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Référence : Ville d’Ottawa exerçant son activité sous le nom de Capital Railway c. Canada (Ministre des Transports), 2020 TATCF 20 (appel)

No de dossier du TATC : H-0029-43

Secteur : ferroviaire

ENTRE :

Ville d’Ottawa exerçant son activité sous le nom de Capital Railway, appelante

- et -

Canada (Ministre des Transports), intimé

[Traduction française officielle]

Audience :

Par observations écrites

Affaire entendue par :

George (Ron) Ashley, conseiller présidant l’audience

Gary Drouin, conseiller

Michael Regimbal, conseiller

Décision rendue le :

23 novembre 2020

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE DE L’APPEL

Arrêt : L’appel est rejeté. Le comité d’appel confirme la sanction administrative pécuniaire délivrée à l’appelante.

Le montant total de 56 250 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.


I. HISTORIQUE

[1] Dans un procès-verbal en date du 14 mars 2018, et conformément à l’alinéa 3(1)b) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire, ainsi qu’à l’article 40.14 de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF), le ministre des Transports (ministre) a imposé une sanction pécuniaire de 56 250 $ à la Ville d’Ottawa exerçant son activité sous le nom de Capital Railway (Capital Railway), en raison d’une contravention alléguée au Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC).

[2] L’avis précisait :

Le ou vers le 23 novembre 2017, dans la subdivision Ellwood à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, la Ville d’Ottawa exerçant son activité sous le nom de Capital Railway (Capital Railway) a exploité du matériel ferroviaire sur un chemin de fer autrement qu’en conformité avec la règle 439 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada à laquelle Capital Railway est assujettie, lorsqu’elle a omis d’arrêter le train C7 au signal 28 Est affichant « Arrêt absolu », contrevenant ainsi à l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire.

[3] Capital Railway a demandé une révision de ce procès-verbal, et une audience en révision s’est déroulée devant un conseiller du Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal). À la suite de cette audience, le conseiller en révision a confirmé les allégations rapportées dans le procès-verbal et la sanction pécuniaire l’accompagnant. Dans sa décision datée du 5 septembre 2019, le conseiller a conclu que Capital Railway n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable, savoir qu’elle n’avait pas pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives.

[4] Capital Railway interjette maintenant appel de cette décision.

II. MOTIFS D’APPEL

[5] Les motifs énoncés sont les suivants :

  1. Le conseiller en révision a commis une erreur de droit en ce qui concerne la défense de diligence raisonnable, et
  2. Le conseiller en révision a été déraisonnable dans l’évaluation et l’imposition de la sanction pécuniaire, car il n’a pas tenu compte d’une mesure atténuante efficace qui a contrebalancé un cas d’erreur humaine, soit l’immobilisation rapide et sécuritaire du train C7.

[6] L’appelante demande au comité d’appel d’annuler le procès-verbal et la sanction pécuniaire, ou, à titre subsidiaire, de réduire l’amende d’un montant approprié. Le ministre prétend que l’appel doit être rejeté et que la décision à la suite de la révision doit être confirmée, sans réduction de la sanction imposée.

III. NOUVELLE PREUVE

[7] Capital Railway a demandé que soit ajouté au dossier d’appel un affidavit de M. Troy Charter, directeur des Opérations du transport en commun de la Direction générale des transports de la Ville d’Ottawa. Cet affidavit, signé le 5 mai 2020, énonce quatre points qui, selon lui, sont pertinents et importants en vue de l’appel, et qui n’ont pas été mis en preuve devant le conseiller en révision. Le ministre ne s’est pas opposé à cet ajout.

[8] Dans une décision du 22 mai 2020, le Tribunal a accueilli la demande, soulignant au passage que les parties pourraient traiter des questions de pertinence et de valeur probante dans leurs observations écrites devant être soumises dans le cadre l’appel. L’appelante a déposé son mémoire le 28 mai 2020, et le ministre a fait de même le 3 juillet 2020. L’appelante n’a pas répondu aux observations du ministre.

IV. DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES

[9] La décision à la suite de la révision énonce correctement le cadre juridique pertinent :

[10] L’article 17.2 de la LSF prévoit, en partie, qu’il « est interdit à toute compagnie de chemin de fer d’exploiter ou d’entretenir un chemin de fer … et à toute compagnie de chemin de fer locale d’exploiter du matériel ferroviaire sur un chemin de fer, en contravention avec un certificat d’exploitation de chemin de fer, les règlements et les règles établies sous le régime des articles 19 ou 20 qui lui sont applicables … ».

[11] L’alinéa 3(1)b) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire (le règlement) dispose que la contravention à une règle en vigueur sous le régime des articles 19 ou 20 de la LSF est assujettie aux articles 40.13 à 40.22 de la LSF.

[12] La règle 439 du REFC constitue un texte désigné auquel s’appliquent les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires ; elle dispose que :

Arrêt absolu – S’arrêter.

OPTIONNEL : À moins qu’il ne soit nécessaire de libérer un aiguillage, un passage à niveau, un emplacement contrôlé ou pour placer du matériel voyageurs devant un quai de gare un mouvement qui n’est pas autorisé en vertu de la règle 564, doit s’arrêter à au moins 300 pieds d’un signal d’ARRÊT ABSOLU.

[13] La règle 564 prévoit pour sa part que :

Autorisation de franchir un signal d’arrêt absolu

a) Un train ou un transfert doit avoir l’autorisation nécessaire pour franchir un signal de canton donnant l’indication Arrêt absolu :

[14] Les parties n’ont pas soulevé la question de la règle 564 en l’espèce, et il est admis qu’une telle autorisation n’existait pas. L’appel porte plutôt sur la défense de diligence raisonnable et les mesures d’atténuation pouvant s’appliquer au montant de l’amende imposée.

V. LES FAITS

[15] Les faits ne sont pas contestés.

[16] Capital Railway est un chemin de fer fédéral qui exploite un service de transport en commun avec des opérateurs à temps plein et à temps partiel. Les trains sont exploités par des équipes d’une seule personne, alors que certains opérateurs sont à la fois chauffeurs d’autobus à Ottawa. Ils reçoivent une formation ferroviaire spéciale à la suite d’un enseignement initial en classe et d’une formation en cours d’emploi, ainsi que de la formation d’appoint.

[17] Le 23 novembre 2017, Capital Railway exploitait le train C7, un train de voyageurs léger sur rail connu sous le nom d’O-Train et circulant sur ce qu’on appelle la ligne Trillium. À l’époque, il s’agissait d’une ligne de transport de voyageurs nord-sud s’étendant sur huit kilomètres, et qui se situait légèrement à l’ouest du centre-ville d’Ottawa.

[18] Le même jour vers 17 h 53, le train C7, circulant en direction sud, s’est approché puis s’est arrêté à une gare de voyageurs du nom de station Confédération. À la suite du débarquement et de l’embarquement des passagers, le train a poursuivi son itinéraire. Ce faisant, il est passé devant, puis au-delà d’un signal d’exploitation ferroviaire situé immédiatement au sud du quai d’embarquement. Ce signal, communément appelé signal 28, était non permissif; c’est-à-dire qu’il affichait un indicateur rouge tout au long de l’approche et du passage pertinents du train C7.

[19] Une fois ce signal d’arrêt franchi, un système automatique de freinage d’urgence du train s’est engagé, stoppant efficacement le mouvement au-delà du signal 28. Le train s’est arrêté avant une prochaine intersection (pièce de croisement ou enclenchement) avec une ligne de VIA Rail.

[20] Le signal 28 contrôlait l’entrée du train de Capital Railway dans l’enclenchement ferroviaire de la subdivision Beachburg de VIA Rail. Lorsque le train C7 a dépassé le signal rouge, le train 644 de VIA Rail, qui se déplaçait à ce moment-là vers l’est en direction d’Ottawa, s’approchait de la pièce de croisement. Le train de VIA a pris des mesures d’évitement en freinant pour s’arrêter avant de traverser l’intersection.

[21] Le train C7 a été arrêté par l’activation automatique d’un dispositif spécial de freinage d’urgence à bord, connu sous le nom de système Indusi. Ce système dispose de détecteurs sous forme d’aimants situés sur la voie et sur le train, lesquels déclenchent le freinage automatique d’urgence d’un train si ce dernier franchit un signal rouge.

[22] Il n’y a pas eu de collision et le train C7 n’a jamais occupé physiquement la pièce de croisement. L’opérateur qui avait raté le signal rouge a été remplacé avant que le train C7 redémarre et poursuive son trajet vers le sud.

[23] Capital Railway a été impliquée dans un certain nombre de violations présumées de la règle 439, le tout remontant à novembre 2015. Dans certains de ces cas, des inspecteurs de Transports Canada ont fait parvenir des lettres d’avertissement à la compagnie de chemin de fer. À la suite d’un événement survenu en mai 2017, un procès-verbal et une sanction administrative pécuniaire ont été délivrés à la compagnie de chemin de fer pour avoir contrevenu à la règle 439. L’amende a été payée.

VI. ANALYSE

A. Norme de contrôle

[24] Capital Railway affirme que la norme de contrôle applicable aux questions de droit relatives à la défense de diligence raisonnable est celle de la décision correcte. Le ministre s’est dit d’accord avec cette qualification, déclarant que « la diligence raisonnable est d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qu’elle est habituellement examinée en fonction la norme de la décision correcte ».

[25] Le comité d’appel conclut qu’en l’espèce la norme de contrôle applicable à la défense de diligence raisonnable est celle de la décision correcte. Ce principe est conforme au raisonnement énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Friesen, 2017 CF 567, dont la conclusion veut que la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit.

[26] En ce qui a trait à l’imposition et au montant de la sanction pécuniaire, Capital Railway prétend que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, ce que le ministre ne conteste pas, précisant que ces questions portaient sur les faits en l’espèce et leur application aux principes juridiques entourant l’imposition des sanctions.

[27] Le comité d’appel conclut que la norme de contrôle de cet appel est celle de la décision raisonnable en ce qui a trait aux questions relatives à la sanction administrative pécuniaire. Cela est conforme à l’arrêt Friesen.

B. Motif 1 – Diligence raisonnable

[28] La défense de l’appelante repose fortement sur les agissements des employés ou l’erreur humaine, et s’appuie sur une jurisprudence établissant l’importance de l’existence de mesures de secours ou de prévention, puisque l’erreur humaine est inévitable [1] . En raison de cette inévitabilité, l’appelante affirme qu’elle a adopté le système de freinage d’urgence Indusi en tant que « système de secours » qui, dit-elle, compense ou contrebalance toute erreur commise par les opérateurs de train. Selon l’appelante, il s’agit là d’une preuve suffisante que la compagnie a agi avec toute la diligence raisonnable.

[29] Outre le système Indusi à titre de preuve de sa diligence raisonnable, l’appelante a soumis que l’opérateur du train C7 était apte à exercer ses fonctions et qu’il était qualifié, ajoutant qu’il avait lui-même déclaré qu’il n’était pas distrait à ce moment-là, qu’il n’était pas fatigué, qu’il ne faisait pas d’excès de vitesse ou qu’il n’avait pas perdu le contrôle, qu’il n’avait jamais enfreint la règle 439, qu’il n’était pas engagé dans une procédure complexe ou nouvelle, qu’il connaissait la règle universelle voulant qu’un signal rouge signifie que l’on doit s’arrêter, et qu’il avait reçu une formation professionnelle. Aux dires de l’appelante, et malgré ces facteurs, c’est une erreur humaine inévitable qui a conduit à la bévue de l’opérateur. Compte tenu de cette inévitabilité, la compagnie de chemin de fer a choisi, selon ses termes, de « contrecarrer » le côté humain faillible de l’exploitation ferroviaire en installant de l’équipement de sécurité permettant d’arrêter un train d’urgence à la suite d’une défaillance de l’opérateur.

[30] L’intimé soutient que l’arrêt de principe en matière de défense de diligence raisonnable est R. c. Sault Ste. Marie (Ville), [1978] 2 R.C.S. 1299. Cette décision, selon le ministre, établit clairement que la diligence raisonnable est un moyen de défense que peut invoquer une compagnie qui est accusée relativement à un acte commis par un employé. Toutefois, cette défense ne peut être concluante que s’il est démontré que la compagnie a fait preuve de diligence raisonnable, savoir si elle a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives. En l’espèce, le ministre fait valoir que cette norme n’a pas été respectée, peu importe l’efficacité du système de freinage Indusi, notamment du fait que ce système n’est pas de nature préventive.

[31] S’agissant d’abord des systèmes de sécurité générale en vigueur au sein de la compagnie ferroviaire, le comité d’appel reconnaît que Capital Railway est dans une situation exceptionnelle parmi les chemins de fer fédéraux qui exploitent des lignes ferroviaires au Canada, en ce sens qu’elle est autorisée à fonctionner avec des équipes d’une seule personne. La plupart des chemins de fer doivent utiliser deux membres d’équipe par train, alors que deuxième membre peut neutraliser ce que l’appelante a qualifié en l’espèce d’inévitable « erreur humaine »; c’est-à-dire que lorsqu’une erreur est commise par un membre d’équipe, le second peut prendre des mesures d’évitement. Par conséquent, le fait de ne pas pouvoir profiter d’un tel soutien d’un collègue (lorsqu’il n’y a qu’un seul employé qui exploite le train) accentue la nécessité de porter une attention continue à la formation des opérateurs relativement à l’ensemble des questions de sécurité. Cela est d’autant plus vrai dans le cas de Capital Railway, car ses trains sont souvent exploités par des opérateurs temporaires ou de relève dont la responsabilité première est de conduire des autobus dans les rues d’Ottawa.

[32] La décision à la suite de la révision examine les éléments de preuve touchant la formation des opérateurs de la compagnie de chemin de fer, y compris celle de l’opérateur du train C7 la nuit où le signal rouge a été franchi. La décision prend en compte les dossiers des employés relativement à la formation et aux cours de recyclage ou de requalification suivis, mais conclut que la preuve ne démontre pas que la requérante « a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction », elle ne fait que révéler une « approche fragmentée et non systématique de la formation » (par. 43). La décision conclut en outre que la preuve n’atteste pas l’existence d’un programme de formation « amplement … document[é] », ajoutant qu’on ne lui a pas soumis d’« éléments de preuve concrets » d’une « formation, de ses moyens de contrôle, de sa supervision et de son suivi rigoureux » (par. 44).

[33] Le comité d’appel souscrit à cette conclusion. Bien que Capital Railway ait mis en doute la preuve générale et spécifique sur la formation que le ministre a présentée à l’audience en révision, la compagnie n’a pas fait entendre ses propres témoins à ce sujet. Dans l’ensemble, la preuve démontre une attention insuffisante portée à la sécurité dans l’exploitation des trains de voyageurs par des équipes d’une seule personne composées de conducteurs à temps partiel.

[34] Le conseiller en révision a examiné la jurisprudence pertinente quant à ce qui constitue un système adéquat de formation des employés dans le cadre d’une exploitation ferroviaire. Ces arrêts soulignent la nécessité d’un programme de sécurité complet et continu qui soit entièrement documenté et éprouvé : Cando Rail Services Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), 2019 TATCF 3 (appel); et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Ministre des Transports), 2019 TATCF 5 (appel). Le comité d’appel convient avec le conseiller en révision que, selon la preuve, Capital Railway ne satisfait pas à cette norme. Ce manquement est d’autant plus notable que la compagnie avait récemment reçu des avertissements, en plus d’avoir commis une infraction non contestée, précisément en lien avec la règle 439.

[35] L’appelante fait référence à la preuve présentée à l’audience sur la situation personnelle de l’opérateur à l’époque, y compris son état de santé général, son état d’esprit, son attention et sa façon de conduire le train C7. Ces éléments de preuve précis ne sont pas convaincants à l’égard de la question générale de la diligence raisonnable et celle de la mise en place par la compagnie d’un système de sécurité approprié et continu pour éviter la violation de la règle 439.

[36] Dans l’ensemble, on pourrait s’attendre à ce que beaucoup plus d’attention soit accordée aux questions de sécurité, en particulier pour ce qui est de l’arrêt des trains aux signaux rouges, compte tenu particulièrement du fait que l’appelante qualifie d’« universelle » la nature de la règle connue des opérateurs d’autobus et de trains selon laquelle « le rouge est prohibitif ». La nécessité d’un programme de sécurité systémique et complet est d’autant plus criante que l’appelante classe l’« erreur humaine » d’un opérateur dans le rang des certitudes, sans compter la prévalence des opérateurs à temps partiel et l’historique du dossier de sécurité de la compagnie eu égard à la conformité à la règle 439.

[37] L’appelante compte principalement sur le système de freinage d’urgence Indusi dans le cadre de sa défense de diligence raisonnable en matière de sécurité de l’exploitation ferroviaire. Le conseiller en révision a examiné les éléments de preuve disponibles sur les aspects techniques de ce système et, somme toute, n’a pas été convaincu qu’il était adéquat pour prévenir la non-conformité (par. 48). Le comité d’appel est d’accord avec cette conclusion.

[38] Il y avait peu de preuves techniques disponibles sur le fonctionnement du système Indusi. Néanmoins, il est clair que celui-ci a fonctionné comme prévu en l’espèce. Il a déclenché un arrêt d’urgence une fois que le train a franchi le signal rouge. La preuve démontre que le train s’est immobilisé au sud du signal et avant l’intersection avec la pièce de croisement de VIA Rail. La règle 439 est ce que l’on appelle dans l’industrie ferroviaire canadienne une « règle d’exploitation cardinale », dont les exigences sont très précises. La règle prescrit qu’un mouvement doit s’arrêter « à au moins 300 pieds d’un signal d’ARRÊT ABSOLU ». Le fait que le train C7 se soit finalement arrêté sans accident et avant la pièce de croisement de VIA n’a rien à voir avec le fait que la violation a eu lieu ou non.

[39] Bien que l’adoption du système Indusi par la compagnie de chemin de fer soit remarquable, il s’agit là d’un système de sécurité qui se déclenche seulement après qu’un signal rouge a été franchi. Il ne prévient en rien la commission de la contravention; ce n’est qu’une mesure corrective. En tant que tel, il ne s’agit pas d’un système de sécurité ferroviaire adéquat et approprié pouvant empêcher la commission d’infractions ou de contraventions en matière d’exploitation, conformément au critère établi dans l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie. Il peut, dans certaines circonstances, empêcher qu’un accident ou une collision ne surviennent, mais il ne peut écarter la nécessité d’une éducation, d’une formation et d’une surveillance continues et complètes des opérateurs, notamment en ce qui concerne la conformité aux signaux ferroviaires. En matière de sécurité, la compagnie de chemin de fer n’est pas dispensée d’établir une forte culture et un programme rigoureux systémiques simplement parce qu’elle a investi dans de l’équipement permettant d’éviter des accidents après le fait. Les risques liés à la non-conformité sont importants, surtout lorsque, comme dans cette affaire, un train de VIA qui approche est aussi forcé de prendre des mesures d’évitement.

[40] Le comité d’appel souscrit à la décision à la suite de la révision et conclut que l’appelante n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour établir un système approprié capable de prévenir la commission de la violation.

C. Motif 2 – Sanction administrative pécuniaire

[41] L’appelante fait valoir que le conseiller en révision aurait dû réduire le montant de la sanction pécuniaire puisque le système Indusi a fonctionné efficacement. Sur ce point, l’appelante se réfère au témoignage de l’inspecteur de la sécurité ferroviaire qui a déclaré qu’il aurait considéré le système comme étant un facteur atténuant à l’égard du montant de l’amende. L’appelante prétend que l’efficacité du système justifie plus qu’une « réduction de six pour cent » standard du montant de la sanction.

[42] L’appelante soutient qu’une réduction de la sanction est également justifiée en raison du bon dossier de sécurité de la compagnie de chemin de fer relativement à la règle 439 depuis novembre 2017, et du fait que la ligne Trillium sera fermée pendant deux ans et demi, ce qui à terme entraînera l’élimination de la pièce de croisement. Autrement dit, selon la compagnie, il n’y a aucun risque de voir se répéter les violations du voyant rouge au signal 28.

[43] L’intimé déclare pour sa part que le récent dossier de sécurité de la compagnie relativement à la règle 439, la fermeture de la voie ferrée et l’élimination future de la pièce de croisement devraient se voir attribuer peu de poids à titre de facteurs atténuants.

[44] Le comité d’appel examinera cette question en fonction la norme de la décision raisonnable, faisant ainsi preuve de retenue à l’égard de la décision du conseiller en révision.

[45] Le conseiller en révision a reconnu que le système Indusi pouvait constituer un cinquième facteur atténuant, mais il a ensuite rejeté l’idée en raison du manque de preuves concernant son fonctionnement, et parce qu’un opérateur peut le neutraliser (par. 54 et 55). Comme nous l’avons mentionné précédemment, bien que les éléments de preuve techniques soient limités, il est évident que le système a fonctionné comme il se doit. Néanmoins, il est également clair qu’il agit en tant que système secondaire ou de secours, et qu’il n’est déclenché qu’une fois qu’un signal d’arrêt a été franchi. Le principal outil de gestion de la sécurité doit être axé sur la conformité aux règles, et doit plus particulièrement consacrer une attention sans faille aux signaux d’exploitation ferroviaire et à la conformité. Cela s’accomplit à l’aide d’une formation adéquate des opérateurs en matière de sécurité. Quoique le système Indusi puisse soulager l’opérateur et la compagnie de chemin de fer des graves conséquences de l’omission de s’arrêter à un signal, il ne fait rien pour empêcher la compagnie d’omettre un signal d’emblée, soit en créant et en maintenant une culture de sécurité primordiale qui comprend une formation efficace et continue en matière de sécurité.

[46] Le programme de sanctions administratives pécuniaires établi en vertu de la LSF est conçu pour atteindre les objectifs énoncés à l’article 3 de la loi. La prévention des accidents grâce au respect des règles par une compagnie de chemin de fer et ses employés s’inscrit précisément dans le cadre de cet objectif. Le système Indusi peut empêcher des accidents de se produire ou certainement en réduire la probabilité, mais il n’élimine d’emblée ni n’atténue la nécessité de se conformer aux règles. Par conséquent, le comité d’appel convient avec le conseiller en révision que le système Indusi, dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe, ne constitue pas un facteur atténuant. Pour les motifs susmentionnés, la conclusion du conseiller est raisonnable.

[47] L’appelante prétend en outre que l’imposition de la sanction pécuniaire obligerait une administration municipale à « puiser dans des fonds de plus en plus rares » (par. 66 du mémoire d’appel). L’appelante ajoute qu’il n’est pas nécessaire de lui imposer une amende pour qu’elle modifie son comportement en ce qui concerne le respect du signal, et ce pour deux raisons : la compagnie a depuis démontré une conformité soutenue; et, l’enlèvement prévu de la pièce de croisement et la construction d’un nouveau saut-de-mouton élimineront le potentiel de récidive.

[48] Le comité d’appel reconnaît que la compagnie de chemin de fer est, au moins en partie, financée par la municipalité. Cela ne diminue en rien la nécessité d’une formation continue adéquate sur les règles, et celle du respect de la sécurité. Bien que l’on constate la conformité de l’appelante à la suite de la violation, cela ne saurait constituer un facteur atténuant dans l’évaluation de la présente sanction, car elle n’avait pas démontré sa conformité au moment de la violation. Et en ce qui concerne la construction prévue, même si le passage à niveau de VIA/Capital Railway sera séparé et que le signal 28 sera peut-être retiré, il y a d’autres signaux d’arrêt le long du corridor; et ceux-ci doivent être respectés à l’avenir. Par conséquent, la conformité après la violation et les changements structurels futurs apportés à la ligne à cet endroit précis ne sont pas des facteurs atténuants.

D. Conclusion

[49] La décision à la suite de la révision du 5 septembre 2019 a conclu que Capital Railway n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable en établissant un système adéquat pour prévenir la violation de la règle 439 (l’omission de s’arrêter à un signal rouge) et en prenant des mesures raisonnables pour assurer le bon fonctionnement du système. En fonction de la preuve au dossier, il s’agit là d’une conclusion correcte.

[50] La décision à la suite de la révision a confirmé l’imposition d’une sanction pécuniaire de 56 250 $. Cette conclusion est raisonnable.

VII. DÉCISION

[51] L’appel est rejeté. Le comité d’appel confirme la sanction administrative pécuniaire délivrée à l’appelante.

[52] Le montant total de 56 250 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.

Le 23 novembre 2020

(Original signé)

Motifs de la décision d’appel :

George (Ron) Ashley, conseiller présidant l’audience

Y souscrivent :

Gary Drouin, conseiller

Michael Regimbal, conseiller

Représentants des parties

Pour l’appelante :

Stuart Huxley

Pour l’intimé :

Eric Villemure

 



[1] (R. v. Gulf of Georgia Towing Co. Ltd. (1979) CanLII 483 (BC CA) et R. v. Island Industrial Chrome Co. Ltd., 2002 BCPC 97).

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