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Référence : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Ministre des Transports), 2020 TATCF 12 (appel)

No de dossier du TATC : W-0026-41

Secteur : ferroviaire

ENTRE :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, appelante

- et -

Canada (Ministre des Transports), intimé

[Traduction française officielle]

Audience tenue à :

Edmonton (Alberta), le 25 septembre 2019

Affaire entendue par :

George (Ron) Ashley, conseiller présidant l’audience

 

Gary Drouin, conseiller

Teddy Kwan, conseiller

Décision rendue le :

20 avril 2020

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE DE L’APPEL

Arrêt : En application du paragraphe 40.19(3) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, l’appel est rejeté.

Le montant total de 55 500,24 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.


I.   HISTORIQUE

[1]  Le 20 décembre 2017, Transports Canada (TC) a délivré un procès-verbal imposant une sanction pécuniaire de 55 500,24 $ à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) en raison d’une contravention alléguée au paragraphe 93(2) du Règlement sur les passages à niveau, en vertu du paragraphe 2(1) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire, et des procédures décrites dans les articles 40.14 à 40.22 de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF).

[2]  L’annexe A de l’avis indiquait ce qui suit :

Entre le 20 décembre 2016 et le 9 janvier 2017, au mille 112,8 de la subdivision Lac La Biche du CN, à ou dans les environs d’Edmonton (Alberta), le CN a omis de s’assurer que le système d’avertissement soit entretenu conformément à la section 17.1 des Normes sur les passages à niveau qui exige que l’inspection et l’essai du système d’avertissement soient effectués conformément aux articles 3.3.1 et 3.1.15 du « Communications and Signals Manual » de l’AREMA, contrevenant ainsi au paragraphe 93(2) du Règlement sur les passages à niveau.

[3]  L’audience en révision a eu lieu les 15 et 16 mai 2018 à Edmonton, en Alberta. Dans une décision datée du 5 février 2019, le conseiller en révision a confirmé le montant de la sanction pécuniaire.

[4]  Les dispositions législatives et les règles applicables à la présente instance sont décrites dans les paragraphes qui suivent.

[5]  Le paragraphe 93(2) du Règlement sur les passages à niveau dispose que :

93 (2) Le système d’avertissement doit être conforme au plan de conception et être entretenu conformément à la section 17.1 des Normes sur les passages à niveau.

[6]  La section 17.1 des Normes sur les passages à niveau prévoit que :

17.1 L’inspection et l’essai du système d’avertissement doivent être effectués conformément aux articles 3.3.1 et 3.1.15 de l’AREMA.

[7]  L’article 3.3.1 du Communications and Signal Manual de l’AREMA (American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association), Part C – General, indique que des mises à l’essai doivent être effectuées périodiquement afin de vérifier si le système d’avertissement fonctionne comme prévu.

[8]  L’article 101 de la partie 5 de l’annexe 1 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire prévoit que le paragraphe 93(2) du Règlement sur les passages à niveau est un texte désigné auquel s’applique le régime de sanctions administratives pécuniaires (SAP) des articles 40.13 à 40.22 de la LSF.

Motifs d’appel

[9]  À l’audience en appel, le représentant du CN a soutenu que : i) le ministre ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver la contravention et, s’il l’avait fait, que ii) la compagnie n’était responsable d’aucune contravention, car il s’agissait clairement d’un cas permettant au CN de présenter avec succès une défense de diligence raisonnable.

II.   ANALYSE

A.   Les faits

[10]  Les faits, qui ne sont pas contestés, sont énoncés dans la décision à la suite de la révision.

[11]  Le 17 janvier 2017, un inspecteur de la sécurité ferroviaire de Transports Canada a appris que le système d’avertissement (AWS) commandant le passage à niveau du CN au mille 112,8 de la subdivision Lac La Biche du CN n’avait pas été inspecté ou mis à l’essai conformément au Règlement sur les passages à niveau. Ce passage à niveau se situe à Edmonton, en Alberta, ou dans les environs, là où une route publique traverse une ligne de chemin de fer à voie unique du CN. La signalisation se limite à des feux clignotants et à une croix d’avertissement standard; il n’y a pas de barrière à ce passage à niveau.

[12]  Les renseignements que l’inspecteur de la sécurité ferroviaire a obtenus auprès du CN suggéraient que les inspections et les essais hebdomadaires effectués sur cet AWS, les 20 et 27 décembre 2016 ainsi que le 3 janvier 2017, n’avaient pas permis de s’assurer que le « feu hors tension » (FHT) de l’équipement de signalisation était « constamment allumé » ou activé.

[13]  Le FHT est un voyant situé sur le boîtier extérieur de la guérite de signalisation adjacente au passage à niveau, et il indique si oui ou non l’AWS fonctionne normalement. Le FHT, essentiellement un bouton lumineux, doit être « allumé » ou activé, ce qui démontre au personnel de la signalisation et des communications du CN ou à celui de l’entretien de la voie que la protection par signal du passage à niveau fonctionne à l’aide du courant continu (CC) ou d’une batterie.

[14]  Le voyant activé indique que le courant alternatif (CA) de secours fonctionne. Lorsque le FHT est allumé ou activé, l’alimentation CC est activée et l’alimentation CA est également disponible, ce qui signifie qu’elle peut remplacer la batterie CC lorsque celle-ci est à plat. Le CA constitue l’alimentation de secours et assure le fonctionnement continu de la protection par signal. Si le FHT est éteint ou désactivé, l’alimentation CA n’est pas disponible; ainsi, une fois que la batterie CC est à plat, la protection offerte par l’AWS disparaît. La durée de fonctionnement de la batterie CC dépend d’un certain nombre de facteurs, y compris la fréquence à laquelle la protection est déclenchée par le passage des trains.

[15]  La preuve a démontré que l’alimentation CA chargeant les batteries de l’AWS au passage à niveau du mille 112,8 de la subdivision Lac La Biche avait été coupée à la suite d’une inspection mensuelle effectuée par un employé du CN le 14 décembre 2016.

[16]  Des représentants du CN ont admis que l’employé de la compagnie qui avait inspecté le dispositif de sécurité ce jour-là avait fait preuve de négligence en omettant de s’assurer que l’alimentation CA était activée, de la même manière qu’un autre employé du CN qui l’avait par la suite inspecté le 20 décembre 2016 et le 3 janvier 2017. Les représentants du CN ont en outre admis qu’un employé d’un sous-traitant du CN, Remcan, avait également été négligent lors d’une inspection effectuée le 27 décembre 2016.

[17]  Dans chaque cas, les inspecteurs qui ont procédé à ces quatre inspections ont indiqué que le FHT était allumé alors qu’il ne l’était pas. Ces renseignements ont été consignés dans le livre bleu laissé au passage à niveau à cette fin.

[18]  Ce n’est que le 9 janvier 2017 qu’un autre employé du CN, agissant dans le cadre des inspections obligatoires des passages à niveau, a constaté qu’il n’y avait pas de courant du tout au passage à niveau. À l’époque, le personnel responsable du CN a ouvert un « dossier d’incident » et des mesures correctives ont été prises afin de rétablir la batterie CC et l’alimentation CA.

[19]  Selon les représentants du CN, l’employé de Remcan a démissionné et les employés du CN qui ont effectué les inspections des 14 et 20 décembre et celle du 3 janvier ont fait l’objet de mesures disciplinaires.

[20]  Aucun accident n’a été signalé à cet endroit pendant la période en cause et il n’y a pas eu de rapport officiel indiquant que la protection du passage à niveau ne fonctionnait pas. C’est lors de l’inspection mensuelle du 9 janvier 2017 que le CN a appris que la protection ne fonctionnait pas.

B.   Norme de contrôle

[21]  Le CN a soutenu que le comité d’appel devrait examiner ses deux motifs d’appel en fonction de la norme de la décision correcte. Le représentant du ministre s’est dit d’accord avec cette prétention.

Conclusion du comité d’appel

[22]  Concernant le premier motif d’appel, il s’agissait de déterminer si le ministre avait, selon la prépondérance des probabilités, établi la survenance de la contravention. Ce motif sera examiné selon la norme de la décision correcte, car il s’agit d’une question de droit. Le deuxième motif, voulant que le CN ait prouvé avoir fait preuve de diligence raisonnable, est une question mixte de fait et de droit qui doit également être examinée au regard de la norme de la décision correcte. Ces deux conclusions sont conformes au raisonnement élaboré par la Cour fédérale au paragraphe 57 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Friesen, 2017 CF 567, et soutiennent une norme de contrôle d’appel où aucune retenue n’est nécessaire envers la décision à la suite d’une révision.

(1)   Premier motif – preuve de la contravention

[23]  L’appelante admet qu’il y a eu cinq inspections planifiées au passage à niveau en cause : le 14 décembre 2016; le 20 décembre 2016; le 27 décembre 2016; le 3 janvier 2017; et le 9 janvier 2017. Lors de quatre de ces inspections, l’employé a omis de constater que l’alimentation CA de secours n’avait pas été activée. Les témoins du CN ont déclaré que le personnel qui avait effectué ces inspections n’avait pas remarqué que le FHT n’était pas « constamment allumé ». À chacune des quatre inspections, le personnel a faussement consigné le fait que le FHT était activé. Lorsqu’interrogé à ce sujet au cours de l’audience en révision, les employés n’ont fourni aucune explication ou, plus exactement, « ne pouvaient pas comprendre », mis à part leur négligence ou leur erreur, pourquoi ils avaient erronément consigné le fait que le FHT était allumé.

[24]  Tout au long de la période de près de quatre semaines, le personnel de supervision du CN n’était pas au courant des erreurs commises. Il ne fut informé du problème que le 9 janvier 2017 lorsque le « dossier d’incident » a été émis par le nouveau personnel du groupe technique du CN, dans le cadre de son inspection (mensuelle) de janvier.

[25]  Le CN a soutenu que toutes les inspections avaient néanmoins été effectuées comme prévu et que c’était la négligence ou la faute lourde d’un employé (et dans le cas du sous-traitant, l’employé de Remcan) qui avait causé le problème. Le CN a fait valoir que ses inspecteurs avaient « bâclé le travail (d’inspection) » et qu’ils avaient été « complaisants ».

[26]  Le CN a indiqué que les quatre inspections étaient toutes conformes aux règlements; c’est-à-dire qu’elles étaient périodiques et que, lors de chacune d’elles, le personnel vérifiait afin de s’assurer que la protection des passages à niveau fonctionnait conformément à son plan de conception ou comme prévu. Le CN a prétendu que le ministre aurait dû, mais n’a pas prouvé que la signalisation ne fonctionnait pas comme prévu lors de chacune des quatre inspections.

[27]  Le représentant du ministre a fait valoir qu’il n’était pas pertinent de déterminer si la signalisation fonctionnait ou non. Il a précisé que les inspections effectuées par les employés et l’entrepreneur du CN ne respectaient pas les exigences réglementaires et, qu’à ce titre, elles n’avaient pas été effectuées correctement. Selon le représentant, l’erreur ou la non-conformité résidait dans le fait que les inspections n’avaient pas permis de détecter si le FHT était constamment allumé, comme prévu; il s’agit là d’une exigence aux termes du paragraphe 93(2) du Règlement sur les passages à niveau.

Conclusion du comité d’appel

[28]  Le présent appel porte sur ce qui constitue un système d’avertissement de passage à niveau qui fonctionne « comme prévu », conformément à l’article 3.3.1 de l’AREMA. Cela signifie qu’il doit s’agir d’un système qui fonctionne de façon appropriée et adéquate afin de protéger le public et les employés du CN lorsque les trains traversent une route fréquentée. C’est une norme élevée étant donné que la santé et la sécurité de personnes sont en jeu. Le système de protection doit fonctionner continuellement afin d’avertir le public passant de l’arrivée d’un train.

[29]  Les quatre inspections en cause ont été effectuées périodiquement et furent dûment consignées dans le livre bleu du CN ainsi que dans le système interne d’enregistrement des données du CN. Dans tous les cas, l’employé n’a pu détecter que le FHT n’était pas activé, consignant faussement qu’il l’était.

[30]  Il est nécessaire qu’un système de protection de passage à niveau compte sur une alimentation CA de secours continue, cela fait partie intégrante de l’adéquation de ce système. L’activation du FHT fait partie de ce système de secours et ne représente pas une exigence injustifiée. Le FHT est le principal, sinon le seul indicateur démontrant que l’alimentation CA de secours nécessaire est activée. Un système d’avertissement sûr et adéquat ne peut pas fonctionner au gré du hasard, selon que la batterie CC est oui ou non défaillante ou selon le moment où elle tombe à plat. L’alimentation CA de secours doit toujours être disponible. Sans elle, le dispositif de sécurité et la protection qu’il est conçu pour offrir ne fonctionneront pas s’il y a une panne de batterie. Il ne peut y avoir d’exception ou de risque d’exception à cette règle lorsque la sécurité est en jeu.

[31]  On ignore depuis combien de temps la batterie CC du dispositif d’avertissement était à plat lors de l’inspection mensuelle du 9 janvier 2017. Il n’y a pas de dossier de plainte ou de rapport d’employé détaillant, par exemple, quand ou si la signalisation ne fonctionnait pas. Ce que l’on sait, cependant, c’est qu’il y a eu quatre inspections séquentielles, à environ une semaine d’intervalle, et qu’elles n’ont pas permis de détecter que le FHT n’était pas constamment allumé. Il n’est pas essentiel de savoir si la protection a effectivement été déficiente à un certain moment.

[32]  Le FHT fournit l’assurance que le passage à niveau profite de l’alimentation électrique de secours nécessaire. Lorsque des rapports d’inspection indiquent que l’alimentation CA de secours est activée alors qu’elle ne l’est pas, cela révèle que ces inspections sont déficientes, car elles introduisent un caractère aléatoire à la protection disponible. En tant que telles, il ne s’agit pas d’inspections qui ont permis de s’assurer que le système d’avertissement fonctionnait constamment ou « comme prévu » au sens de l’article 3.3.1 de l’AREMA. Pour ces raisons, la conclusion de la décision à la suite de la révision voulant que la contravention ait été commise est correcte. Le premier motif d’appel du CN est rejeté.

(2)   Deuxième motif – Diligence raisonnable du CN

[33]  Quant au deuxième motif d’appel, le CN prétend que la décision à la suite de la révision a omis d’évaluer adéquatement la preuve relative à la diligence raisonnable du CN, qui comprenait des éléments de preuve concernant la formation des employés, les cours de recyclage, ainsi que les vérifications et la surveillance effectuées par le CN.

[34]  Le CN a également soutenu que ses deux employés et celui du sous-traitant qui avaient effectué les inspections ont « manqué de rigueur » en consignant que le FHT était constamment allumé. Invoquant la jurisprudence en matière de diligence raisonnable, le représentant du ministre a essentiellement soutenu que le CN n’aurait rien pu raisonnablement faire pour éviter ce genre de « bâclage » de la part de ces inspecteurs.

[35]  Le représentant a prétendu que la décision à la suite de la révision a eu raison de statuer que toutes les mesures n’avaient pas été prises pour empêcher la commission de la violation.

[36]  Les deux parties ont présenté une jurisprudence à l’appui de leurs positions respectives touchant les questions relatives à la négligence des employés, la prévisibilité ainsi qu’à la conformité réglementaire et la responsabilité.

Conclusion du comité d’appel

[37]  Une défense de diligence raisonnable réussie est celle qui établit, selon la prépondérance des probabilités, que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour éviter la commission de l’infraction ou de la contravention en cause.

[38]  L’arrêt clé en l’espèce est R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299. Cet arrêt a établi que la défense de diligence raisonnable est à la disposition d’une personne ou d’une compagnie qui a été accusée à l’égard d’un acte commis par un employé, si elle a fait preuve de diligence raisonnable, savoir si elle a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives.

[39]  Dans le présent appel, la question est de savoir si le CN (i) a pris toutes les précautions pour établir un système permettant de prévenir les inspections déficientes du signal à ce passage à niveau, et (ii) a pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que le système d’inspection de la sécurité qui avait été mis en place au passage à niveau fonctionnait efficacement.

(3)   Le système de sécurité implanté par le CN

[40]  Le CN argue que les quatre inspections furent « bâclées » et « négligentes » du fait que les inspecteurs, agissant dans le cadre des systèmes que le CN avait mis en place, n’ont tout simplement pas suivi les règles et n’ont pas pensé au FHT. Selon le CN, ce genre de comportement n’est pas prévisible et aucun système raisonnable n’aurait pu l’empêcher. Le CN a soutenu que le système de sécurité qu’il avait mis en place était raisonnable, ajoutant que ce sont les employés ou le sous-traitant qui étaient coupables, et non le CN.

[41]  Le représentant du ministre a pour sa part déclaré que le système n’était pas raisonnable dans les circonstances et que la compagnie de chemin de fer en était responsable.

Conclusion du comité d’appel

[42]  La preuve démontre que le système mis en place par le CN comprenait des inspections périodiques de première ligne aux passages à niveau. Le groupe technique effectuait des inspections mensuelles alors que les inspections hebdomadaires étaient confiées au groupe de la signalisation et des communications (S&C) du CN. Chaque inspection devait inclure l’essai du fonctionnement des feux et de la sonnerie ainsi qu’une inspection extérieure, le tout afin de vérifier si le système fonctionnait comme prévu. Il y avait de la formation, des essais, un cours de recyclage sur vidéo, un cours de perfectionnement professionnel sur les normes de la voie ingénierie tous les trois ans, et une certaine surveillance interne de la part de la compagnie.

[43]  La formation des inspecteurs s’échelonnait sur un an et incluait une combinaison d’enseignement en classe et d’expérience de terrain, ainsi que des séances vidéo et les « règles de la semaine » que les employés devaient lire et observer. Il n’est pas clair que la même formation soit offerte aux employés des sous-traitants, bien que le CN ait admis qu’ils sont des « employés comme les autres » ou qu’ils sont « des nôtres », et qu’ils ont accès à la documentation et à la formation du CN.

[44]  Le CN a déclaré qu’il effectuait 120 000 inspections par année par l’entremise des employés de la S&C avec un « taux de conformité de 99,98 pour cent », ce qui signifie qu’il y a environ 30 « cas particuliers ». Il n’est pas manifeste qu’il s’agit là de cas où l’inspection n’a pas permis de détecter que le FHT n’était pas constamment allumé. Il s’agit plutôt de cas où un passage à niveau n’a pas été inspecté à l’intérieur d’une « période de tolérance de sept jours ». Les rapports internes sont évalués par des superviseurs du CN de façon continue, et les cas particuliers sont identifiés et examinés.

[45]  Il y a également des vérifications occasionnelles au cours desquelles des superviseurs du CN sont en mesure d’établir une référence croisée entre un rapport d’inspection et des données GPS afin de s’assurer que les employés se sont effectivement rendus à un certain passage à niveau. On ne sait pas vraiment combien de fois ce genre de vérification a eu lieu, mais le comité d’appel accepte le fait qu’elles aient été effectuées par le CN.

[46]  Le système mis en place par le CN prévoyait en outre l’application de mesures disciplinaires dans le but d’encourager la conformité.

[47]  Compte tenu de tout ce qui précède, la décision à la suite de la révision a estimé que le système que le CN avait mis en place relativement aux inspections aux passages à niveau était « solide », en ce sens qu’il était raisonnablement conçu pour gérer la sécurité aux passages à niveau. Il s’agit là une conclusion correcte.

(4)   Le système de sécurité fonctionnait-il efficacement?

[48]  Le CN a soutenu qu’en raison de la structure de ses inspections aux passages à niveau, il n’y avait eu aucun accident au passage en cause au cours de la période considérée. De même, il n’y a eu ni plainte ni autre preuve voulant que la protection n’ait en fait pas fonctionné en tout temps.

[49]  Le représentant du CN a soutenu que même si les inspections en cause étaient épouvantables et que l’incidence de telles erreurs commises par des employés pouvait être « catastrophique », le CN ne pouvait en être tenu responsable puisque ces erreurs n’étaient pas raisonnablement prévisibles. En ce qui concerne la discipline, la preuve démontre que l’entrepreneur a démissionné et que les deux employés du CN en cause ont fait l’objet de mesures disciplinaires, soit des réaffectations et l’imposition de points d’inaptitude. En outre, des témoins du CN ont déclaré à l’audience en révision que huit employés avaient été congédiés pour négligence au cours des cinq années précédentes.

[50]  Dans ces circonstances, le CN affirme que le système qu’il avait en place était efficace, satisfaisant ainsi au deuxième aspect de la défense de diligence raisonnable.

[51]  Le représentant du ministre a fait valoir que, indépendamment de la conduite générale du CN et des mesures prises à la suite des violations, la compagnie n’avait pas démontré qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour assurer l’efficacité du programme de sécurité aux passages à niveau qu’elle avait mis en place à l’intention des inspecteurs sur voie.

Conclusion du comité d’appel

[52]  La formation, la vérification, la surveillance et les mesures de discipline mises en place par le CN ont été raisonnablement conçues pour gérer la sécurité aux passages à niveau. Mais, une fois leur mise en œuvre, les précautions prises n’ont pas suffi à assurer le respect continu des règles.

[53]  Dès novembre 2015, les superviseurs du CN auraient pu raisonnablement prévoir les inspections déficientes à ce passage à niveau. À l’époque, un superviseur du CN, faisant allusion à une récente expérience d’accident à un passage à niveau, a expressément mis en garde le personnel contre les pratiques d’inspection déficientes. Dans son avertissement, équivalant à une admonestation, il n’a pas précisé ce qui pourrait causer une inspection déficiente.

[54]  Les précautions à prendre pour assurer la conformité d’un système de sécurité doivent, entre autres, être proportionnelles aux conséquences d’une possible défaillance. Plus le danger ou le dommage pouvant résulter d’une erreur est important, plus la responsabilité de gérer raisonnablement le risque est grande. Aussi, plus la propension ou la probabilité qu’une erreur se produise est grande, plus l’obligation de la compagnie de bien gérer la situation est importante. En l’espèce, une évaluation des deux aspects met en évidence la nécessité d’une gestion de la sécurité hautement efficace.

[55]  Le comité d’appel conclut que les précautions prises par le CN ne sauraient être qualifiées de raisonnables. En dépit d’une prise de conscience des autorités de la compagnie, y compris l’avertissement ferme d’un superviseur un an auparavant, le système officiel de prévention et de surveillance du CN n’a pas réussi à éliminer un tel laisser-aller. Le système n’était pas à la hauteur de ce qui était raisonnablement requis dans les circonstances, compte tenu des répercussions possibles et des preuves relatives à la faute récurrente des employés.

[56]  On ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que le CN anticipe chaque cas de négligence ou toute erreur de la part d’un employé. Mais le cas qui nous occupe est différent; il s’agit d’une affaire où la propension à la négligence et à la violation des règles relatives aux inspections de sécurité aux passages à niveau pouvait être, et avait été raisonnablement anticipée. Notamment, la négligence était systémique en l’espèce puisqu’au passage à niveau en cause, la non-conformité est restée inaperçue pendant un mois.

[57]  Le « tour du système » ainsi qu’une vidéo traitant spécifiquement d’accidents ont été présentés à titre de preuve de la proactivité du CN (ce que le CN a appelé un « cours de recyclage »). On a dit de cette dernière mesure qu’elle découlait directement de l’avertissement lancé par un superviseur en novembre 2015. Selon le CN, aucune autre mesure directe n’était nécessaire puisque les inspections de sécurité en cause constituaient « l’une des tâches les plus simples à accomplir ». Cela implique implicitement que la direction du CN devrait pouvoir présumer que les employés respecteront toutes les règles.

[58]  Les mesures implantées par le CN comprenaient la lecture régulière de la règle de la semaine du CN ainsi que le visionnement de vidéos par les employés. La compagnie n’a pas présenté de preuves plus détaillées en matière de formation ou d’accent mis sur les inspections adéquates aux passages à niveau. Bien que l’un des témoins du CN ait déclaré que les employés devaient suivre tous les trois ans un cours de perfectionnement sur l’inspection des signaux, il n’y avait en l’espèce aucune preuve de formation de requalification pour l’un ou l’autre des employés ou des entrepreneurs concernés. La preuve indique que la dernière formation d’un des employés du CN remonte à octobre 2011, et à 1998 dans le cas de l’autre. Aucune preuve n’a été offerte quant à la formation ou au perfectionnement professionnel de l’employé de Remcan.

[59]  Rien dans la preuve ne démontre que la surveillance des superviseurs ait changé de façon significative à la suite de l’émission de la note de service d’avertissement de novembre 2015. La surveillance exercée à cette époque n’a pas permis de régler les cas de non-conformité à compter du 14 décembre 2016. La situation s’est poursuivie sur une période de près de quatre semaines, au cours de laquelle trois autres inspections furent effectuées par des employés du CN et un sous-traitant. Un système d’inspection raisonnablement efficace aurait permis d’accélérer ou de formaliser la tenue de cours de recyclage ou de requalification particuliers à la suite de l’avertissement de novembre 2015. Aussi, que ce soit par le biais d’une formation renouvelée ou d’une surveillance améliorée, quelqu’un aurait pu relever et corriger la non-conformité, à tout le moins à la suite de l’inspection du 14 décembre 2016.

[60]  Des corrections relatives aux fautes commises n’ont été apportées qu’après la découverte de la non-conformité le 9 janvier 2017, ce qui a incité un superviseur du CN à se plaindre peu de temps après dans un courriel : « ... ces entrepreneurs surveillant la marche des trains savent-ils même à quoi ressemble un feu hors tension? »

[61]  Dans l’ensemble, le comité d’appel conclut qu’un système d’inspection de la sécurité aux passages à niveau n’est pas efficace lorsque, comme en l’espèce, il permet que certaines erreurs passent inaperçues aussi souvent et pendant une si longue période de temps. Cela est particulièrement vrai lorsque la propension à ces erreurs est connue d’avance et que les risques découlant d’une non-conformité sont potentiellement « catastrophiques ».

[62]  La sécurité aux passages à niveau est considérée comme une « règle cardinale », dont la violation pourrait être assimilée au comportement d’une équipe de train franchissant un signal rouge sur la voie ferrée. Des consignes de sécurité sont en place pour s’assurer que les équipes de train s’y conforment, mais le CN n’a pas fait preuve de la même vigilance à l’égard du passage à niveau en cause dans cette affaire. Étant donné qu’une école voisine offre des services de transport scolaire par autobus aux jeunes élèves, les inspections du système de passages à niveau du CN auraient dû répondre à des normes plus élevées.

[63]  La décision à la suite de la révision conclut, d’après la preuve, que le système d’inspection de la protection par signal du CN n’était pas raisonnablement efficace pour empêcher les inspections fautives qui ont donné lieu au procès-verbal délivré au CN en raison d’une contravention au paragraphe 93(2) du Règlement sur les passages à niveau. Cette conclusion est correcte.

III.   DÉCISION

[64]  En application du paragraphe 40.19(3) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, l’appel est rejeté.

[65]  Le montant total de 55 500,24 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.

Le 20 avril 2020

 

(Original signé)

 

Motifs de la décision d’appel :

George (Ron) Ashley, conseiller présidant l’audience

 

Y souscrivent :

Gary Drouin, conseiller

 

 

Teddy Kwan, conseiller

 

Représentants des parties

 

Pour le ministre :

Eric Villemure

 

Pour l’appelante :

Yannick Landry

 

 

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