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Référence : Cando Rail Services Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), 2019 TATCF 3 (appel)

No de dossier du TATC : H-4229-41

Secteur : ferroviaire

ENTRE :

Cando Rail Services Ltd., appelante

- et -

Canada (Ministre des Transports), intimé

Audience tenue à :

Winnipeg (Manitoba), le 28 juin 2018

Affaire entendue par :

George Ron Ashley, président

 

Michael Regimbal

 

Raymon Kaduck

Décision rendue le :

5 février 2019

[Traduction française officielle]

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D’UN APPEL

Arrêt : L’appel est accueilli en partie. Le comité d’appel annule la sanction administrative pécuniaire de 50 666,16 $ pour la violation de la règle 112(d) du REF. Le comité d’appel confirme la sanction administrative pécuniaire de 50 666,16 $ en raison de la violation de la règle 125 du REF.

Le montant de 50 666,16 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours de la signification de la présente décision.


I.  HISTORIQUE

[1]  Le 21 mars 2016, le ministre des Transports (ministre) a délivré un procès-verbal de violation (procès-verbal) à l’appelante, Cando Rail Services Ltd. (Cando), en raison de violations alléguées des règles 112(d), telle qu’elle existait alors, et 125 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et de l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF). Le procès-verbal se lit comme suit :

(a)  Le ou vers le 1er mars 2016, à ou près de Regina (Saskatchewan), sur la voie de contournement RA 28 de la subdivision Quappelle du CN, Cando Rail Services Ltd. a laissé le wagon GATX 67963 sans surveillance, et non fixé par un nombre de freins à main déterminé suffisant par une vérification de l’efficacité, contrevenant ainsi à la règle 112(d) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada et à l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, en exploitant du matériel ferroviaire sur un chemin de fer autrement qu’en conformité avec les règles adoptées en vertu des articles 19 ou 20 qui s’appliquent à Cando Rail Services Ltd.

(b)  Le ou vers le 1er mars 2016, à ou près de Regina (Saskatchewan), Cando Rail Services Ltd. a exploité du matériel ferroviaire sur un chemin de fer autrement qu’en conformité avec la règle 125 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada qui s’applique à cette compagnie, alors qu’un de ses employés a omis de répéter trois fois le mot « URGENCE » au début de sa transmission visant à signaler une situation éventuellement dangereuse pour les employés ou autres personnes, ou une situation qui risquait de compromettre la sécurité du passage des mouvements lorsque le wagon GATX 67963 est parti à la dérive sur la voie principale du CN, contrevenant ainsi à l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire.

Le ministre a imposé une sanction pécuniaire de 54 666,12 $ pour chacune des deux violations, pour un montant total de 109 332,24 $.

[2]  Cando a demandé une révision du procès-verbal auprès du Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal), et une audience en révision a eu lieu à Winnipeg (Manitoba), les 27 et 28 septembre 2016. Dans une décision rendue le 4 avril 2017, le conseiller en révision a confirmé les contraventions, mais réduit la sanction pécuniaire à 50 666,16 $ pour chaque infraction, soit une amende totale de 101 332,32 $.

[3]  Le 4 mai 2017, Cando a déposé une demande d’appel auprès du Tribunal, en invoquant 16 motifs d’appel. Les motifs principaux étaient les suivants :

  1. le procès-verbal est invalide parce qu’il réfère à la fois à des contraventions à la LSF et au REF,
  2. le REF n’est pas clair,
  3. une compagnie de chemin de fer ne peut être tenue responsable du fait d’autrui pour des violations de la LSF commises par ses employés,
  4. le conseiller en révision a commis une erreur dans l’interprétation et l’application de la défense de diligence raisonnable, et
  5. le conseiller en révision a omis de tenir compte de l’imposition de sanctions administratives pécuniaires (SAP) inférieures pour des infractions commises dans le cadre d’autres modes de transport de compétence fédérale qui relèvent du Tribunal.

II.  EXPOSÉ DES FAITS

[4]  Les faits n’étaient pas contestés. Les deux parties ont convenu des faits suivants :

  1. Aux fins du présent appel, Cando est une « compagnie de chemin de fer locale » telle que définie dans la LSF, et est donc de compétence fédérale. Cando reconnaît qu’elle était assujettie au REF au cours de la période en cause.
  2. Le 1er mars 2016, une équipe de Cando travaillait dans la subdivision Quappelle de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) à Regina, en Saskatchewan. L’équipe de Cando, composée d’un mécanicien de locomotive et de deux chefs de train, manœuvrait des wagons-citernes remplis au Co-op Refinery Complex de Regina.
  3. La manœuvre impliquait des mouvements dans les directions entrante et sortante des voies RA26 et RA27 de la raffinerie, alors que la locomotive de manœuvre (train) se déplaçait le long de ces voies pour rejoindre la voie du CN. Des mouvements ont également eu lieu sur la voie RA28 du CN, une voie non principale.
  4. La voie située entre le mille 88,0 et le mille 93,8 de la subdivision Quappelle est classée comme étant une voie non principale et identifiée comme une « voie de subdivision » dans l’indicateur pertinent du CN. Cando détient des droits de circulation contractuels sur cette voie entre les milles 88,0 et 91,9.
  5. Pendant la manœuvre du 1er mars 2016, un wagon-citerne rempli d’asphalte (GATX 67963) a été aperçu sur la voie RA28 et a été immobilisé par le seul serrage d’urgence des freins à air (air comprimé dans les conduites de frein du wagon).
  6. Un des chefs de train de Cando a laissé le wagon-citerne sans surveillance sur la voie RA28, afin d’aller aider l’autre chef de train sur la voie RA27, dans le parc de stockage de la raffinerie. Lorsqu’il a laissé le wagon sur la voie RA28, il a omis d’appliquer le frein à main et n’en a pas vérifié l’efficacité, comme le requiert la règle 112(d) du REF et les instructions d’exploitation internes de Cando.
  7. Vers 23 h 47, heure normale du Centre, le wagon a commencé à dériver sur la voie RA28 puis sur la voie de subdivision du CN. Le wagon a continué de rouler à la dérive sur une distance de 2,7 milles (4,3 kilomètres), traversant sept passages à niveau publics dans la ville de Regina. Il a également traversé un enclenchement ferroviaire du Canadien Pacifique (CP) et deux passages industriels privés. Le wagon a été retrouvé environ 26 minutes plus tard par le second chef de train de Cando, qui l’a immobilisé en appliquant le frein à main.
  8. Lorsque le mécanicien de locomotive de Cando a constaté que le wagon roulait, il a tenté de le rattraper en accélérant derrière lui. Après avoir échoué à rattraper le wagon, le mécanicien est passé à une fréquence radio du CN et a tenté de contacter le chef de triage du CN sur cette fréquence. N’ayant reçu aucune réponse, il a ensuite appelé d’autres chefs de triage du CN qui étaient dans les environs, un premier à Regina, et un autre à Melville. Le chef du triage du CN à Melville a répondu, puis a été informé de la situation. À 0 h 01 le 2 mars, soit environ 14 minutes après que le wagon eut commencé à dériver, le mécanicien a rappelé le chef de triage de Regina. Cette fois-ci, quelqu’un a répondu et il a expliqué la situation; le chef de triage de Regina l’a informé qu’à ce moment-là il n’y avait aucun mouvement incompatible du côté du CN.
  9. À 0 h 03, le mécanicien de locomotive a téléphoné à la police de Regina, mais en utilisant un autre numéro que le 911.
  10. Vers 0 h 15, le mécanicien de Cando a téléphoné au chef de triage de Regina et l’a informé que le wagon avait été retrouvé à l’arrêt et qu’il avait été immobilisé. Il a ensuite contacté la police de Regina à 0 h 18 pour lui dire la même chose.
  11. Les appels logés par les employés de Cando lors du déroulement de l’incident ne commençaient pas par le mot « urgence ».
  12. On n’a signalé aucune collision ni de déraillement, dommages ou blessures, et le wagon n’a pas perdu d’asphalte.
  13. Transports Canada a été informé de l’incident le 2 mars avant 9 h 15.
  14. Par la suite, le ministre des Transports a délivré un procès-verbal à Cando en raison de violations présumées des règles 112(d) et 125 du REF.

III.  ANALYSE

A.  Norme de contrôle

[5]  L’appelante a soutenu que, lorsqu’un comité d’appel possédait la même expertise spécialisée que le conseiller en révision, la norme de contrôle était celle de la décision correcte pour les questions de droit, et celle de la décision raisonnable pour les questions de crédibilité, de fait et les questions mixtes de fait et de droit. À l’appui de ses prétentions, l’appelante a fait référence à un récent arrêt de la Cour fédérale qui traitait des décisions rendues en appel par le Tribunal, Canada (Procureur général) c. Friesen, 2017 CF 567. Se fondant sur cette décision, le représentant de l’appelante a soutenu que la norme de contrôle de la décision correcte s’appliquait en l’espèce à l’interprétation et à l’application de la LSF et du REF. La norme de la décision correcte s’applique également à la question de savoir si la défense de diligence raisonnable peut être invoquée pour contrer les violations alléguées. Le représentant de l’appelante a invité le comité d’appel à évaluer les conclusions de fait du conseiller en révision en utilisant la norme de la décision raisonnable.

[6]  Le représentant du ministre a fait valoir que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer aux quatre premiers motifs d’appel en l’espèce, à savoir si oui ou non : (i) le procès-verbal est invalide parce qu’il réfère à la fois à des contraventions à la LSF et au REF, (ii) le REF est clair, (iii) une compagnie de chemin de fer peut être tenue responsable du fait d’autrui pour des violations de la LSF commises par ses employés, et (iv) le conseiller en révision a commis une erreur dans l’interprétation et l’application de la défense de diligence raisonnable.

[7]  Le représentant du ministre a soutenu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait au cinquième motif d’appel : est-ce que le conseiller en révision a omis de tenir compte de l’imposition de sanctions administratives pécuniaires (SAP) inférieures pour des infractions commises dans le cadre d’autres modes de transport de compétence fédérale qui relèvent du Tribunal?

Conclusion du comité d’appel

[8]  Le comité d’appel conclut que les quatre premiers motifs d’appel seront évalués selon la norme de la décision correcte, et en conséquence, le comité effectuera sa propre analyse des questions en cause. L’évaluation du cinquième motif d’appel concernant le montant de la sanction pécuniaire se fera selon la norme de la décision raisonnable.

B.  Le procès-verbal est-il invalide du fait qu’il réfère à la fois à des contraventions à la LSF et au REF?

[9]  Le représentant de l’appelante a fait remarquer que le procès-verbal délivré par le ministre référait à la fois à la règle 112(d) du REF et à l’article 17.2 de la LSF, dans le cas de la première violation, et à la règle 125 du REF et à l’article 17.2 de la LSF, en ce qui a trait à la deuxième violation. Le représentant de l’appelante a affirmé qu’il s’agissait là d’une pratique inappropriée, et qu’elle était contraire au traitement des contraventions administratives en vertu de la Loi sur l’aéronautique, selon laquelle il ne peut y avoir redondance de responsabilité dans le cas des textes désignés et des infractions. L’appelante allègue qu’en vertu de la législation en matière d’aéronautique, les deux sont explicitement séparés; selon les circonstances, le ministre n’a pas le loisir de choisir son moyen procédural.

[10]  Le représentant de l’appelante a fait valoir que la référence générale du ministre à l’article 17.2 de la LSF dans le procès-verbal, suivie de la mention d’une violation spécifique du REF était inutile et inappropriée. Toujours selon l’appelante, cela constitue un effort délibéré du ministre d’éluder la question de la responsabilité du fait d’autrui, ce qui, aux dires de l’appelante, est au mieux une source de confusion, et compromet le droit de Cando à une audience juste et équitable.

[11]  Le représentant du ministre a répliqué qu’en référant à l’article 17.2, le ministre tentait d’engager la responsabilité de l’appelante en raison de contraventions (par opposition aux infractions) commises par ses employés. Le représentant du ministre a prétendu que la référence à la LSF et au REF dans un même procès-verbal rendait celui-ci « plus complet et détaillé ».

[12]  Le conseiller en révision a conclu que : « Le Tribunal ne voit rien d’anormal dans la manière dont le ministre a porté les accusations ».

Conclusion du comité d’appel

[13]  La référence au REF et à l’article 17.2 de la LSF n’a créé aucune duplicité, aucun risque de double incrimination ni de confusion. Cette double référence dans un procès-verbal n’est pas incorrecte. Il est clair que le ministre avait choisi de considérer les évènements en cause comme étant des violations ou des contraventions plutôt que des infractions. Une des conséquences directes de ce choix est une peine maximale potentielle plus faible. Quant à savoir s’il existe une responsabilité du fait d’autrui pour les violations — par opposition aux infractions — il s’agit là d’une autre question, qui est examinée ci-dessous.

C.  Est-ce que le REF manque de clarté?

[14]  L’appelante a fait valoir que les exigences de communication, en vertu de la règle 125 du REF, nécessitaient qu’un employé répète le mot « urgence » trois fois au début d’une transmission pour signaler un accident ou une situation dangereuse. La règle 125 dispose que :

125. APPELS D’URGENCE

(a) L’employé répétera le mot « urgence » trois fois au début de sa transmission pour signaler :

[…]

(ii) toute situation éventuellement dangereuse pour les employés ou autres personnes;

(iii) toute situation risquant de compromettre la sécurité du passage des mouvements;

[15]  Le représentant de l’appelante a soutenu que cette règle doit être lue en conjonction avec les autres directives en matière de communication que contient le REF. Cela inclut la règle générale A(iv), qui prévoit, entre autres :

A Tout employé d’un service associé à des mouvements, à la manœuvre des aiguillages de voie principale ou qui assure la protection de travaux en voie et de véhicules d’entretien, doit :

[…]

(iv) signaler à l’autorité compétente, par le moyen le plus rapide, toute situation pouvant compromettre la sécurité d’un mouvement, veiller aux intérêts de la Compagnie et collaborer à leur protection;

[16]  Le représentant de l’appelante a qualifié cette règle d’« exigence principale » qui régissait les actions du mécanicien de locomotive dans la nuit en cause. Elle doit être lue parallèlement à la règle 121 du REF, qui prévoit entre autres que :

121. IDENTIFICATION FORMELLE

(a) Dans une communication radio, l’appelant et l’appelé doivent s’identifier de façon formelle. La communication initiale doit commencer par les initiales de la compagnie de chemin de fer de l’appelé […]

[17]  L’appelante a soutenu que, d’une part, la règle 121 n’était pas une règle qui s’appliquait « nonobstant ou malgré la règle 125 » et, d’autre part, que la règle 125 « … n’indique pas que l’identification formelle requise par la règle 121… ne devrait pas être utilisée en cas d’urgence ». Il en résulte une contradiction et de l’ambiguïté qui ont fait en sorte que les employés de Cando ne savaient plus très bien quelle règle appliquer.

[18]  Le représentant de l’appelante a ajouté qu’en tout état de cause, il n’y avait aucune preuve démontrant que les employés de Cando ne s’étaient pas conformés à la règle 125 au cours de toutes les conversations avec le chef de triage du CN, après le premier appel qui fut sans réponse.

[19]  Le représentant du ministre a déclaré que la règle 125 ne créait pas de confusion. Il a affirmé que la règle précisait même clairement qu’« un appel d’urgence a priorité absolue sur les autres transmissions », et qu’il n’y avait pas de doute qu’un wagon-citerne en dérive constituait une situation d’urgence nécessitant un appel d’urgence.

Conclusion du comité d’appel

[20]  Le comité d’appel donne raison au conseiller en révision, car il n’y a aucune ambiguïté dans l’application de la règle 125. La règle 125(c) indique clairement que les appels d’urgence ont priorité sur tous les protocoles de communication ou règles connexes. Aucune « présomption » de quoi que ce soit n’est nécessaire pour tirer cette conclusion. Le libellé de la règle est clair, surtout dans le contexte d’un régime législatif et réglementaire si fortement en faveur des mesures de sécurité ferroviaire visant la protection du public et des employés de chemin de fer.

[21]  L’appelante a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que les employés de Cando n’avaient pas déclaré une situation d’urgence de la manière prescrite. Il s’agit là d’une question de fait. La preuve disponible à ce sujet démontre que le mécanicien de locomotive a fait un premier appel au chef de triage du CN, à la gare de triage locale, vers 23 h 53, appel qui est demeuré sans réponse. À ce stade, aucune déclaration d’une situation d’urgence n’avait été faite, et il n’y en a pas eu lors des appels ultérieurs.

[22]  Nous sommes dans une situation où la compagnie de chemin de fer est en mesure de fournir une preuve directe de ce qui s’est passé, surtout si les faits démontrent la conformité avec la loi. Mais ce n’est pas de cette façon que Cando a agi. Dans l’exposé conjoint des faits, la compagnie a reconnu que la déclaration n’avait pas été faite comme le requiert le REF. Cette omission, ajoutée au témoignage direct voulant qu’aucune déclaration n’ait été faite lors du premier appel, vient appuyer la conclusion du conseiller en révision voulant qu’aucune déclaration n’ait été faite par les employés de Cando visés en l’espèce.

D.  Responsabilité

[23]  L’appelante a exprimé son désaccord avec la conclusion du conseiller en révision voulant que la LSF prévoie la responsabilité du fait d’autrui pour les violations commises en vertu de la LSF. Essentiellement, l’appelante a soutenu que le libellé des dispositions pertinentes de la LSF et de ses règlements, les distinctions établies entre le traitement des infractions et celui des violations, ainsi que les principes d’interprétation législative conduisent tous vers la responsabilité du fait d’autrui — mais uniquement lorsque la compagnie est complice ou complaisante dans la perpétration de la violation. Selon l’appelante, il incombe au ministre d’établir la complicité ou la complaisance de Cando. Dans le cas contraire, il n’y a aucune responsabilité du fait d’autrui pour les actes des travailleurs effectués dans l’exécution de leurs fonctions.

[24]  Le représentant du ministre a tenté d’appuyer la décision du conseiller en révision, affirmant que la LSF prévoyait, explicitement ou implicitement, la responsabilité de la compagnie pour les actes de ses employés, et que par conséquent, les principes de la responsabilité stricte s’appliquaient. En d’autres termes, la compagnie est responsable des actes de ses employés, sous réserve de sa capacité de présenter avec succès une défense de diligence raisonnable, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 (R. c. Sault Ste. Marie).

[25]  Nous traiterons ci-dessous des deux facettes que contient l’argument de l’appelante.

(1)  La règle 112(d) du REF et d’autres dispositions du REF ont-elles été rédigées et approuvées par l’industrie?

[26]  Le conseiller en révision a conclu que la LSF engageait la responsabilité de la compagnie ou de l’employeur parce que « … le ministre peut, par arrêté, obliger une compagnie à formuler des règles; les compagnies de chemin de fer sont donc tenues de respecter les règles qu’elles formulent elles-mêmes et ne peuvent se disculper en transférant simplement à leurs employés la responsabilité du manquement à ces règles ».

Conclusion du comité d’appel

[27]  Il est exact de dire que la LSF prévoit expressément qu’une compagnie de chemin de fer doit établir les règles de sécurité qui régissent l’exploitation sécuritaire du chemin de fer. Le paragraphe 19(1) de la LSF indique, en partie, que « … [l]e ministre peut, par arrêté, enjoindre à une compagnie soit d’établir des règles concernant l’un des domaines visés aux paragraphes 18(1) ou 18(2.1)… » En vertu du paragraphe 19(2), la compagnie doit consulter les organisations intéressées. Le paragraphe 19(4) prévoit quant à lui que la compagnie peut être tenue de déposer ses règles auprès du ministre, qui peut les approuver telles que déposées, les modifier ou refuser de les approuver. Dans certaines circonstances, le ministre peut établir des règles en application des paragraphes 19(7) à 19(9).

[28]  Dans le moment, c’est l’Association des chemins de fer du Canada qui coordonne la formulation des règles de sécurité entre les participants de l’industrie. L’article 20.1 de la LSF prévoit une délégation de pouvoirs à cet effet.

[29]  On ne saurait dire que Cando a formulé les règles en cause dans la présente affaire.

(2)  Est-ce que la responsabilité du fait d’autrui s’applique au REF?

[30]  Le conseiller en révision a conclu que, lorsqu’une entreprise est soupçonnée d’avoir commis une infraction, l’article 42 de la LSF sert à révéler la responsabilité criminelle et pénale potentielle de l’entreprise. En d’autres termes, le conseiller en révision a déterminé qu’une disposition explicite donnant ouverture à une défense de diligence raisonnable est nécessaire pour les infractions en vertu de la LSF, mais pas pour les violations, parce que ces dernières n’entraînent pas de sanctions pénales.

[31]  L’appelante a reconnu que l’article 42 traite des infractions qui sont de nature criminelle, et qu’il attribue expressément à la compagnie la responsabilité des actes de ses employés. L’appelante et le conseiller en révision divergent d’opinion lorsqu’on compare le traitement législatif des violations à celui des infractions. L’appelante a fait remarquer que la responsabilité du fait d’autrui s’adresse explicitement aux infractions, et non pas aux violations. Selon l’appelante, cette distinction n’est pas le fruit du hasard; autrement, un libellé identique ou semblable aurait été utilisé pour les violations. À l’appui de son argument, l’appelante a invoqué le principe d’interprétation expressio unius est eclusio alterius (la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre).

[32]  Toujours au soutien de cet argument, l’appelante a comparé le libellé de la LSF à celui d’autres lois du domaine des transports (aéronautique) ou d’autres domaines (salubrité alimentaire) qui créent à la fois des infractions et des violations ou des sanctions administratives pécuniaires. L’appelante a fait remarquer que, dans ces autres contextes, la responsabilité du fait d’autrui est explicitement appliquée aux infractions et aux violations.

[33]  Néanmoins, l’appelante a soutenu que la responsabilité du fait d’autrui pouvait s’appliquer aux violations en vertu de la LSF; cependant, la différence est dans la manière dont la notion est appliquée. Dans le cas des infractions, il incombe à la compagnie de chemin de fer de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable. Pour les violations, l’appelante a prétendu qu’il incombait au ministre de démontrer que la compagnie de chemin de fer était complice ou complaisante, en ayant excusé les actes de ses employés ou fermé les yeux sur les violations des règles de sécurité en cause.

[34]  Différant d’opinion, le ministre a allégué que le libellé de l’article 42 de la LSF créant la responsabilité du fait d’autrui pour les infractions ne signifie pas, en soi, que le Parlement visait à exclure la responsabilité du fait d’autrui pour les violations. Le ministre a fondé son raisonnement sur le libellé explicite de l’article 17.2, lequel article indique : « Il est interdit à toute compagnie de chemin de fer d’exploiter ou d’entretenir un chemin de fer… et le matériel ferroviaires… en contravention avec un certificat d’exploitation de chemin de fer… et les règles établies sous le régime des articles 19 ou 20… » Conclure qu’une compagnie de chemin de fer n’est pas responsable du fait de ses employés simplement en raison du libellé de l’article 42 rendrait l’article 17.2 dénué de sens.

[35]  Concernant la LSF et les dispositions en cause, le ministre a soutenu qu’il fallait « … lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (citant les propos de l’auteur Driedger rapportés au paragraphe 26 dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 RCS 559). L’article 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21) indique également que tout texte « … est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

Conclusion du comité d’appel

[36]  L’interprétation correcte est celle qui établit la responsabilité du fait d’autrui envers les compagnies de chemin de fer pour des violations en vertu de la LSF. Et cela pour deux raisons.

[37]  La LSF permet au ministre de poursuivre un contrevenant de trois façons à la suite d’un manquement au REF. Le ministre peut engager des poursuites devant les tribunaux par mise en accusation (article 42) ou par procédure sommaire (article 41), ou encore en délivrant un procès-verbal (article 17.2) qui peut être contesté devant le Tribunal. Les deux premières accusations sont de nature criminelle ou quasi criminelle, tandis que la dernière est de nature administrative ou réglementaire. La loi traite ces accusations avec des procédures différentes, entraînant des résultats potentiels différents. Le paragraphe 40.13(4) de la LSF confirme expressément cette distinction en disposant que les violations n’ont pas valeur d’infractions. Il n’y a aucune ambiguïté lorsque les dispositions relatives à l’une des approches ne se reflètent pas dans celles relatives à l’autre.

[38]  L’article 17.2 engage la responsabilité administrative de la compagnie de chemin de fer en prescrivant que : « Il est interdit à toute compagnie de chemin de fer d’exploiter ou d’entretenir un chemin de fer, notamment les installations et le matériel ferroviaires… en contravention avec… les règlements et les règles établies sous le régime des articles 19 ou 20 qui lui sont applicables ». En l’espèce, le fait que le REF, et plus précisément les règles 112(d) et 125, constituent de telles règles n’est pas contesté, tout comme le fait que l’appelante est une compagnie de chemin de fer. Bien que le terme « exploitation » ne soit pas défini dans la LSF, il est défini à l’article 87 de la Loi sur les transports au Canada comme comprenant « … l’entretien du chemin de fer et le fonctionnement d’un train ». Par conséquent, le comité d’appel conclut qu’un chemin de fer, dans le sens physique du terme, ne peut être exploité par personne d’autre que des employés. Il est inconcevable que l’article 17.2 ne puisse engager la responsabilité de la compagnie lorsque cet article mentionne spécifiquement la compagnie et que les opérations en cause ont été effectuées par des employés agissant dans le cours normal de leurs fonctions.

[39]  L’élaboration et l’interprétation des dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires que contient la LSF, et plus spécifiquement l’article 17.2, doivent également être comprises à la lumière des objectifs de la LSF. Ces objectifs sont énoncés à l’article 3, avec clarté et concision. Ils comprennent la nécessité de pourvoir à la sécurité et à la sûreté du public et du personnel, et à la protection des biens et de l’environnement, et d’en faire la promotion; de reconnaître la responsabilité qui incombe aux compagnies d’établir, en utilisant des systèmes de gestion de la sécurité et d’autres moyens à leur disposition, qu’elles gèrent continuellement les risques en matière de sécurité; et de favoriser la mise en place d’outils de règlementation modernes, flexibles et efficaces dans le but d’assurer l’amélioration continue de la sécurité et de la sûreté ferroviaires.

[40]  Limiter la responsabilité de la compagnie de chemin de fer pour une violation relative à la sécurité aux seuls cas où la compagnie serait complice des actes ou les aurait tolérés engagerait la responsabilité de la compagnie uniquement lorsqu’il serait prouvé qu’elle a spécifiquement ordonné ou approuvé la défaillance ou la violation en cause ou, lorsqu’ayant eu connaissance des risques pour la sécurité et de la probabilité de la commission d’une violation, elle n’a pris aucune mesure pour l’éviter. Une telle approche exclurait la responsabilité pour des violations relatives à la sécurité des employés lorsque, par exemple, une compagnie de chemin de fer aurait des pratiques de gestion de sécurité laxistes ou qu’elle accorderait peu d’importance aux plans de gestion de la sécurité obligatoires en vertu de la LSF. Limiter la responsabilité pour les violations de cette manière, en se fondant tout simplement sur le libellé d’un autre article de la LSF traitant des infractions n’a aucun sens. Non seulement cela priverait l’article 17.2 de toute signification, mais cette interprétation irait à l’encontre de l’objectif clair de la LSF de rendre la compagnie de chemin de fer responsable des questions de sécurité qui relèvent de son contrôle et de sa responsabilité.

[41]  Dans l’ère post-Lac-Mégantic de l’industrie ferroviaire au Canada, il serait absurde de limiter la responsabilité de la compagnie à des actes de complicité ou de tolérance, et de l’exclure dans tous les autres cas, comme en l’espèce où des employés ont agi avec négligence dans l’exercice de leurs fonctions. La responsabilité du fait d’autrui ne se résume pas à la question de savoir quelle partie a le fardeau de la preuve. Il est fondamental au Canada de promouvoir une culture de la sécurité ferroviaire qui soit inexorable et intransigeante — une culture qui fait la promotion de l’objectif de la LSF voulant que les entreprises fonctionnent d’une manière sûre et sécuritaire qui protège le public et les employés de compagnies de chemin de fer.

E.  Diligence raisonnable

[42]  L’appelante a soutenu que si le comité d’appel concluait qu’il y avait possibilité que la responsabilité du fait d’autrui s’applique aux dispositions de la LSF relatives aux violations, elle pourrait alors invoquer la défense de diligence raisonnable. Citant l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie, l’appelante a déclaré qu’elle pouvait se soustraire à sa responsabilité pour des actes commis par ses employés, s’il était démontré qu’elle avait exercé toutes les précautions raisonnables en faisant la preuve qu’elle (i) avait en place un système adéquat pour empêcher la perpétration de la violation, et (ii) qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour assurer le fonctionnement efficace du système.

[43]  L’appelante a reconnu que la défense de diligence raisonnable l’oblige à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la commission des violations spécifiques en cause.

[44]  Le ministre a reconnu l’existence et la portée de la défense de diligence raisonnable. Le point de divergence entre les parties réside dans leur opinion différente de l’évaluation de cette défense effectuée par le conseiller en révision.

[45]  L’appelante a indiqué que le ministre n’avait fourni aucune explication à l’audience en révision quant à savoir en quoi les programmes de formation et de sécurité de Cando n’étaient pas entièrement conformes à toutes les exigences de sécurité applicables. Selon l’appelante, la cause du ministre repose uniquement sur l’opinion non prouvée voulant que si les incidents relatifs à la sécurité ont eu lieu, quelque chose a dû mal tourner. L’appelante a soutenu qu’une telle évaluation après le fait n’est pas justifiable en droit. Selon l’appelante, le conseiller en révision a omis de considérer la preuve abondante dont il disposait, et qui démontrait que Cando fournissait à ses employés une formation complète en sécurité, de la supervision, des contrôles accompagnés d’un suivi, en plus d’avoir une culture d’entreprise qui prônait avant tout la sécurité.

[46]  Le ministre a fait valoir que le dossier démontrait que la compagnie de chemin de fer n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la perpétration de la violation. Le ministre a affirmé que soit Cando n’avait jamais effectué de contrôle de la conformité la nuit (période au cours de laquelle l’incident s’est produit), soit l’incident était le résultat d’une série d’erreurs commises par toute l’équipe de Cando en service cette nuit-là, avec le résultat que le système de sécurité de la compagnie s’est avéré inefficace.

Conclusion du comité d’appel

[47]  Les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires en vertu de la LSF attribuent à la compagnie la responsabilité des violations des règles de sécurité commises par ses employés agissants dans l’exercice de leurs fonctions, dans le cadre de l’exploitation du chemin de fer. La compagnie peut se soustraire à la responsabilité d’un incident si elle est en mesure de démontrer qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables afin d’assurer le fonctionnement efficace d’un système de sécurité pour empêcher que l’incident ne se produise.

[48]  Même s’il survient un incident en matière de sécurité, cela ne signifie pas nécessairement qu’aucune mesure de sécurité raisonnable n’était en place. De même, il serait faux de supposer que parce que de nouvelles mesures de sécurité sont adoptées à la suite d’un accident, les mesures initiales étaient insuffisantes et déraisonnables. L’évaluation de la diligence raisonnable doit plutôt porter sur la culture générale de la compagnie ferroviaire en matière de sécurité. Il doit y avoir de la preuve documentaire de ce que constitue cette culture, et de la façon dont elle est mise en œuvre; accorde-t-on priorité à la sécurité ferroviaire, y a-t-il de la formation en sécurité, et si oui à quelle fréquence, et exerce-t-on une supervision et des contrôles efficaces? Dans l’application du test pour déterminer si on a fait preuve de diligence raisonnable, on devrait se demander s’il y avait de la formation et des contrôles spécifiques sur les questions en cause dans le cadre d’une violation particulière. À titre d’exemple, même si dans l’ensemble il y a une forte culture de sécurité et un programme solide, ceux-ci peuvent être déficients s’il y a des lacunes dans leur champ d’application.

Règle 112(d)

[49]  La règle 112(d) énonce les exigences relatives au matériel roulant laissé sans surveillance comme suit :

112. Matériel roulant laissé sans surveillance

Aux fins de l’application de la présente règle :

(i) Un matériel roulant est considéré comme étant laissé sans surveillance quand un employé n’en est pas suffisamment proche pour intervenir efficacement afin d’arrêter le mouvement intempestif du matériel.

[…]

(d) Quand le matériel est laissé sans surveillance sur une voie non principale, ailleurs que sur une voie de triage, une voie d’évitement, une voie de subdivision ou d’un endroit à haut risque, un nombre suffisant de freins à main doivent être serrés et il doit être déterminé suffisant par une vérification de l’efficacité telle que décrite en (e). Des instructions spéciales doivent indiquer le minimum de freins à main requis pour les endroits où le matériel est laissé sans surveillance.

[50]  En ce qui concerne la violation de la règle 112(d), Cando a présenté une preuve abondante quant à son approche en matière de sécurité. La formation, les procédures administratives et des contrôles périodiques de la conformité auprès des employés pendant leur quart de travail démontrent l’existence d’un solide programme de formation et de procédures de vérification des tâches bien établies. Tous ces moyens ont été amplement et systématiquement documentés tout au long de la période en cause, et cette preuve a été déposée à l’audience en révision pour confirmer la culture de la sécurité et les pratiques organisationnelles qui existaient avant l’évènement. Il est clair que Cando accordait de l’importance aux questions de sécurité dans l’exploitation du chemin de fer. La compagnie a présenté des éléments de preuve concrets de sa formation, de ses moyens de contrôle, de sa supervision et de son suivi rigoureux de la gestion de la sécurité des wagons, plus précisément des exigences appropriées en matière de freinage pour le positionnement et le stationnement des wagons. Des rapports mensuels et des rapports personnels d’employés ont été préparés de façon régulière, et déposés par Cando pour appuyer sa prétention d’avoir fait preuve de diligence raisonnable.

[51]  Comme l’exige un système de gestion de la sécurité efficace, la compagnie a pris des mesures correctives lorsque la cible de cinq contrôles de la conformité par mois et par emplacement n’a pas été atteinte au cours du mois de janvier 2016. Ce manquement a été détecté immédiatement, et le nombre de contrôles de la conformité a augmenté au cours du mois suivant. La compagnie a agi ainsi afin de rattraper les quotas mensuels établis en novembre 2015. Il ne s’agissait pas de simples exercices sur papier conçus pour étoffer le dossier des mesures de sécurité prises par la compagnie. La preuve démontre que ces mesures ont été appliquées de bonne foi, correctement documentées en temps opportun dans les dossiers de la compagnie, et que leurs applications ont été contrôlées systématiquement par des superviseurs.

[52]  Il y a des éléments de preuve clairs et convaincants voulant que des superviseurs de Cando aient effectué des contrôles inopinés ou aient fait des observations secrètement, et ce à différents moments de la journée. La compagnie voulait ainsi observer les équipes accomplir leurs tâches de « la façon dont ils le font normalement », soit lorsqu’il n’y a aucune supervision directe aux alentours. Les éléments de preuve mis en évidence dans le cadre de cette audience en appel démontrent que Cando a effectué des contrôles pertinents (en soirée et durant la nuit) s’appliquant à l’équipe qui était en service dans la nuit du 1er mars 2016. Ces contrôles visaient spécifiquement la nécessité de sécuriser les wagons à l’arrêt.

[53]  L’appelante a déclaré que les procédures de freinage inappropriées et la dérive du wagon-citerne qui en a résulté étaient dues à la négligence des employés. Il a été admis que les trois employés auraient pu mieux faire. La preuve démontre qu’ils avaient reçu une formation sur les procédures de sécurité adéquates, mais les avaient ignorées la nuit en cause. On a pris des raccourcis qu’on n’aurait pas dû prendre, comme on n’aurait pas dû émettre des hypothèses qui se sont avérées manifestement erronées. En outre, les tentatives pour corriger la situation ont été inopportunes et inappropriées. En effet, la tentative de rattraper le wagon-citerne à la dérive a aggravé une situation déjà mauvaise. Ces trois employés ont été individuellement et collectivement fautifs en effectuant leurs tâches d’exploitation la nuit de l’incident. Aucune preuve ne démontre que des superviseurs de Cando ont toléré, ont été complices ou ont participé à leurs actions. Au contraire, en ce qui concerne les systèmes de gestion de la sécurité, plus particulièrement le positionnement et le freinage des wagons à Regina, la preuve illustre que Cando considérait sérieusement la sécurité. La compagnie disposait à cet endroit d’un système de gestion de la sécurité rigoureux, efficace et continu afin d’assurer le placement sécuritaire des wagons dans la gare de triage.

[54]  Quant au critère énoncé dans l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie, la preuve démontre qu’en ce qui concerne les exigences relatives au positionnement des wagons, Cando a exercé toutes les précautions raisonnables en ayant établi un système adéquat pour empêcher la perpétration de l’infraction à Regina. Cando avait pris et documenté toutes les mesures raisonnables pour assurer l’exploitation efficace de cette partie de son réseau ferroviaire. Plus précisément, toutes les mesures raisonnables ont été prises afin d’éviter la dérive du wagon-citerne GATX 67963 laissé sans surveillance, lors de l’incident en cause dans cette affaire. Bien qu’il y ait eu une importante violation de la règle 112(d) du REF, la compagnie a pu s’en soustraire en faisant la preuve qu’elle avait pris toutes les précautions raisonnables.

Règle 125

[55]  La violation de la règle 125 du REF est une tout autre affaire. Il s’agit d’une violation distincte dont Cando peut être tenue responsable.

[56]  Même si Cando avait mis en place des programmes de formation complets, le comité d’appel ne dispose d’aucune preuve démontrant qu’elle a géré convenablement de simples mesures de signalement d’urgence. En l’espèce, trois employés n’ont pas appliqué la procédure correctement lors de leurs appels durant cette situation d’urgence. Il n’est pas clair qu’ils avaient même connaissance de la règle 125. La formation et la politique de Cando en matière de gestion de la sécurité étaient manifestement déficientes.

[57]  Le représentant de l’appelante a prétendu que c’était un manque de clarté de la règle qui avait causé le problème. Ce comité rejette catégoriquement cet argument qu’il juge non fondé. Une personne adéquatement formée aurait compris l’essence de la règle 125 et les raisons de son existence. Des dispositions similaires existent dans la procédure radio d’autres modes de transport, et à travers le monde. Il est possible qu’à l’ère du téléphone cellulaire, l’exigence permanente de maintenir un programme de formation approprié en procédure radio ait été négligée. Toutefois, un système de gestion de la sécurité qui ne traite pas correctement les procédures radio d’urgence est inadéquat, comme l’est un système qui ne contient pas de procédures d’utilisation normalisées propres à un site, dans un environnement multifréquence.

[58]  Le REF prévoit expressément l’obligation d’informer d’autres unités en cas d’urgence, et celle d’avertir toute personne qui pourrait être affectée par l’évènement sans nécessairement l’être. C’est là l’objectif de la règle 125. C’est pour cela qu’il s’agit d’une « règle de survie et d’intégrité physique » et que l’utilisation d’autres moyens, comme les téléphones cellulaires, ne satisfait pas à l’exigence de la règle 125. En fait, la formation offerte par la compagnie aurait dû inclure l’obligation de diffuser périodiquement la nature de l’urgence sur tous les canaux pertinents, et ce aussi longtemps que l’état d’urgence pourrait constituer un danger pour autrui. Dans le cas qui nous occupe, les employés de la gare de triage du CN et des équipes du CP travaillant dans le voisinage auraient pu être en danger.

[59]  La compagnie n’a présenté aucun élément de preuve documentaire pouvant étayer une défense de diligence raisonnable. Compte tenu de la possibilité de fournir une telle preuve en ce qui concerne la violation de la règle 125, nous devons en déduire qu’il n’existe aucune documentation ou formation relative à la règle 125. Puisque la défense de diligence raisonnable exige des preuves, le comité d’appel convient avec le conseiller en révision que la compagnie est responsable de la violation.

[60]  Le comité confirme la conclusion du conseiller en révision. Il ne fait aucun doute qu’il s’agissait d’une situation d’urgence, et que les protocoles de communication établis pour les situations d’urgence en vertu de la règle 125 auraient dû être utilisés, mais ne l’ont pas été. La compagnie aurait pu tenter d’établir une défense de diligence raisonnable, mais elle ne l’a pas fait, si ce n’est une revendication voulant que les règles n’aient pas été claires. Le comité rejette cet argument.

F.  Sanction administrative pécuniaire

[61]  Pour ce qui est de la violation de la règle 112(d), le conseiller en révision a maintenu la décision du ministre d’imposer une sanction pécuniaire, mais il l’a réduite de 3 999,96 $ en raison de circonstances atténuantes. Le conseiller a imposé une amende de 50 666,16 $.

[62]  Cette sanction est annulée puisque le comité a conclu que Cando avait exercé toutes les précautions raisonnables pour éviter l’arrimage inapproprié effectué par ses employés, provoquant la dérive sans surveillance du wagon-citerne.

[63]  En ce qui a trait à la violation de la règle 125, le conseiller en révision a confirmé la décision du ministre d’imposer une sanction pécuniaire, mais, en raison de circonstances atténuantes, il l’a réduite de 3 999,96 $, la faisant passer à 50 666,16 $. Le comité d’appel maintient cette décision. La preuve démontre que Cando a informé le Bureau de la sécurité des transports (BST) le lendemain matin, et cette notification rapide est un facteur atténuant. Le BST, à son tour, a informé le ministre.

[64]  L’appelante a soutenu que l’application du régime des SAP est injuste dans le transport ferroviaire puisque les amendes y sont beaucoup plus élevées que dans les autres modes de transport. Le comité d’appel considère que sa tâche, dans le cadre d’une audience en appel, est de statuer au cas par cas à l’aide de la législation et des règlements en vigueur. Les arguments touchant les politiques et la comparabilité des sanctions doivent être adressés au ministre par les voies appropriées, y compris l’Association des chemins de fer du Canada.

[65]  La règle 125 est claire et fondamentale. Son respect est indispensable pour éviter de mettre à risque la propriété des compagnies ferroviaires, leur personnel et le grand public. Le représentant de l’appelante a prétendu que l’équipe de Cando avait réussi à prendre des mesures immédiates et agressives afin de communiquer cette situation dangereuse efficacement à toutes les parties concernées. Le comité d’appel n’accepte pas cette prétention.

G.  Conclusion

[66]  Le comité accueille l’appel, en partie, et annule le procès-verbal contre Cando en ce qui concerne la violation de la règle 112(d) du REF. La preuve démontre que Cando a fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les mesures raisonnables pour éviter les évènements spécifiques ayant conduit à la délivrance du procès-verbal. Par conséquent, la sanction pécuniaire imposée par le conseiller en révision est également annulée.

[67]  Le comité rejette l’appel relatif à la conclusion du conseiller en révision voulant qu’il y ait eu violation de la règle 125 du REF. La preuve ne démontre pas que Cando a fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les mesures raisonnables pour éviter les évènements spécifiques ayant conduit à la délivrance du procès-verbal. La sanction pécuniaire de 50 666,16 $ qu’a imposée le conseiller en révision est raisonnable, compte tenu de la gravité de la violation, et elle est donc maintenue.

IV.  DÉCISION

[68]  L’appel est accueilli en partie. Le comité d’appel annule la sanction administrative pécuniaire de 50 666,16 $ pour la violation de la règle 112(d) du REF. Le comité d’appel confirme la sanction administrative pécuniaire de 50 666,16 $ en raison de la violation de la règle 125 du REF.

[69]  Le montant de 50 666,16 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours de la signification de la présente décision.

Le 5 février 2019

(Original signé)

Motifs de la décision d’appel :

George Ron Ashley (président)

Y souscrivent :

Michael Regimbal

Raymon Kaduck

Représentants des parties

Pour le ministre :

Micheline Sabourin et Eric Villemure

Pour l’appelante :

Joe Barnsley et Travis DeLaronde

 

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