. Auld a utilisé l’aéronef d’une manière imprudente.

[10]  Dans l’arrêt Francis Dominic Decicco c. Ministre des Transports, [1999] dossier du TAC n° C-1316-02 (appel), le comité d’appel du Tribunal a défini l’imprudence en citant la cinquième édition du Black’s Law Dictionary :

Impétuosité; insouciance, irréflexion. État d’esprit de celui qui commet un acte sans se préoccuper de ses conséquences néfastes probables ou éventuelles ou qui, tout en prévoyant ces conséquences, persiste néanmoins à commettre l’acte en question. Imprudence est un terme plus fort que négligence et, pour qu’une personne soit considérée comme imprudente, il faut que sa conduite traduise une indifférence pour les conséquences, dans des circonstances qui mettent en danger la vie ou la sécurité d’autres personnes, même si aucun tort n’est voulu.

[11]  Il semble que les actes relatifs à l’accusation d’avoir « utiliser un hélicoptère » le 22 août 2016 se soient déroulés en trois phases de vol — l’approche et l’atterrissage de l’hélicoptère, la période au cours de laquelle l’hélicoptère a été garé et laissé sans surveillance, ainsi que le démarrage du moteur et le décollage subséquents. Par conséquent, chacune de ces phases de vol sera examinée et, dans chaque cas, deux questions seront posées :

  1. Est-ce que le requérant, M. Auld, a utilisé l’hélicoptère d’une manière imprudente?

  2. Est-ce que l’utilisation de l’hélicoptère a constitué ou risqué de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne?

B.  Est-ce que l’approche de M. Auld et l’atterrissage de l’hélicoptère ont été effectués de manière imprudente? Cela a-t-il constitué ou risqué de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne?

[12]  Je remarque d’emblée que la violation alléguée ne découlait pas d’une plainte du public, et que le ministre n’a présenté ni témoin oculaire ni élément de preuve factuelle que ce soit relativement à la nature de l’approche et de l’atterrissage de l’hélicoptère. L’affaire est simplement née de l’observation des deux inspecteurs qui ont vu l’hélicoptère déjà garé et immobile dans le stationnement en gravier adjacent au restaurant Skinner’s.

[13]  Pendant que l’enquêteur Scholefield préparait son rapport, il a demandé l’opinion de Daniel Stelman, qui a également livré un témoignage d’expert lors de l’audience en révision. Selon M. Stelman (pièce M-6), la décision d’atterrir était mal avisée, si ce n’était un mépris délibéré pour la sécurité :

Vu qu’aucune mesure n’avait été prise pour protéger les personnes au sol à proximité du restaurant, c’est-à-dire du personnel de sécurité ou l’installation de barrières avant l’atterrissage, cela a fait de cet endroit un site d’atterrissage et de décollage « non contrôlé » et inapproprié pour un hélicoptère dans ces circonstances.

À mon avis, l’hélicoptère a constitué une menace inutile pour les personnes au sol près du restaurant; les risques n’ont pas été « gérés » de façon acceptable; c’était dangereux d’atterrir à cet endroit.

[14]  Par ailleurs, lors de l’audience en révision, M. Auld a présenté des éléments de preuve relatifs à sa planification, sa préparation, ainsi qu’à son approche et à l’atterrissage de l’hélicoptère. Il a décrit l’inspection visuelle qu’il avait faite du lieu d’atterrissage prévu afin de déterminer sa convenance. Le jour du vol, un lundi, il a communiqué avec le gérant du restaurant Skinner’s et a obtenu la permission d’y faire atterrir son hélicoptère. Il a précisément demandé s’il pouvait poser son hélicoptère dans le champ gazonné adjacent au restaurant, mais le gérant a indiqué que le stationnement en gravier serait peut-être une meilleure option, car on ne l’utilisait que le dimanche pour la tenue d’un marché fermier. Comme il s’approchait du lieu d’atterrissage aux commandes de son hélicoptère, il l’a survolé en altitude pour identifier d’éventuelles menaces à la sécurité, avant de descendre. Environ 20 ou 30 secondes avant l’atterrissage, son passager, Adam Auld, a pris une photographie du site d’atterrissage prévu. Cette photo (pièce A-1B) montre un grand stationnement en gravier entièrement libre de toute personne ou véhicule. M. Auld est descendu au-dessus du terrain gazonné, puis a lentement circulé au ras du sol jusqu’au stationnement en gravier, vérifiant du même coup si le gravier se déplaçait. Voyant que tout semblait normal, il a fait atterrir son appareil. L’atterrissage s’est déroulé sans incident; il a mis le frein rotor, a verrouillé l’hélicoptère, puis ils sont allés à l’intérieur manger un hot dog et de la crème glacée.

[15]  Pour que le Tribunal en vienne à la conclusion que M. Auld a contrevenu à l’article 602.01 du RAC, le ministre doit établir en l’espèce que le requérant a utilisé son aéronef d’une manière imprudente qui constituait ou risquait de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne. En examinant le témoignage d’expert de M. Stelman, je constate qu’il a nuancé ses observations écrites remises à l’enquêteur Scholefield en déclarant : « Cependant, il m’est difficile, à partir des photos et des vidéos, d’avoir une compréhension claire et précise du niveau de menace ou de danger que la situation a créé. » En ce qui concerne l’approche et l’atterrissage de l’hélicoptère, je dois tenir compte de ses observations sur la gestion des risques — c’est-à-dire le degré de danger pour les personnes ou les biens lorsque l’appareil s’est approché et a atterri, constituant « une menace inutile pour les personnes au sol à proximité du restaurant… » — et les interpréter à la lumière des preuves photographiques démontrant clairement que le stationnement en gravier était complètement vide à ce moment-là. Bien que j’accepte la proposition du ministre voulant que l’article 602.01 du RAC n’exige pas la présence d’un danger réel pour la vie ou la propriété dans la commission d’une contravention, il doit être établi que ce danger est « probable ». Outre les renseignements provenant de Google Maps, le ministre n’a présenté aucune preuve directe en ce qui concerne l’approche et l’atterrissage, sauf l’opinion de M. Stelman qui découlait des photographies et de la vidéo d’un hélicoptère déjà stationné au sol. Pourtant, des preuves photographiques aériennes présentées par le requérant montrent clairement que personne n’était présent dans le stationnement en gravier au moment de l’approche et de l’atterrissage. Il incombe au ministre d’établir la vraisemblance d’un fait. Je conclus que le ministre n’a pas prouvé que M. Auld a effectué une approche et l’atterrissage de son hélicoptère d’une façon qui était susceptible de créer un danger pour les personnes, alors qu’en fait aucune personne n’était présente sur les lieux à ce moment-là. De même, l’emplacement de l’hélicoptère stationné m’amène à conclure qu’il n’a pas été prouvé que l’approche et l’atterrissage ont constitué un risque pour la propriété.

C.  M. Auld a-t-il été imprudent en laissant l’hélicoptère sans surveillance dans le stationnement? Est-ce que la présence de l’appareil constituait ou risquait de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne?

[16]  Le seul élément de preuve fourni par le ministre en ce qui concerne les risques créés par la présence de l’hélicoptère stationné, moteur éteint, est les deux pièces fournies par les inspecteurs Jennifer et Rob Fortier (pièces M-3 et M-4). Ces photographies ont été prises pendant les 10 à 15 minutes où ils observaient l’hélicoptère sans surveillance. Elles montrent, au plus, la présence d’un spectateur prenant une photo de l’hélicoptère, et deux autres personnes en conversation avec le pilote. Le fait qu’on n’ait pas entouré l’hélicoptère de cônes ou de barrières de signalisation n’a aucune importance, car le règlement ne l’exige pas. La preuve indique que M. Auld et son passager étaient probablement dans les environs immédiats. Interrogée à savoir si la simple présence de l’hélicoptère dans le stationnement constituait un danger, l’inspectrice Jennifer Fortier a répondu que ce n’était pas le cas. On ne peut affirmer que la présence de l’hélicoptère immobile dans le stationnement constituait un risque de danger pour les personnes ou les biens.

D.  Est-ce le démarrage du moteur et le décollage de l’hélicoptère à partir du stationnement en gravier ont été effectués d’une manière imprudente? Est-ce que ces manœuvres constituaient ou risquaient de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne?

[17]  Selon le ministre, les manœuvres de démarrage et de décollage de M. Auld ont créé de nombreuses possibilités de danger pour des personnes ou des biens. Un véhicule aurait pu entrer dans le stationnement à partir de River Road — la petite route en face du stationnement — et frappé l’hélicoptère. Un grand fourgon aurait pu s’approcher de l’hélicoptère et heurter les pales de rotor. Puisque la zone n’était pas sécurisée, un véhicule, un adulte, des enfants ou des animaux auraient pu s’approcher de l’hélicoptère et être frappés par le rotor de queue. Du gravier meuble aurait pu être projeté et causer des blessures ou des dommages, ou des poubelles en plastique auraient pu être soufflées par la déflexion de l’air vers le bas. Au moment où l’hélicoptère décollait, un véhicule aurait pu apparaître sur la route et être survolé de très près. Au cours du décollage ou en volant à basse altitude, l’hélicoptère aurait pu subir une panne mécanique majeure et créé dès lors un danger pour les personnes au sol. Comme l’a dit l’enquêteur Scholefield, «… si… pour une raison quelconque, il fait un mouvement de roulis, alors ces pales de rotor… deviennent comme des éclats d’obus ». Le ministre a évoqué ces spectres de scénarios dramatiques parmi les possibilités qui auraient pu se présenter. En résumé, ces possibilités constituent de l’imprudence de la part de M. Auld. Le ministre a soutenu que ces dangers possibles ont créé un risque de danger pour les personnes ou les biens, ce qui constituait donc une violation de l’article 602.01 du RAC.

[18]  M. Auld soutient que la « possibilité » d’un danger n’équivaut pas à un « risque » de danger comme l’exige le RAC. Il a fait valoir que pour bien évaluer s’il existait un risque de danger, on devait examiner la preuve du ministre. J’ai observé attentivement et à plusieurs reprises la preuve du ministre constituée de photos et d’une vidéo (pièces M-3 et M-4). Ces éléments de preuve appuient la déclaration sous serment de M. Auld voulant qu’il ait parlé avec des passants pendant un certain temps, avant de leur dire de s’éloigner à une distance sécuritaire alors qu’il faisait démarrer le moteur, puis décollait. On a demandé à Chris Mitchell, un spectateur impartial qui apparaît sur les photos, s’il s’était senti en danger à un certain moment. Ce à quoi il a répondu : « Non, non. » Il a indiqué que lorsque l’hélicoptère avait décollé, il avait été étonné par la banalité de la situation : « Lorsqu’il a décollé, il n’y avait vraiment pas de raison de s’inquiéter… nous n’avons absolument pas senti le vent nous atteindre… » Il a témoigné qu’aucun objet n’avait été endommagé ou soufflé par le vent. Bien que j’accepte le point de vue du ministre selon lequel on ne doit pas compter sur une personne sans expérience en aviation pour déterminer si un aéronef constitue un risque de danger, les déclarations de M. Mitchell corroborent ce que montre la vidéo du ministre; M. Auld a effectué un démarrage du moteur et un décollage sans incident qui ne risquaient pas de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne.

[19]  Le ministre a fait référence à d’autres affaires où le Tribunal devait déterminer si une violation de l’article 602.01 du RAC avait eu lieu. Dans Bellefleur c. Canada (Ministre des Transports), 2016 TATCF 13 (révision) (Bellefleur), on décrit la situation où un pilote transportant des passagers contre rémunération arrête délibérément son moteur en approche finale, ostensiblement pour démontrer la sécurité de l’aéronef. Le conseiller en révision a conclu que l’arrêt délibéré du moteur en cours de vol avait compromis la sécurité du vol. Le représentant du ministre avait fait valoir que :

Lorsqu’ils réagissent à une allégation de violation de cette disposition [l’article 602.01], les pilotes soulèvent souvent l’argument voulant que si rien n’était arrivé, alors aucune violation n’avait eu lieu. Cependant, cet argument ne tient pas la route. Dans cette affaire [Bellefleur], bien que le résultat ait été favorable, le geste d’arrêter le moteur en cours de vol était intrinsèquement susceptible de constituer un danger pour la vie ou les biens.

[20]  Toutefois, dans le cas présent, à la différence de Bellefleur, on ne peut pas affirmer que le décollage d’un hélicoptère risque intrinsèquement de constituer un danger pour la vie ou les biens. M. Swallow, un témoin expert, a évoqué un article publié par la Flight Safety Foundation (pièce A-5), « Mesurer la sécurité des hélicoptères monomoteurs et bimoteurs », selon lequel le fait qu’une personne au sol soit blessée par l’utilisation d’un hélicoptère risque de se produire tous les 25 000 ans, en fonction d’un vol par jour.

[21]  Le représentant du ministre a également fait référence à une affaire entendue par le Tribunal (Friesen) dans laquelle un pilote d’hélicoptère est filmé en train de faire glisser son aéronef à travers un groupe de joueurs de hockey sur la surface gelée d’un lac isolé, en Colombie-Britannique. Toutefois, dans ce cas, le conseiller en révision avait conclu que le pilote avait été négligent, plutôt qu’imprudent. En l’espèce, l’acte d’accusation ne fait pas mention de négligence.

[22]  En résumé, les manoeuvres de M. Auld ont été photographiées et filmées sur bande vidéo par les inspecteurs Jennifer et Rob Fortier. Ces éléments de preuve montrent M. Auld s’entretenant avec quelques personnes qui se retirent ensuite jusqu’à un point qui semble constituer une distance sécuritaire. Comme l’a indiqué l’inspectrice Jennifer Fortier, elle était avec sa fille et se sentait dans un endroit sûr. La preuve vidéo ne montre aucune personne se trouvant plus près de l’hélicoptère qu’elles ne l’étaient au moment du décollage. L’hélicoptère se trouve seul dans un grand stationnement en gravier complètement vide; le moteur démarre et se réchauffe brièvement. On voit alors l’hélicoptère quitter le sol et effectuer un décollage tout à fait banal face au vent. L’hélicoptère n’est pas en position de piqué prononcé; il bondit simplement dans les airs et s’envole. Aucun gravier n’est dispersé, aucune poussière n’est soulevée. Le décollage se déroule sans plus grand risque de danger apparent que dans le cas de tout autre décollage d’hélicoptère.

[23]  Dans ce cas précis, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le ministre ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver que M. Auld avait agi de façon imprudente, telle que définie ci-dessus dans les présents motifs. On ne peut non plus dire que les possibilités de scénarios tragiques s’ajoutent à la preuve d’un risque de danger pour les personnes ou les biens. La preuve du ministre n’appuie pas du tout l’une ou l’autre de ces affirmations. Par conséquent, j’en viens à la conclusion que le ministre n’a pas établi qu’il y avait eu violation de l’article 602.01 du RAC.

[24]  Cependant, comme l’a fait le ministre, je mets aussi en doute la sagesse de la décision de M. Auld d’atterrir dans le stationnement en gravier plutôt que dans le champ gazonné et clôturé attenant. Bien que sa preuve photographique montre qu’aucune personne ni aucun véhicule n’était sur place au moment de l’atterrissage, il a limité ses options pour le décollage à venir. En atterrissant dans le stationnement en gravier, il ne pouvait s’assurer que l’espace soit tout aussi dégagé lors de son éventuel décollage. En outre, le champ clôturé aurait fourni une plus grande distance et protection aux passants lorsqu’il a enclenché les pales de rotor et a décollé. Je suis convaincu que si M. Auld avait atterri dans le champ gazonné, l’inspectrice Jennifer Fortier aurait été moins portée à y voir une entorse au règlement.

[25]  Avant de conclure, j’aimerais traiter brièvement du rapport d’application de la loi en aviation (pièce M-5) rédigé par l’enquêteur Scholefield. En pratique, un rapport d’application de la loi est un document qui sert à rassembler les faits pertinents afin de déterminer s’il existe des motifs suffisants pour justifier une accusation. Par conséquent, il est essentiel que le rapport soit précis, objectif et impartial, des qualités qui manquent manifestement au rapport de M. Scholefield. Par exemple, on peut y lire qu’« il n’y avait également aucune preuve que AULD a effectué une inspection de sécurité préalable du site pour déterminer si celui-ci convenait à un atterrissage ». Toutefois, le fait est que le ministre n’avait aucune preuve, d’une manière ou d’une autre, quant aux préparatifs que M. Auld aurait ou n’aurait pas effectués. En outre, son rapport indique qu’« il n’était pas nécessaire que AULD se rendre au restaurant Skinner’s en hélicoptère, avec un passager, pour y prendre un repas. Ils auraient pu s’y rendre par la route comme tout le monde le fait ». En fait, il n’existe aucune exigence réglementaire voulant qu’un vol récréatif soit nécessaire. Comme l’a fait remarquer le représentant de M. Auld, le vol récréatif est une liberté dont les Canadiens peuvent jouir en vertu de la Loi sur l’aéronautique. Les paroles de M. Scholefield qui a ajouté «… comme tout le monde le fait » constituent un commentaire indigne. En conséquence, j’attribue peu de valeur probante à ce document.

[26]  Enfin, il est inacceptable que le requérant, M. Auld, ait dû attendre plus d’un an pour recevoir le dossier de divulgation de la preuve du ministre. Bien qu’il n’en ait pas été question à l’audience en révision, le défaut de communiquer le dossier de divulgation en temps opportun constitue une violation fondamentale des principes de justice naturelle. Le paragraphe 7.91(3) de la Loi sur l’aéronautique exige que le Tribunal permette au ministre et à une personne qui a déposé une demande de révision « de présenter leurs éléments de preuve et leurs observations, conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle ». Dans la décision Norman Albert Baudisch c. Ministre des Transports, [1993] dossier du TAC no W-0182-02 (décision en appel du 5 octobre 1993) (Baudisch), le Tribunal indique que :

Le droit à se voir communiquer tous les renseignements utiles, est implicite dans le libellé de la Loi. Sans la divulgation en temps opportun de toute la preuve relative aux mesures d’exécution administratives prises par le ministre des Transports, le droit d’un titulaire de document à une audition équitable est compromis. Transports Canada a un rôle important à jouer pour permettre au système de bien jouer son rôle de mise au jour de la vérité.

Outre les dispositions précitées de la Loi sur l’aéronautique, l’article 7 de la Charte des droits et libertés du Canada insiste sur le droit à la connaissance de tous les renseignements utiles. Voici le texte de cet article :

« Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

Baudisch précise aussi que :

La divulgation doit se faire, si elle est demandée, juste après l’imposition d’une amende ou d’une suspension. La divulgation rapide va permettre au titulaire d’un document d’aviation de décider s’il convient de demander une révision par le Tribunal et ce processus, s’il est bien suivi, peut réduire le nombre des révisions demandées au Tribunal.

[27]  Si le ministre tarde manifestement à fournir le dossier de divulgation à un requérant, il invite alors ce dernier à utiliser des arguments fondés sur les règles d’équité procédurale et de justice naturelle, et sur les principes de l’article 7 de la Charte.

IV.  DÉCISION

[28]  Le ministre des Transports n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le requérant, Ian Murray Auld, a contrevenu à l’article 602.01 du Règlement de l’aviation canadien. La sanction pécuniaire de 1 000 $ est annulée.

Le 26 février 2019

(Original signé)

Arnold Olson

conseiller

Représentants des parties

Pour le ministre :

Catherine Newnham

Pour le requérant :

Joe Barnsley

 

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