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Référence : Canada (Ministre des Transports) c. Océan Remorquage Trois-Rivières Inc., 2021 TATCF 16 (décision interlocutoire)

No de dossier du TATC : MQ-0364-37

Secteur : maritime

ENTRE :

Canada (Ministre des Transports), appelant

- et -

Océan Remorquage Trois-Rivières Inc., intimée

Audience :

Par observations écrites

Affaire entendue par :

Gavin Wyllie, conseiller présidant l’audience

 

Caroline Desbiens, conseillère

 

Patrick Vermette, conseiller

Décision rendue le :

7 juin 2021

DÉCISION À LA SUITE D’UNE REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

Arrêt : La requête préliminaire de l’intimée est rejetée. Les soumissions écrites des parties dans ce dossier d’appel doivent être soumises selon le calendrier établi lors de la conférence préparatoire du 13 janvier 2021.

 


I. HISTORIQUE

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision du Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal) rendue le 3 août 2016, concernant un procès-verbal qui a été émis par Transports Canada le 9 juillet 2014 et contenant deux sanctions administratives imposées à Océan Remorquage Trois-Rivières Inc. Les deux sanctions sont chacune d’un montant de 7 800 $, pour un montant total de 15 600 $.

[2] Les deux violations alléguées sont les suivantes (tirés de l’annexe A du procès-verbal) :

Violation no 1

Le ou vers le 15 décembre 2013, sur le fleuve St-Laurent dans la province de Québec, le capitaine du bâtiment « André H ». (N.M. 318301), Clea Chiasson, (CDN 7340X) a omis de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la sécurité du bâtiment et des personnes à son bord, en contravention du paragraphe 109 (1) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

En particulier, il ne s’est pas assuré de planifié [sic] adéquatement le voyage, ce qui a causé l’échouement de deux barges qui étaient à sa remorque.

En vertu du paragraphe 238(2) de la Loi de 2001 sur la Marine marchande du Canada, le N/M « André H ». (N.M. 318301), est poursuivit [sic] en tant qu’employeur ou mandant du capitaine du bâtiment à l’égard de cette violation et est responsable pour la sanction prévue pour celle-ci.

Violation no 2

Le ou vers le 15 décembre 2013, sur le fleuve St-Laurent dans la province de Québec, Océan Remorquage Trois-Rivières Inc. étant le représentant autorisé du bâtiment « André H ». (N.M. 318301), a omis d’élaborer des règles d’exploitation sécuritaire du bâtiment ainsi que la procédure à suivre en cas d’urgence en contravention du paragraphe 106 (1) b) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

En particulier, lors de l’opération de remorquage, le bâtiment a perdu 2 des trois barges ce qui a causé l’échouement de ces deux barges sur la rive nord de la péninsule Gaspésienne.

[3] Dans sa décision à la suite de la révision, le conseiller a rejeté les deux violations alléguées en concluant que le ministre des Transports (ministre) n’avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’article 109 et l’alinéa 106(1)b) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC 2001) ont été enfreints par Océan Remorquage Trois-Rivières Inc. le ou vers le 15 décembre 2013 et, en conséquence, les amendes ont été annulées.

[4] Le 1er septembre 2016, le ministre (l’appelant) a porté cette décision en appel en ce qui concerne la première violation. Il allègue que le conseiller a erré en droit dans son interprétation de l’article 109 de la LMMC 2001.

[5] Lors d’une conférence préparatoire tenue le 13 janvier 2021, l’appelant a précisé que l’erreur reprochée consistait à interpréter l’article 109 de la LMMC 2001 comme exigeant la preuve que le capitaine du bâtiment ait mis en danger à la fois le bâtiment et les personnes à bord et donc d’avoir requis une mise en péril cumulée du bâtiment et des personnes à son bord au lieu de l’un ou de l’autre.

[6] Le 2 septembre 2016, Océan Remorquage Trois-Rivières Inc. (l’intimée) a déposé un appel incident à l’appel de la décision du conseiller en révision. Elle allègue que le conseiller a erré en faits et en droit en ne reconnaissant pas que le capitaine du navire devait d’abord être lui-même responsable de l’infraction reprochée pour que son employeur le soit aussi, en décidant que le terme « bâtiment » à l’article 109 comprend les remorques d’un remorqueur bien que chacune de ces remorques constitue un « bâtiment » au sens de la LMMC 2001 avec des certificats d’immatriculation distincts et/ou en se méprenant sur l’établissement et l’étendu du lien de causalité requis entre le manquement reproché au capitaine et la sécurité du bâtiment et de l’équipage sous son commandement.

[7] Lors de la conférence préparatoire du 13 janvier 2021, l’intimée a demandé de soumettre une requête en rejet d’appel. Le Tribunal a établi un calendrier des soumissions écrites des parties pour traiter de cette requête préliminaire de l’intimée.

A. Requête en rejet d’appel

[8] Le 25 janvier 2021, l’intimée a soumis sa requête. Elle a demandé ce qui suit en ce qui concerne la demande d’appel du ministre au sujet de la première violation :

  1. la radiation de l’avis d’appel du ministre des Transports; ou encore,
  2. le rejet de l’appel; et
  3. les dépens.

[9] Au soutien de sa requête en rejet d’appel, l’intimée a invoqué les dispositions législatives suivantes :

  1. les règles 4 et 10 des Règles du Tribunal d’appel des transports du Canada (Règles du Tribunal);
  2. les articles 109, 229(1)b), 232(1)b) et 232.1(3) de la LMMC 2001;
  3. les règles 4 et 221 des Règles des Cours fédérales; et
  4. l’article 365 du Code de procédure civile du Québec, RLRQ c C‑25.01.

[10] En réponse à cette requête, l’appelant a déposé ses observations par écrit le 4 février 2021. Dans sa réplique, l’intimée a soumis ses observations finales par écrit le 11 février 2021.

[11] Dans sa requête en rejet d’appel, l’intimée prétend que l’appel est voué à l’échec, car même si l’appelant avait raison au sujet de son interprétation de l’article 109 de la LMMC 2001, cela ne permettrait pas d’infirmer la décision du Tribunal puisque celle-ci porte sur les faits reprochés tels qu’énoncés dans le procès-verbal. En somme, l’intimée prétend que c’est l’appelant qui a décidé de reprocher à l’intimée un élément qui n’a pas été prouvé, soit le fait que son employé, le capitaine, n’avait pas pris toutes les mesures utiles pour assurer la sécurité des personnes à bord du bâtiment. L’intimée ajoute que l’appelant avait l’occasion d’amender le procès-verbal et de laisser tomber cette allégation s’il estimait que cet élément n’était pas nécessaire pour établir la violation ou n’était pas appuyé par la preuve.

[12] L’appelant prétend pour sa part que l’intimée ne cite pas le procès-verbal en entier et omet une partie importante de ce dernier, soit le texte suivant : « En particulier, il ne s’est pas assuré de planifié [sic] adéquatement le voyage, ce qui a causé l’échouement de deux barges qui étaient à sa remorque. » L’appelant soumet donc que le procès-verbal, après avoir énuméré le libellé de l’article 109 de la LMMC 2001, vient préciser que c’est le fait que le capitaine n’avait pas planifié son voyage adéquatement qui a causé l’échouement des barges.

[13] Selon l’appelant, il est donc clair que le ministre a indiqué de façon claire et précise que c’était l’obligation du capitaine d’assurer la sécurité du bâtiment qui était reprochée et la raison d’être de l’émission de la contravention à l’article 109 de la LMMC 2001. L’appelant ajoute que cette question, combinée avec l’interprétation de l’article 109, est l’objet au fond du litige en appel, en ce que le Tribunal devra analyser l’article 109 et principalement évaluer la pleine portée du procès-verbal en faisant sa lecture de façon intégrale et non pas en se limitant au premier paragraphe dudit document, comme le fait l’intimée, afin de justifier sa requête en rejet d’appel. En conséquence, l’appelant demande de rejeter la requête en rejet d’appel de l’intimée et de laisser au comité d’appel le soin d’entendre les arguments et d’examiner le dossier en appel.

II. ANALYSE

[14] Ce comité d’appel a procédé à l’examen de cette requête préliminaire et à sa décision en se basant sur les principes suivants :

  1. les règles 4 et 10 des Règles du Tribunal qui le gouvernent prévoyant que le Tribunal puisse prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour trancher efficacement, complètement et équitablement toute question de procédure non prévue par la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, les Règles du Tribunal ou, en l’occurrence, la LMMC 2001 (règle 4), et permettant à ce Tribunal de traiter de toute demande visant l’obtention d’un redressement ou d’une ordonnance déposée auprès du Tribunal notamment en vertu de la LMMC 2001 (par l’entremise de l’article 2(2) de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada);
  2. les critères applicables à la radiation d’acte de procédure prévus à la règle 221(1) des Règles de la Cour Fédérale sur laquelle ce comité peut s’inspirer et voulant que la radiation d’un acte de procédure puisse être ordonnée s’il ne révèle aucune cause d’action valable;
  3. la jurisprudence canadienne applicable en matière de radiation d’acte de procédure. En effet, en vertu de l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 (p. 980), le Tribunal doit se demander s’il est « évident et manifeste » à la face même des actes de procédures que l’appel ne pourrait être accueilli ou produire un résultat utile. Aussi, il n’appartient pas au Tribunal, à la suite d’une requête en radiation, de rendre une décision quant aux chances de succès du demandeur (p. 961 de cet arrêt).

[15] Le comité d’appel rejette la requête en rejet d’appel. Le comité d’appel est d’avis qu’il n’est pas évident et manifeste que l’appel serait voué à l’échec à sa face même puisqu’il nécessite une analyse du procès-verbal et de l’article 109 de la LMMC 2001. De plus, il ne serait pas équitable à ce stade de rejeter l’appel sans évaluer complètement ou dans son ensemble le contexte du dossier et les arguments des parties.

[16] En effet, le dossier d’appel nécessite l’analyse de l’article 109 de la LMMC 2001 et de son application dans cette affaire, ainsi que du sens à donner au procès-verbal afin d’identifier les éléments de l’infraction qui devaient être prouvés et afin d’évaluer la position prise par le conseiller en révision à ce sujet dans sa décision.

[17] Plus particulièrement, l’intimée soumet que l’appel est voué à l’échec parce qu’une seule interprétation du libellé du texte du procès-verbal serait possible dans les circonstances et que cette dernière ne pourrait mener qu’à une seule conclusion, celle voulant que le ministre devait prouver les deux éléments du texte de l’article 109 de la LMMC 2001 à cause du choix du texte utilisé dans le procès-verbal. L’appelant soumet pour sa part que le procès-verbal, après avoir énuméré le libellé de l’article 109, vient préciser que c’est le fait que le capitaine n’avait pas planifié son voyage adéquatement qui a causé l’échouement des barges et qui est l’objet de l’infraction reprochée.

[18] Aussi, le débat se situe sur le sens à donner à l’expression « prend toutes les mesures utiles pour assurer la sécurité du bâtiment et des personnes qui sont à son bord » prévue à l’article 109 de la LMMC 2001 pour déterminer si les deux éléments étaient à prouver dans cette affaire ou si la présence d’un seul des deux éléments suffisait pour prouver une infraction au sens de l’article 109 et du procès-verbal.

[19] Deux interprétations méritant une analyse sont donc soumises à l’égard de ce procès-verbal et de l’article 109 de la LMMC 2001. L’argument soulevé par l’intimée dans sa requête en rejet d’appel est lié directement au fond de l’appel du ministre qui demande au comité d’appel d’adopter une interprétation en particulier de l’article 109 et du contenu du procès-verbal dans cette affaire. À ce stade préliminaire de la procédure en appel, nous ne sommes pas en mesure de déterminer laquelle des interprétations offertes par les parties au sujet de l’article 109 et du texte du procès-verbal est correcte dans cette affaire et si l’appel est justifié. Le comité d’appel rejette donc l’argument de l’intimée selon lequel il serait évident et manifeste que l’appel soit voué à l’échec à la face même du procès-verbal et conclut qu’il serait prématuré de décider que l’appel ne révèle aucune cause d’action valable compte tenu des deux interprétations soumises méritant une analyse.

[20] Dans sa requête pour rejet, l’intimée a demandé de lui accorder des dépens. Puisque la requête de l’intimée est rejetée, cette demande n’est plus justifiée. Il convient de rappeler que les dépens ne sont accordés que dans les cas particuliers visés par l’article 19 de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada et que dans l’éventualité où ce comité avait accueilli la requête pour rejet d’appel de l’intimée, il lui aurait fallu démontrer que l’appel de l’appelant était frivole ou vexatoire. Puisque ce comité a décidé qu’il n’était pas évident ni manifeste que l’appel était voué à un échec à sa face même, il va de soi que l’appel ne puisse être considéré comme frivole.

III. DÉCISION

[21] La requête préliminaire de l’intimée est rejetée. Les soumissions écrites des parties dans ce dossier d’appel doivent être soumises selon le calendrier établi lors de la conférence préparatoire du 13 janvier 2021.

Le 7 juin 2021

(Original signé)

Motifs de la décision :

Gavin Wyllie, conseiller présidant l’audience

Y souscrivent :

Caroline Desbiens, conseillère

Patrick Vermette, conseiller

Représentants des parties

Pour le ministre :

Martin Forget

Pour l’intimée :

Richard Desgagnés

 

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