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Référence : Canada (Ministre des Transports) c. Compagnie de chemin de fer Quebec North Shore and Labrador Inc., 2020 TATCF 18 (appel)

No de dossier du TATC : Q-0028-41

Secteur : ferroviaire

ENTRE :

Canada (Ministre des Transports), appelant

- et -

Compagnie de chemin de fer Quebec North Shore and Labrador Inc., intimée

Audience tenue à :

Par observations écrites les 12 et 29 juin 2020, et le 10 juillet 2020

Affaire entendue par :

George (Ron) Ashley, conseiller présidant l'audience

 

Michael Regimbal, conseiller

 

John Gradek, conseiller

Décision rendue le :

6 novembre 2020

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE DE L’APPEL

Arrêt : L’appel est rejeté. Le comité d’appel confirme la décision à la suite de la révision selon laquelle la Compagnie de chemin de fer Quebec North Shore and Labrador Inc. n’était pas responsable d’une violation de la règle 112(a) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada.


I.  HISTORIQUE

[1]  Le 25 juillet 2017, au point milliaire 126,8 dans la subdivision Wacouna, le train PH‑651‑L de la Compagnie de chemin de fer Quebec North Shore and Labrador Inc. (QNS&L) est entré en gare à Mai, au Québec. Le train était composé de deux locomotives et de 159 wagons transportant du minerai de fer à destination de Sept-Îles. Il s’est arrêté à cet endroit pour effectuer un changement de mécaniciens et ajouter une locomotive qui y avait été garée plus tôt.

[2]  Lors de l’arrêt, les deux locomotives ont été découplées des wagons et ont été déplacées vers le sud, le long de la voie principale, à un endroit situé à environ 1 000 pieds plus loin. Il était prévu que le mécanicien recule les locomotives sur une voie d’évitement adjacente pour les relier à une troisième locomotive. Cette dernière se situait à peu près à 1 000 pieds au sud, sur la voie d’évitement.

[3]  Avant le découplage, le mécanicien de la QNS&L avait laissé les wagons sur la voie principale, leur appliquant alors cinq freins à main. Il n’y a pas eu d’essai de poussée-traction ou d’autres tests de freinage effectué sur les wagons à l’arrêt avant qu’il parte avec les locomotives.

[4]  Pendant ce temps, un deuxième mécanicien de la QNS&L s’était posté à la troisième locomotive garée sur la voie d’évitement, immédiatement à l’ouest des wagons stationnés. Il a fait démarrer la troisième locomotive, débarqué du côté ouest et a attendu l’arrivée des deux locomotives détachées qui devaient redescendre la voie d’évitement à partir du branchement sur la voie principale. La troisième locomotive devait être raccordée aux deux autres, puis le deuxième mécanicien devait alors prendre en charge l’aiguillage en ramenant les trois locomotives sur la voie principale et en les raccordant aux wagons qui avaient été laissés stationnés.

[5]  Alors qu’il attendait l’arrivée des deux locomotives sur la voie d’évitement, il a vu qu’un signal voisin (no 1286) sur la voie principale adjacente avait passé au rouge. Il a fait environ 20 à 25 pas jusqu’à l’avant de la troisième locomotive stationnée pour voir ce qui se passait et a constaté que les wagons stationnés roulaient sans locomotive, déclenchant ainsi le signal sur la voie principale.

[6]  À ce moment-là, le deuxième mécanicien a tenté de communiquer avec le premier mécanicien qui était resté sur la voie principale avec les deux locomotives. Il voulait alors alerter le premier mécanicien du mouvement intempestif, après quoi le signal radio de l’unité de détection et de freinage (UDF) situé dans les locomotives de tête pouvait être utilisé pour provoquer l’arrêt d’urgence des wagons. Cette communication a été infructueuse du fait que le premier mécanicien tentait de communiquer avec le répartiteur de la QNS&L sur une fréquence radio différente. Entre temps, le premier mécanicien avait également vu que le signal était rouge, mais il ne savait pas ce qui l’avait causé. Le déclenchement du signal a incité le premier mécanicien à communiquer avec le répartiteur afin d’éteindre le signal.

[7]  Dans ces circonstances, étant incapable de communiquer avec le premier mécanicien, le deuxième mécanicien a marché sur une distance d’environ 250 pieds pour atteindre les wagons en mouvement. Il a traversé la voie principale, marchant devant les wagons roulants, puis le long de ceux-ci afin de pouvoir enclencher la poignée du frein à air (robinet) afin de vider l’air contenu dans les conduites de frein. Cette intervention a permis d’arrêter les wagons au terme d’un mouvement intempestif de 400 pieds.

[8]  Après une enquête au sujet ces événements, Transports Canada (TC) a délivré un procès-verbal incluant une sanction pécuniaire de 54 666,12 $ à la QNS&L le 8 janvier 2018. TC allègue que la QNS&L a laissé du matériel roulant sans surveillance sur une voie principale sans avoir serré le nombre de freins à main minimum requis ni déterminé le nombre comme étant suffisant par une vérification de leur efficacité. TC prétend que la compagnie a ainsi contrevenu à la règle 112(a) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada et à l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire.

II.  DÉCISION À LA SUITE DE LA RÉVISION

[9]  À la suite d’une audience en révision qui a eu lieu à Montréal les 15 et 16 novembre 2018, le conseiller en révision a conclu dans sa décision du 23 juillet 2019 que le ministre des Transports (ministre) n’avait pas démontré que la QNS&L avait outrepassé les exigences relatives au nombre minimum de freins à appliquer au matériel laissé sans surveillance, et établies en vertu de la règle 112(a). Dans sa décision, le conseiller a conclu qu’un employé était suffisamment proche des wagons stationnés et qu’il avait pris des mesures efficaces pour arrêter leur mouvement. Par conséquent, le conseiller a statué que les exigences en matière de freinage énoncées à la règle 112 ne s’appliquaient pas, et que la règle n’avait donc pas été violée.

[10]  L’appelant soutient que la décision à la suite de la révision contenait des erreurs de fait et des erreurs mixtes de fait et de droit en concluant que la QNS&L n’avait pas laissé les wagons sans surveillance. L’appelant invite le comité d’appel à conclure que la règle s’appliquait, que la QNS&L l’a violée lors de l’événement en cause, et que la compagnie de chemin de fer est responsable d’une sanction administrative pécuniaire de 54 666,12 $.

III.  LA LOI

[11]  Bien que les règles relatives au matériel roulant laissé sans surveillance aient été modifiées depuis, à l’époque pertinente la règle 112(a) prévoyait en partie :

112 (a)  Quand un matériel, dont une locomotive sans source d’air, est laissé sans surveillance sur une voie principale, une voie de subdivision, une voie d’évitement ou dans un endroit à haut risque, au moins le nombre minimum de freins à main, tel qu’indiqué dans le tableau des freins à main en (k), doivent être serrés. Après une vérification de leur efficacité telle que décrite en (e), ce nombre de freins doit être déterminé suffisant. De plus, au moins un autre dispositif d’immobilisation physique ou mécanique doit être utilisé. Lorsque les freins à air sont utilisés comme dispositif d’immobilisation physique supplémentaire:

(i)  le système de frein à air doit être alimenté pour assurer un bon serrage des freins, et;

(ii)  la conduite générale est mise à l’atmosphère à un taux de serrage normal ou un serrage d’urgence a été déclenché, sur le matériel à marchandises, le robinet d’arrêt laissé ouvert;

(iii)  le matériel roulant ne doit pas être laissé sans surveillance plus de deux heures.

[…]

[12]  L’introduction de la règle 112 définit au paragraphe 112(i) le sens de l’expression « sans surveillance » :

112 (i)   un matériel roulant est considéré comme étant laissé sans surveillance quand un employé n’en est pas suffisamment proche pour intervenir efficacement afin d’arrêter le mouvement intempestif du matériel. 

IV.  QUESTIONS À TRANCHER EN APPEL

[13]  La question principale en appel portait sur l’interprétation à donner à la règle 112 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, et plus particulièrement aux termes « sans surveillance » et « intervenir efficacement ». Le ministre soutient que le matériel roulant n’était pas sous la surveillance des employés de la QNS&L, puisqu’aucun des employés n’était suffisamment proche pour intervenir efficacement afin d’arrêter le mouvement intempestif. Malgré le fait que le mouvement se soit arrêté après un déplacement de 400 pieds, le ministre prétend que les employés ne travaillaient pas en équipe et que l’intervention pour arrêter le mouvement n’avait pas été efficace. Par conséquent, le ministre soumet que les employés devaient serrer au minimum les freins à main comme il est stipulé dans les règles (huit freins selon le ministre).

[14]  La QNS&L prétendait que le matériel n’avait pas été laissé sans surveillance étant donné qu’il y avait des employés suffisamment proches pour intervenir et arrêter le mouvement efficacement.

A.  Norme de contrôle applicable en appel 

[15]  Les parties s’entendent pour dire que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce, bien qu’il y ait un différend quant à la façon d’en arriver à cette conclusion. Le comité convient avec les parties qu’il s’agit là de la bonne norme de contrôle.

B.  Point de procédure en appel

[16]  L’intimée soutient que l’avis d’appel était incomplet puisqu’il n’était pas daté, et qu’il est par conséquent impossible d’évaluer s’il a été déposé dans les limites du délai d’appel de 30 jours.

[17]  Le ministre affirme que la décision à la suite de la révision est datée du 23 juillet 2019 et que l’avis d’appel a été envoyé au greffier du Tribunal d’appel des transports du Canada dans une correspondance en date du 2 août 2019. La QNS&L a accusé réception de l’avis d’appel le 7 août 2019, ce qui fait que le tout, selon le ministre, respecte le délai imparti de 30 jours.

[18]  Le comité d’appel conclut que l’omission d’inclure une date sur l’avis lui-même constitue un oubli administratif, et que cela s’étend à toute erreur d’identification de la QNS&L en tant qu’appelante. Il s’agit d’erreurs insignifiantes dans les circonstances, et celles-ci ne sont ni déroutantes ni trompeuses. À ce titre, elles n’ont pas d’incidence sur le dépôt en temps opportun de la demande d’appel.

C.  Premier motif d’appel

[19]  L’appelant argumente que le conseiller a fait une erreur dans son interprétation de la règle 112, plus particulièrement sur ce que signifie la surveillance du matériel. L’appelant soumet les arguments suivants au soutien de son motif d’appel :

(1)  Les employés de la QNS&L n’étaient pas conscients de l’existence de la règle

[20]  La question qui se pose en l’espèce est de savoir si les wagons ont été laissés sans surveillance au sens de la règle 112. La connaissance des employés, ou la confusion comme il est fait mention dans la décision à la suite de la révision, ne font pas en sorte que quelque chose soit plus ou moins surveillé.

[21]  L’appelant soutient en outre que, puisque la QNS&L est autorisée à fonctionner avec des équipes de train d’une seule personne, la compagnie doit assumer une responsabilité accrue en matière de formation des employés. Le comité reconnaît que les équipes de train d’une seule personne constituent une exception au sein de l’industrie des chemins de fer fédéraux du Canada. Cependant, en l’espèce, cela ne rend pas les wagons en cause plus ou moins surveillés.

(2)  Faire une manœuvre plutôt qu’un « tie-up » n’a aucune incidence sur l’application de la règle 112

[22]  L’appelant prétend que la décision à la suite de la révision a conclu à tort que la règle 112 ne s’appliquait pas pendant les manœuvres de triage des trains. Le comité d’appel soutient cette prétention. Que les mouvements ou les manœuvres aient lieu dans une cour, sur une voie d’évitement ou sur une voie principale, ou qu’ils impliquent ou non un triage, un stationnement temporaire, un stationnement permanent, un changement d’équipe ou autre, la règle 112 s’applique. La loi et le règlement ne prévoient aucune exclusion expresse ou implicite. Il est clair que toute conclusion voulant qu’il y ait une exclusion implicite serait très difficile à prouver compte tenu des objectifs de sécurité primordiaux énoncés dans la Loi sur la sécurité ferroviaire.

[23]  Bien que le comité d’appel diverge d’opinion avec la décision à la suite de la révision sur ce point, cela ne modifie en rien la conclusion finale du comité voulant que la décision à la suite de la révision concluant que les wagons n’avaient pas été laissés sans surveillance soit raisonnable.

(3)  La décision à la suite de la révision a reconnu à tort que les deux employés de la QNS&L travaillaient en équipe et que, à ce titre, ils surveillaient conjointement les wagons qui avaient été laissés sur la voie principale

[24]  La décision à la suite de la révision a retenu l’affirmation de la compagnie de chemin de fer selon laquelle les wagons étaient sous surveillance puisque deux employés travaillaient ensemble à l’arrivée du train à la gare de Mai.

[25]  Le comité d’appel estime que cette affirmation n’est que partiellement vraie. La preuve démontre qu’il y a eu une rupture dans la communication au moment où les wagons stationnés ont commencé à rouler. Le premier mécanicien est dès lors devenu inaccessible du fait qu’il a changé de canal radio. Cet événement s’est produit à un moment critique, alors que le premier mécanicien manœuvrait les locomotives à plus de 1 000 pieds des wagons. Il n’était donc pas à proximité, ne surveillait pas les wagons et n’était, en fait, pas en mesure d’empêcher leur roulement. Cela va de soi, il ne savait même pas qu’ils roulaient et avait simplement contacté le répartiteur central afin d’éteindre le signal rouge qu’il voyait sur la voie principale.

[26]  Alors que les deux employés constituaient d’abord une équipe, cela n’était plus vrai lorsque leur communication a été rompue. À ce moment-là, ils ne surveillaient plus les wagons conjointement. À tout le moins une chose est certaine, le premier mécanicien ne les surveillait pas.

[27]  La décision à la suite de la révision a finalement déterminé qu’un employé, M. David Simard, qui en tant que deuxième mécanicien, était suffisamment près des wagons et a pris des mesures efficaces pour arrêter le mouvement. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable qui ne repose pas sur le fait que le conseiller en révision a accepté la version voulant que les deux employés aient agi en équipe tout au long de l’événement.

(4)  Le deuxième mécanicien n’avait pas de visuel sur l’équipement, il ne pouvait donc pas surveiller les wagons

[28]  Au sujet du champ de vision, la décision à la suite de la révision a indiqué que le deuxième mécanicien était posté à côté de la locomotive stationnée, sur une voie d’évitement adjacente aux wagons stationnés. De cet endroit, « il avait un certain regard sur son mouvement (du coin de l’œil) » [nous soulignons].

[29]  La décision à la suite de la révision a estimé que le deuxième mécanicien était conscient que les wagons se trouvaient près de lui, qu’il pouvait voir le train et qu’il était attentif à ce qui se déroulait autour de lui. Il a réalisé qu’il y avait un problème lorsqu’il a entendu la communication radio entre les premiers mécaniciens voulant que le signal soit passé au rouge, puis a lui-même constaté le fait de visu. La décision en a conclu que l’employé était en mesure de prendre des mesures correctives immédiates pour mettre fin au mouvement involontaire.

[30]  Ces conclusions ne sont pas déraisonnables.

(5)  M. Simard n’était pas à « deux pas » du matériel roulant, et de ce fait ne pouvait pas surveiller les wagons

[31]  Cet argument suppose que la surveillance appropriée de wagons stationnés doit s’effectuer d’extrêmement près.

[32]  La surveillance du matériel roulant au sens de la règle 112(a) exige une évaluation du temps nécessaire aux employés pour intervenir de manière efficace, efficiente et sûre. Cela inclus un examen du terrain sur le site, la distance d’un employé par rapport aux wagons, la présence de tout obstacle entre l’employé et les wagons, le nombre de wagons roulants, leur poids, leur vitesse, et la pente de la voie. L’ensemble de ces éléments sert à déterminer si l’employé peut se rendre jusqu’aux wagons en toute sécurité, le temps qu’il faut pour prendre position afin d’agir pour contrôler le mouvement et le temps nécessaire pour stopper complètement le mouvement involontaire.

[33]  Conséquemment, le comité d’appel conclut que la proximité n’est qu’un élément de l’ensemble, quoiqu’il soit important. En l’espèce, la preuve démontre que l’un des employés, M. Simard, était situé raisonnablement près pour voir ce qui se passait et prendre les mesures correctives nécessaires. Sur ce point, la conclusion de la décision à la suite de la révision n’est pas déraisonnable.

(6)  L’intervention pour arrêter le mouvement n’était pas efficace et le fait que les wagons roulants ont finalement été arrêtés ne peut servir à prouver l’étendue d’une surveillance et d’une action efficace

[34]  Le comité conclut que la distance réellement parcourue par les wagons, la durée du trajet et la façon dont les wagons ont finalement été arrêtés sont toutes des éléments pertinents pour effectuer une évaluation de l’efficacité au sens de la règle 112(a). On pourrait spéculer sur ce qui serait advenu si le signal n’avait pas été déclenché ou si les wagons avaient roulé sur une distance de 1 000 pieds plutôt que 400. Toutefois, une spéculation ne peut avoir préséance sur ce qui s’est réellement passé. En l’espèce, la question est de savoir si le deuxième mécanicien a oui ou non été en mesure d’empêcher efficacement les wagons de continuer à rouler.

[35]  La décision à la suite de la révision a déterminé que les faits entourant le mouvement intempestif, en matière de distance, de durée et de résultat, ainsi que la façon dont il a été arrêté, se distinguaient de ceux survenus lors de l’incident de Lac-Mégantic. Encore une fois, il ne s’agit pas là d’une conclusion déraisonnable.

[36]  Un comité d’appel peut tenir compte de moyens qui auraient pu être plus efficaces pour empêcher les wagons de rouler. Par exemple, le premier mécanicien aurait pu utiliser l’UDF radiocommandée pour provoquer un arrêt d’urgence, ce qui aurait pu constituer la mesure la plus efficace. Cela ne rend toutefois pas inefficace l’action du deuxième mécanicien. La règle 112(a) n’exige pas que l’action soit la plus efficace possible.

(7)  Les wagons se sont déplacés sur une distance de 400 pieds, ce qui prouve que leur immobilisation a été inefficace

[37]  Comme il est indiqué ci-dessus, le comité d’appel convient que plus le roulement des wagons est long, plus leur arrêt est inefficace. L’endroit où se déroule l’incident peut également s’avérer important dans l’évaluation de l’efficacité de l’intervention. Par exemple, la présence à proximité de passages à niveau sur des routes achalandées comporte un élément de risque accru et, par conséquent, doit s’accompagner d’un sens plus aigu de la notion d’« efficacité ». Néanmoins, et compte tenu des conséquences évidentes que peuvent causer des wagons partis à la dérive, la règle implique une exigence fondamentale en matière de sécurité, à savoir que les équipes doivent être parfaitement conscientes de la façon dont elles doivent manœuvrer, en toute sécurité, les wagons stationnés ou arrêtés.

[38]  En l’espèce, la décision à la suite de la révision a déterminé que l’ampleur du lent déplacement ne dénotait pas un arrêt inefficace. Cette conclusion n’est pas déraisonnable.

(8)  La décision à la suite de la révision a conclu de façon déraisonnable que la mesure avait été efficace, alors que l’arrêt des wagons n’a été rendu possible que par l’intervention du deuxième employé qui a mis en péril sa propre sécurité en marchant devant les wagons en mouvement afin d’atteindre le frein d’urgence

[39]  Il n’y a pas de règle générale interdisant de marcher devant des wagons, et les témoins de Transports Canada lors de l’audience en révision se sont contentés de dire que ce n’était « pas encouragé ni recommandé ».

[40]  Il s’agit ici de savoir si la décision à la suite de la révision a conclu à juste titre que M. Simard a pu traverser les voies efficacement et en toute sécurité devant les wagons roulants. La décision à la suite de la révision a fait état de l’importance du témoignage de M. Simard à cet effet. Ce dernier a dit qu’il avait traversé la voie devant les wagons, que ceux-ci roulaient lentement, et qu’il avait jugé qu’il pouvait facilement, sans hâte et sans risque indus, traverser en toute sécurité. Cette conclusion n’est pas déraisonnable.

D.  Deuxième motif d’appel

[41]  L’appelant soumet que le conseiller a erré dans son appréciation du fonctionnement du système de freins. Plus précisément, l’appelant est en désaccord avec la conclusion suivante : « la preuve et le témoignage de M. [Mario] Bernier confirment qu’il s’agissait simplement d’appuyer sur un interrupteur pour arrêter efficacement le train. » [nous soulignons]. L’appelant soumet que l’arrêt du matériel était un hasard et non une conséquence de l’action de M. Simard.

[42]  L’intimée répond à cette allégation que la seule preuve relative aux freins a été celle du témoin M. Denis Dionne, complétée par l’interrogatoire du témoin M. Kevin Mosher. L’intimée ajoute que c’est la seule preuve présentée devant le conseiller et qu’elle n’a été contestée ni par une preuve indépendante, ni en contre-interrogatoire.

[43]  Il serait théorique de considérer que, si les freins d’urgence du wagon de tête n’avaient pas fonctionné parce que les conduites de freins avaient été vidées, M. Simard n’aurait pas pu arrêter les wagons. On pourrait également se demander si M. Dave Patry, qui occupait les locomotives de tête, aurait pu réaliser rapidement que les wagons étaient en mouvement et utiliser le signal radio à l’intérieur de la locomotive pour stopper leur avance.

[44]  La décision à la suite de la révision doit reposer sur les faits existants qui lui sont présentés. Le comité d’appel convient avec le conseiller en révision que M. Simard a eu recours au robinet de frein d’urgence de manière efficiente et qu’il a efficacement arrêté le mouvement en toute sécurité. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable.

E.  Conclusion

[45]  Le comité d’appel conclut que le conseiller en révision n’a pas commis d’erreur de fait et de droit dans son interprétation de la règle 112 en déterminant que les wagons de la QNS&L stationnés à la gare de Mai dans la nuit du 25 juillet 2017 n’avaient pas été laissés sans surveillance. Par ailleurs, le conseiller n’a commis aucune erreur de fait en concluant que les wagons roulants avaient été arrêtés efficacement, alors que l’arrêt du mouvement était, en partie, attribuable au fait que de l’air avait été laissé dans les conduites de frein des wagons stationnés, avant leur roulement. Telles étaient les circonstances qui existaient au moment de l’incident et, à ce titre, les mesures prises doivent être examinées dans ce cadre, et on ne doit pas spéculer sur ce qui aurait pu se produire dans des circonstances différentes.

[46]  L’appelant a demandé que la sanction administrative pécuniaire de 54 666,12 $ soit imposée à la QNS&L au cas où l’appel serait accueilli. La QNS&L n’a interjeté appel ni sur le bien-fondé ni sur le montant de l’amende.

[47]  Puisque l’appel est rejeté, il est inutile que le comité d’appel se penche sur l’une ou l’autre de ces questions.

V.  DÉCISION

[48]  L’appel est rejeté. Le comité d’appel confirme la décision à la suite de la révision selon laquelle la Compagnie de chemin de fer Quebec North Shore and Labrador Inc. n’était pas responsable d’une violation de la règle 112(a) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada.

Le 6 novembre 2020

(Original signé)

Motifs de la décision d’appel :

George (Ron) Ashley, conseiller présidant l’audience

Y souscrivent :

Michael Regimbal, conseiller

 

John Gradek, conseiller

Représentants des parties

Pour le ministre :

Micheline Sabourin

Pour l’intimée :

Michel Huart

 

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