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Référence : Aéroports de Montréal c. Office des transports du Canada, 2021 TATCF 31 (révision)

No de dossier du TATC : Q-4642-80

Secteur : aéronautique

ENTRE :

Aéroports de Montréal, requérante

- et -

Office des transports du Canada, intimé

Audience :

Par vidéoconférence les 15 et 16 juillet 2021

Affaire entendue par :

Jennifer Webster, conseillère

Décision rendue le :

2 novembre 2021

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D’UNE RÉVISION

Arrêt : L’Office des transports du Canada a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la requérante a commis les 10 violations énoncées dans le procès-verbal. La sanction pécuniaire de 25 000 $ pour l’ensemble des 10 violations est maintenue.

Le montant total de 25 000 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.


I. HISTORIQUE

[1] La requérante, Aéroports de Montréal, a demandé au Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal) de réviser une sanction pécuniaire que lui a imposée l’Office des transports du Canada (Office) dans un procès-verbal en date du 28 juillet 2020.

[2] Le procès-verbal alléguait neuf violations de l’article 4 du Règlement sur la formation du personnel en matière d’aide aux personnes ayant une déficience (Règlement ou Règlement sur la formation du personnel). Dans chaque cas, le procès-verbal alléguait que, le ou vers le 10 décembre 2019, la requérante a omis de s’assurer que les employés d’un entrepreneur identifié aient reçu un niveau de formation approprié aux besoins de leurs fonctions, conformément au Règlement. Les neuf entrepreneurs identifiés dans le procès-verbal sont les suivants :

  1. Auberge de l’Aéroport Inn;
  2. Beausejour Hotel Apartments / Hotel Dorval;
  3. Days Inn & Centre de Conférence – Aéroport de Montréal;
  4. Fairfield Inn & Suites by Marriott Aéroport de Montréal;
  5. Holiday Inn Express Aéroport Montréal et Hôtel Novotel Montréal Aéroport;
  6. Quality Hotel Dorval;
  7. Travelodge Hotel by Wyndham Montreal Airport;
  8. Budget;
  9. Dollar Rent A Car et Thrifty Rent A Car.

[3] Le procès-verbal alléguait en outre une violation de l’article 9 du Règlement, laquelle était décrite comme suit :

  1. Le ou vers le 10 décembre 2019, Aéroports de Montréal ne s’est pas assuré que tous les employés de l’entrepreneur « Budget » suivent des cours de recyclage adaptés aux besoins de leurs fonctions à tous les trois ans tel qu’établi à son programme de formation, en contravention à l’article 9 du Règlement sur la formation du personnel en matière d'aide aux personnes ayant une déficience …

[4] L’Office a imposé à la requérante une sanction pécuniaire de 2 500 $ pour chaque violation alléguée. La sanction pécuniaire totale se chiffrait à 25 000 $.

II. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[5] Le 12 avril 2021, j’ai réuni les parties dans le cadre d’une conférence préparatoire (CP) par vidéoconférence.

[6] Au cours de la CP, j’ai confirmé les questions en litige, et la requérante a indiqué qu’elle entendait soutenir que l’interprétation que l’Office faisait du Règlement était invalide sur le plan administratif puisque cette interprétation était incompatible avec le pouvoir réglementaire accordé par la loi habilitante. L’Office a fait savoir qu’elle contestait la compétence du Tribunal pour examiner l’argument de l’Office concernant l’invalidité pour des motifs administratifs.

[7] Les parties ont convenu d’échanger avant l’audience leur argumentation écrite sur les questions liées à l’invalidité administrative. Selon le calendrier que j’ai établi, la requérante devait soumettre ses observations écrites au plus tard le 28 mai 2021, et l’Office devait faire de même avant le 28 juin 2021. Durant la CP, j’ai informé les parties que, bien qu’elles aient accepté d’échanger des arguments écrits à l’avance, elles auraient toujours le droit de livrer leur plaidoirie lors de l’audience et de présenter des arguments complémentaires, en réponse à la preuve offerte par la partie adverse.

[8] L’audience par vidéoconférence était prévue pour les 15 et 16 juillet 2021.

[9] Le 5 juillet 2021, la requérante a communiqué avec le greffier du Tribunal pour lui demander si un avis de question constitutionnelle conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales était requis avant l’audience. La requérante a noté que les arguments écrits des parties divergeaient sur cette question. L’Office prétendait qu’un avis de question constitutionnelle était requis en raison de la nature des arguments de la requérante et de la réparation demandée, tandis que la requérante croyait qu’un tel avis n’était pas obligatoire. J’ai répondu aux parties le 8 juillet 2021, par l’entremise du bureau du greffier, leur disant que je leur donnerais l’occasion de présenter leurs observations au sujet de l’avis de question constitutionnelle au début de l’audience, le 15 juillet 2021.

[10] Lors de l’audience, la requérante a maintenu sa position voulant que ses arguments sur la validité du Règlement ne nécessitent pas l’envoi d’un avis de question constitutionnelle. Elle a expliqué qu’elle ne demandait pas au Tribunal de déclarer que le Règlement était invalide, inapplicable ou sans effet pour des motifs d’ordre constitutionnel, mais qu’elle lui demandait plutôt de déclarer que l’interprétation du Règlement faite par l’Office était invalide sur le plan administratif, car elle était incompatible avec la Loi sur les transports au Canada (LTC). À l’appui de sa position, la requérante a évoqué la décision de la Cour d’appel fédérale (CAF) Najafi c. Canada, 2014 CAF 262 (Najafi).

[11] Dans l’arrêt Najafi, la CAF a statué que la signification d’un avis de question constitutionnelle n’était pas nécessaire parce qu’on ne demandait pas à la Cour de déclarer que la loi était invalide pour des motifs d’ordre constitutionnel, mais qu’on lui demandait plutôt d’interpréter une loi d’une manière qui soit conforme à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). La requérante a fait valoir qu’elle faisait une requête similaire en l’espèce, en demandant une interprétation du Règlement qui soit conforme à la LTC et à la Loi constitutionnelle de 1867. Dans ces circonstances, la requérante a soutenu qu’un avis de question constitutionnelle n’était pas requis. Elle a ajouté que si je concluais au contraire qu’un avis était requis, elle demandait alors un ajournement pour lui permettre de signifier l’avis en temps opportun.

[12] L’Office a soutenu que la requérante demandait au Tribunal de refuser d’appliquer le Règlement aux motifs que celui-ci n’était pas constitutionnel et que l’Office avait outrepassé son pouvoir réglementaire en le promulguant. L’Office a prétendu que le Tribunal n’avait pas compétence pour trancher une question de droit ou de compétence et que je ne devais donc pas tenir compte des arguments de la requérante. Subsidiairement, l’Office a argué que si je concluais que j’avais compétence pour examiner une question de droit, un avis de question constitutionnelle était alors requis aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales puisque la requérante soutenait que je ne pouvais pas appliquer le Règlement en raison d’une invalidité.

[13] Le paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales énonce comme suit l’exigence de l’envoi d’un avis de question constitutionnelle :

57 (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un Office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

[14] Le paragraphe 57(2) de la Loi sur les Cours fédérales exige qu’un avis de question constitutionnelle soit signifié au moins 10 jours avant le jour où la question constitutionnelle doit être débattue.

[15] Après avoir examiné les observations des parties, j’ai rendu une décision concernant l’avis de question constitutionnelle. Puisque la requérante n’avait pas signifié d’avis de question constitutionnelle, je ne pouvais pas déclarer le Règlement invalide, inapplicable ou sans effet pour des motifs d’ordre constitutionnel. J’ai en outre prévenu la requérante que ses arguments seraient circonscrits du fait qu’aucun avis n’avait été signifié.

[16] À la suite de cette décision interlocutoire, l’audience s’est poursuivie avec la présentation de la preuve et les observations des parties les 15 et 16 juillet 2021.

III. ANALYSE

A. Cadre juridique

[17] Le procès-verbal en cause en l’espèce a été délivré à la suite d’une enquête ciblée menée par M. Jean-Michel Gagnon, un agent verbalisateur désigné en vertu de la LTC, laquelle enquête était relative à la conformité de la requérante au Règlement.

[18] Aux fins de la présente affaire, les dispositions réglementaires clés du Règlement sur la formation du personnel en matière d’aide aux personnes ayant une déficience sont les suivantes :

4 Le transporteur et l’exploitant de terminal doivent s’assurer que, selon leur type d’exploitation, leurs employés et entrepreneurs qui fournissent des services liés au transport et qui peuvent être appelés à transiger avec le public ou à prendre des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience reçoivent une formation adaptée aux besoins de leurs fonctions, dans les domaines suivants :

a) les politiques et procédures du transporteur ou de l’exploitant de terminal à l’égard des personnes ayant une déficience, y compris les exigences réglementaires pertinentes;

b) les besoins des personnes ayant une déficience qui sont les plus susceptibles de nécessiter des services additionnels, la reconnaissance de ces besoins et les responsabilités du transporteur ou de l’exploitant de terminal à l’égard de ces personnes, y compris l’étendue de l’aide, les méthodes de communication et les appareils ou dispositifs dont ces personnes ont généralement besoin;

c) les compétences nécessaires pour aider les personnes ayant une déficience, y compris le rôle de l’accompagnateur, les besoins des personnes ayant une déficience qui voyagent avec un animal aidant ainsi que le rôle et les besoins de celui-ci.

[...]

8 Le transporteur et l’exploitant de terminal doivent s’assurer que leurs employés et entrepreneurs qui sont tenus, selon le présent règlement, de recevoir une formation terminent leur formation initiale dans les 60 jours suivant leur entrée en fonctions.

9 Le transporteur et l’exploitant de terminal doivent s’assurer que leurs employés et entrepreneurs suivent périodiquement des cours de recyclage adaptés aux besoins de leurs fonctions.

10 Le transporteur et l’exploitant de terminal doivent tenir à jour leur programme de formation en y incorporant, dès que possible, tout nouveau renseignement sur les procédures et les services qu’ils offrent aux personnes ayant une déficience ou sur la technologie qu’ils introduisent afin d’aider celles-ci.

[19] Les définitions suivantes tirées de l’article 2 du Règlement sont utiles pour statuer sur les questions soulevées en l’espèce :

entrepreneur Personne, ou employé de celle-ci, qui fournit des services aux termes d’un contrat ou d’une entente avec un transporteur ou un exploitant de terminal, et qui n’est pas un employé du transporteur ou de l’exploitant de terminal. La présente définition exclut les agences de voyage.

exploitant de terminal Propriétaire, exploitant ou locataire d’installations ou de locaux liés au transport des passagers qui font partie du réseau de transport régi par la Loi.

services liés au transport Sont compris parmi les services liés au transport le contrôle de sécurité des passagers, la manutention des bagages, la location de véhicules, le stationnement public et, dans le cas des aérogares, le transport de surface à partir de l’aérogare.

[20] L’Office a pris le Règlement en vertu du paragraphe 170(1) de la LTC, qui dispose que :

170 (1) L’Office peut, après consultation du ministre, prendre des règlements afin de reconnaître ou d’éliminer les obstacles ou de prévenir de nouveaux obstacles — notamment des obstacles dans les domaines de l’environnement bâti, des technologies de l’information et des communications ainsi que de la conception et de la prestation de programmes et de services —, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement, aux possibilités de déplacement des personnes handicapées et peut notamment, à cette occasion, régir :

a) la conception et la construction des moyens de transport ainsi que des installations et locaux connexes — y compris les commodités et l’équipement qui s’y trouvent —, leur modification ou la signalisation dans ceux-ci ou leurs environs;

b) la formation du personnel des transporteurs ou de celui employé dans ces installations et locaux;

c) toute mesure concernant les tarifs, taux, prix, frais et autres conditions de transport applicables au transport et aux services connexes offerts aux personnes handicapées;

d) la communication d’information à ces personnes.

[21] Aux termes du paragraphe 177(3) de la LTC, toute contravention à l’une des dispositions des règlements pris en vertu du paragraphe 170(1) constitue une violation au titre des articles 179 et 180, et le ministre des Transports peut délivrer une sanction pécuniaire d’un montant maximal de 250 000 $ pour chaque contravention.

B. Questions à trancher

[22] La requérante a contesté le bien-fondé du procès-verbal au motif que les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures mentionnés dans les violations alléguées n’étaient pas des entrepreneurs au sens du Règlement. Elle a soutenu que l’interprétation que l’Office faisait du Règlement en étendant son application à ces entités était invalide sur le plan administratif et ne procédait pas du pouvoir réglementaire délégué par la LTC, car ces entités ne faisaient pas partie du réseau de transport sous réglementation fédérale. À titre subsidiaire, la requérante a fait valoir que même si la définition du terme entrepreneur dans le Règlement pouvait s’étendre aux entités relevant de la compétence provinciale, les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures n’étaient pas, dans les faits, des entrepreneurs.

[23] La requérante a en outre prétendu que l’Office ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver tous les éléments des violations selon la prépondérance des probabilités.

[24] Les questions soulevées en l’espèce peuvent donc se résumer comme suit :

  1. Les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures identifiés dans le procès-verbal sont-ils des entrepreneurs au sens du Règlement?
  2. L’Office s’est-il acquitté de son fardeau de preuve selon la prépondérance des probabilités en ce qui concerne les éléments constitutifs des violations?

Question 1 – Les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures sont-ils des entrepreneurs ?

[25] Selon le procès-verbal, la requérante a omis de s’assurer que les employés de sept services de navettes d’hôtel et de deux agences de location de voitures suivent une formation qui soit conforme au Règlement.

[26] M. Gagnon a déclaré qu’il avait pu confirmer que chacune de ces entreprises avait une relation contractuelle avec la requérante, en obtenant les licences d’exploitation pertinentes auprès de la requérante elle-même.

[27] La requérante a fait valoir que les entreprises en cause n’étaient pas des entrepreneurs pour les raisons suivantes :

  • l’interprétation que fait l’Office du Règlement selon laquelle ces entreprises y sont assujetties en tant qu’entrepreneurs est invalide sur le plan administratif parce que les entreprises ne relevaient pas de la compétence fédérale;
  • l’interprétation de l’Office n’est pas cohérente avec les exigences en matière de formation du personnel contenues dans le Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées;
  • dans les faits, les entreprises en cause ne sont pas des entrepreneurs, car elles ne sont pas employées à des installations ou dans des locaux liés aux opérations du terminal de la requérante et elles ne fournissent pas de service à l’aéroport, que ce soit directement ou indirectement.

[28] L’Office a soutenu que le Tribunal n’avait pas compétence pour examiner la question de droit soulevée par la requérante relativement à l’interprétation du Règlement, du fait que le paragraphe 41(1) de la LTC prévoit que les appels sur des questions de droit ou de compétence sont entendus par la Cour d’appel fédérale.

[29] J’aborderai d’abord la question de la compétence du Tribunal pour trancher les questions de droit avant d’examiner les arguments de la requérante au sujet de l’interprétation du Règlement.

[30] Le paragraphe 41(1) de la LTC prévoit le mécanisme d’appel de l’Office :

41 (1) Tout acte — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l’autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l’acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l’Office et audition de ceux d’entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

[31] L’Office a soutenu que, compte tenu du libellé du paragraphe 41(1), les questions de droit et les questions de compétence relatives aux actions de l’Office ne peuvent être entendues que par la Cour d’appel fédérale. Il a fait valoir que l’argument de la requérante quant à l’invalidité administrative était une question de droit qui ne relevait donc pas de la compétence du Tribunal. À l’appui de sa position, l’Office a évoqué la décision de la CAF Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Scott, 2018 CAF 148 (Scott), selon laquelle les questions de droit ne pouvaient être examinées que par la Cour. Dans Scott, la CAF a rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Office en statuant que les questions de droit soulevées par la requérante devaient être tranchées dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 41.

[32] Malgré l’affirmation de l’Office voulant que l’arrêt Scott exige que toutes les questions de droit soient tranchées par la CAF, je considère que dans sa décision, la Cour appuie la proposition voulant que lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi, une partie doit recourir à ce mécanisme avant de demander un contrôle judiciaire. La CAF a conclu dans Scott qu’il n’y aurait pas de contrôle judiciaire car la requérante pouvait interjeter appel en vertu de la LTC. La CAF n’a toutefois pas décidé que les questions de droit relevaient exclusivement de sa compétence. Au paragraphe 38 de sa décision, la Cour résume les motifs pour lesquels elle rejette la demande de contrôle judiciaire :

[38] Dans la présente affaire, je conclus que les moyens soulevés par le CN dans sa demande de contrôle judiciaire constituent des moyens qui peuvent faire l’objet d’un appel devant notre Cour, conformément au paragraphe 41(1) de la LTC, ou qui peuvent être soumis au gouverneur en conseil au moyen d’une requête présentée en vertu de l’article 40 de la LTC. À mon avis, tant l’appel prévu par le paragraphe 41(1) que la requête prévue par l’article 40 de la LTC constituent un appel au sens de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

[33] La requérante a avancé que le paragraphe 41(1) de la LTC n’établissait pas que la Cour d’appel fédérale avait compétence exclusive sur les questions de droit ou de compétence. Elle a soutenu que le Tribunal avait le mandat, dans le cadre d’une révision, de déterminer s’il y avait eu oui ou non une violation. La requérante a en outre souligné que le processus de révision était décrit aux articles 180.1, 180.2 et 180.3 de la LTC, et que ces articles ne faisaient aucune mention du paragraphe 41(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Ces articles ne soustraient pas non plus les questions de droit à la compétence du Tribunal.

[34] La requérante a fait valoir qu’afin de déterminer si le Tribunal avait compétence pour statuer sur une question de droit, on devrait se guider sur l’analyse de la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54 (Martin). Dans cette décision, la CSC a déclaré que la compétence d’un tribunal administratif pour interpréter ou trancher des questions de droit devrait être déterminée en fonction de sa loi habilitante. Un tribunal aurait compétence sur les questions de droit si la loi habilitante lui accordait implicitement ou explicitement une telle compétence. La CSC a résumé comme suit au paragraphe 48 de sa décision l’approche servant à déterminer la compétence d’un tribunal :

48 La nouvelle approche actuelle en ce qui concerne le pouvoir d’un tribunal administratif de soumettre des dispositions législatives à un examen fondé sur la Charte peut se résumer ainsi : (1) La première question est de savoir si le tribunal administratif a expressément ou implicitement compétence pour trancher les questions de droit découlant de l’application de la disposition contestée. (2)a) La compétence expresse est celle exprimée dans le libellé de la disposition habilitante. b) La compétence implicite ressort de l’examen de la loi dans son ensemble. Les facteurs pertinents sont notamment les suivants : la mission que la loi confie au tribunal administratif en cause et la question de savoir s’il est nécessaire de trancher des questions de droit pour accomplir efficacement cette mission; l’interaction entre ce tribunal et les autres composantes du régime administratif; la question de savoir si le tribunal est une instance juridictionnelle; des considérations pratiques telle la capacité du tribunal d’examiner des questions de droit. Les considérations pratiques ne sauraient toutefois l’emporter sur ce qui ressort clairement de la loi elle‑même. (3) S’il est jugé que le tribunal a le pouvoir de trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative, ce pouvoir sera présumé inclure celui de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition au regard de la Charte. (4) La partie qui prétend que le tribunal n’a pas compétence pour appliquer la Charte peut réfuter la présomption a) en signalant que le pouvoir d’examiner la Charte a été retiré expressément, ou b) en convainquant la cour qu’un examen du régime établi par la loi mène clairement à la conclusion que le législateur a voulu exclure la Charte (ou une catégorie de questions incluant celles relatives à la Charte, telles les questions de droit constitutionnel en général) des questions de droit soumises à l’examen du tribunal administratif en question. En général, une telle inférence doit émaner de la loi elle‑même et non de considérations externes.

[35] La requérante a soutenu que l’approche énoncée par la CSC dans Martin devrait être appliquée pour mener à la conclusion que le Tribunal a implicitement compétence pour trancher des questions de droit, compte tenu de l’absence d’une disposition explicite privant le Tribunal de cette compétence, et de la mission que la loi lui a confiée en tant que tribunal administratif.

[36] Le Tribunal s’est penché sur la question de sa compétence pour examiner les questions de droit dans l’affaire Office des transports du Canada c. Marina District Development Company, 2012 TATCF 1 (Marina District Development). Dans cet appel, l’Office soutenait, en se fondant sur l’analyse de la CSC dans Martin, que le Tribunal avait implicitement compétence pour trancher des questions de droit. Le comité d’appel a estimé être en droit de statuer sur des questions de droit touchant l'interprétation des dispositions régissant les affaires dont il est saisi. Au paragraphe 50 de la décision Marina District Development, le comité explique plus en détail la nature de sa révision en vertu de la LTC :

[50] Le pouvoir qui lui est conféré aux termes de l'article 180.5 de la LTC et de l'article 8 de la Loi sur l'aéronautique permet au Tribunal d'établir si la personne qui réclame la révision a contrevenu à la disposition visée. Cette personne peut être amenée à fonder sa demande d'examen sur les faits, mais les motifs sur lesquels le Tribunal peut baser sa décision ne sont pas limités ...

[37] La décision du Tribunal dans l’affaire Marina District Development a été infirmée par la Cour fédérale en fonction de son interprétation de l’alinéa 57a) de la LTC (voir Marina District Development Company c. Canada, 2013 CF 800). La Cour fédérale n’y a pas examiné la compétence du Tribunal pour trancher des questions de droit.

[38] Je ne suis pas convaincue que le paragraphe 41(1) de la Loi sur les Cours fédérales prive le Tribunal de sa compétence de trancher des questions de droit. Comme le Tribunal l’a conclu dans Marina District Development, lorsque l’approche adoptée par la CSC dans Martin est appliquée au Tribunal, celui-ci a le pouvoir implicite de trancher les questions de droit découlant de son examen des mesures d’application de la loi prises par l’Office. Je considère donc avoir compétence pour examiner les questions de droit soulevées par la requérante dans le cadre de la présente révision.

Invalidité administrative

[39] La requérante a affirmé qu’on ne pouvait pas interpréter le Règlement comme s’appliquant à des entrepreneurs tels que les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures, car cette interprétation rendrait le Règlement incompatible avec la loi habilitante.

[40] La requérante a fait valoir qu’un règlement était invalide sur le plan administratif s’il ne respectait pas l’objet et le mandat prévus par la loi habilitante.

[41] La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de la validité d’un règlement dans l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 (Katz Group Canada Inc.). La CSC a décrit comme suit l’approche à adopter lors de l’examen de la validité d’un règlement :

[24] Pour contester avec succès la validité d’un règlement, il faut démontrer qu’il est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore qu’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi (Guy Régimbald, Canadian Administrative Law (2008), p. 132). Ainsi que le juge Lysyk l’a expliqué de manière succincte :

Pour déterminer si le texte législatif subordonné contesté est conforme aux exigences de la loi habilitante, il est essentiel de cerner la portée du mandat conféré par le législateur en ce qui a trait à l’intention ou à l’objet de la loi dans son ensemble. Le simple fait de démontrer que le délégataire a respecté littéralement le libellé (souvent vague) de la loi habilitante lorsqu’il a pris le texte législatif subordonné n’est pas suffisant pour satisfaire au critère de la conformité à la loi. Le libellé de la disposition habilitante doit être interprété comme comportant l’exigence primordiale selon laquelle le texte législatif subordonné doit respecter l’intention et l’objet de la loi habilitante prise dans son ensemble.

(Waddell c. Governor in Council (1983), 1983 CanLII 189 (BC SC), 8 Admin. L.R. 266, p. 292

[25] Les règlements jouissent d’une présomption de validité (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 458).Cette présomption comporte deux aspects : elle impose à celui qui conteste le règlement le fardeau de démontrer que celui‑ci est invalide, plutôt que d’obliger l’organisme réglementaire à en justifier la validité (John Mark Keyes, Executive Legislation (2e éd. 2010), p. 544‑550); ensuite, la présomption favorise une méthode d’interprétation qui concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 3 (feuilles mobiles), 15:3200 et 15:3230).

[26] Il convient de donner au règlement contesté et à sa loi habilitante une « interprétation téléologique large [. . .] compatible avec l’approche générale adoptée par la Cour en matière d’interprétation législative » (United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485, par. 8; voir également Brown et Evans, 13:1310; Keyes, p. 95‑97; Glykis c. Hydro‑Québec, 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285, par. 5; Sullivan, p. 368; Loi de 2006 sur la législation, L.O. 2006, ch. 21, ann. F, art. 64).

[42] La requérante a soutenu que l’analyse de la CSC sur l’invalidité réglementaire, telle qu’elle est détaillée dans Katz Group Canada Inc., devrait s’appliquer au règlement en cause dans la présente affaire. Elle a prétendu que l’interprétation que l’Office faisait du mot « entrepreneur » contenu dans le Règlement pour faire en sorte que le terme englobe les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures était invalide, puisqu’elle ne respectait pas les limites de la LTC, sa loi habilitante. La requérante a ajouté qu’une interprétation valide du mot « entrepreneur » exclurait les entreprises relevant de la compétence provinciale, car la LTC a été expressément adoptée pour réglementer le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement. Plus particulièrement, la requérante a fait remarquer que le pouvoir de réglementation prévu au paragraphe 170(1) de la LTC habilitait expressément l’Office à « prendre des règlements afin de reconnaître ou d’éliminer les obstacles ou de prévenir de nouveaux obstacles — notamment des obstacles dans les domaines de l’environnement bâti, des technologies de l’information et des communications ainsi que de la conception et de la prestation de programmes et de services — dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement …». [je souligne]

[43] La requérante a soutenu que l’intention du législateur était de respecter les limites de sa compétence et de ne réglementer que les entreprises relevant de la compétence fédérale. Elle a affirmé qu’il existait une présomption de validité constitutionnelle et que, en ce qui concerne le Règlement, la présomption signifierait que ce dernier devrait être lu d’une manière qui respecte la compétence fédérale et l’incapacité du Parlement à réglementer un domaine de compétence provinciale.

[44] L’Office n’a pas contesté le fait que les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures étaient des entreprises relevant de la compétence provinciale. Il a toutefois fait valoir que le Règlement s’appliquait valablement à la requérante, laquelle exploite un aéroport et relève de la compétence fédérale. L’Office allègue que c’est à la requérante et non à l’entrepreneur que le Règlement impose l’obligation de s’assurer que la formation requise est suivie. L’Office a en outre soutenu que l’argument de la requérante quant à la validité administrative constituait une tentative d’obtenir une déclaration d’invalidité pour des raisons constitutionnelles, ce qui n’est pas possible de faire sans l’envoi préalable d’un avis de question constitutionnelle, comme l’exige le paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[45] Aux dires de la requérante, le Règlement est invalide parce qu’il ne respecte pas la limite établie par la loi habilitante. Selon elle, la limite a été franchie du fait que les règlements pris en vertu de la LTC doivent s’appliquer au réseau de transport assujetti à la compétence fédérale, et qu’en l’espèce le Règlement outrepasse la compétence fédérale, car il a une incidence sur la formation des fournisseurs de services relevant de la compétence provinciale. La requérante estime par conséquent que le Tribunal devrait atténuer la définition d'« entrepreneur » pour faire en sorte que le Règlement soit conforme à sa loi habilitante et que son application se limite au réseau de transport fédéral.

Présomption de cohérence

[46] La requérante a fait valoir que l’interprétation du mot « entrepreneur » contenu dans le Règlement devrait respecter la présomption de cohérence. Elle a déclaré qu’il existait une présomption selon laquelle toutes les lois qui traitent d’un problème particulier emploient la même solution.

[47] La requérante a présenté un extrait de l’ouvrage Interprétation des lois (4e édition, 2009, de P.A. Côté, S. Beaulac et M. Devinat), dans lequel les auteurs revoient le principe de cohérence. Ils expliquent qu’il est présumé que le législateur maintienne une cohérence et une uniformité entre les lois connexes. Compte tenu de cette présomption de cohérence, les auteurs estiment que l’examen d’une loi connexe peut guider et éclairer un décideur dans l’interprétation d’une loi particulière ou d’un règlement spécifique, comme dans l’affaire dont je suis saisie. Le paragraphe 1286 du texte explique que la loi devrait être interprétée en harmonie avec les lois connexes de sorte que le même problème est présumé avoir reçu la même solution dans toutes les lois qui en traitent.

[48] La requérante a soutenu qu’une interprétation cohérente du Règlement devrait tenir compte du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées (Règlement sur les transports accessibles), qui a lui aussi été adopté en vertu du paragraphe 170(1) de la LTC. Les articles 15 à 22 de ce règlement énoncent les exigences en matière de formation en ce qui concerne les services et le soutien offerts aux personnes handicapées. En vertu de l’article 15, un fournisseur de services de transport doit veiller à ce que les membres du « personnel » reçoivent la formation exigée aux articles 16 à 19. À titre d’exploitant de terminal, la requérante est un fournisseur de services de transport. Le Règlement sur les transports accessibles définit le mot « personnel » comme suit :

personnel À l’égard d’un transporteur, d’un exploitant de gare, de l’ACSTA ou de l’ASFC, désigne :

a) les employés du transporteur, de l’exploitant de gare, de l’ACSTA ou de l’ASFC, selon le cas;

b) les personnes, autres qu’une agence de voyage, qui ont conclu un accord ou une entente avec le transporteur, l’exploitant de gare, l’ACSTA ou l’ASFC, selon le cas, visant à fournir des services en leur nom;

c) les employés des personnes visées à l’alinéa b).

[49] La requérante a affirmé que le Règlement sur les transports accessibles prescrivait une formation initiale et d'autres de recyclage liées à la prestation de services aux personnes handicapées, et que ces exigences visaient à traiter les mêmes problèmes de formation que le fait le règlement en cause en l’espèce. La requérante a toutefois précisé que le Règlement sur les transports accessibles limitait l’application des exigences en matière de formation aux personnes qui œuvraient dans le secteur des transports fédéraux, en raison de la définition plus restrictive du mot « personnel ». Elle a avancé que le mot « entrepreneur » dans le Règlement sur la formation du personnel devrait être interprété d’une manière qui soit cohérente avec la définition de « personnel » contenue dans le Règlement sur les transports accessibles.

[50] Selon la requérante, les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures ne constitueraient pas du personnel au sens du Règlement sur les transports accessibles, car ces entreprises ne fournissent pas de services au nom de la requérante. Cette dernière a soutenu que le sens des termes « entrepreneur » et « personnel » dans les deux règlements devrait être interprété de façon cohérente en fonction de la présomption voulant que le législateur exige la tenue d’une formation pour traiter la même question, soit la prestation de services aux personnes handicapées dans les aérogares. En raison de la présomption de cohérence, la requérante a prétendu qu’elle n’était pas tenue de veiller à ce que les employés des navettes d’hôtel et des agences de location de voitures suivent une formation, puisque ces entreprises ne constituaient pas du « personnel » et, par conséquent, non plus des « entrepreneurs » lorsqu’on interprète harmonieusement les deux définitions. La requérante n’a cependant pas expliqué pourquoi une interprétation cohérente s’alignerait sur le sens de « personnel » plutôt que sur celui d’« entrepreneur », sauf pour faire valoir que le terme « personnel » limite son application à la compétence fédérale et que ce n’est pas le cas pour le terme « entrepreneur ».

[51] LInterprétation des lois cite l’arrêt de la CSC Canton de Goulbourn (municipalité) c. Ottawa-Carleton (Municipalité), [1980] 1 RCS 496 (Goulbourn), à l’appui de la présomption de cohérence. Dans cette affaire, la CSC a tenu compte de lois connexes dans son interprétation d’une loi provinciale visant la municipalité régionale d’Ottawa-Carleton. À la page 515 de sa décision, la CSC explique sa référence aux lois similaires comme suit :

Peu de temps après l’adoption de The Regional Municipality of Ottawa-Carleton Act, 1968 (Ont.), la législature provinciale a édicté d’autres lois semblables relativement à d’autres comtés et régions de l’Ontario; par exemple, The Regional Municipality of Niagara Act, 1968‑9, 1968-9 (Ont.), chap. 106. La comparaison de lois analogues édictées par la même législature n’est que d’une utilité marginale pour déterminer l’interprétation exacte du texte de loi litigieux. En fait, les tribunaux se sont maintes fois demandé si l’étude d’une loi postérieure était un mode d’interprétation valide. (Voir Maxwell on Interpretation of Statutes (12e éd.) à la p. 69 et suiv.; voir également Kirkness (Inspector of Taxes) v. John Hudson & Co Ltd. Nous n’avons pas ici à nous prononcer sur un cas de modification et d’abrogation, mais sur la valeur de l’étude de lois semblables qui portent sur le même domaine. Comme pour la plupart des autres outils d’interprétation, la Cour ne peut y avoir recours que si elle est confrontée à une expression ambiguë et il ne fait aucun doute que c’est le cas en l’espèce.

[52] La CSC n’a donc décidé d’examiner une loi semblable dans l’affaire Goulbourn qu’après avoir déterminé que la loi contestée était ambiguë. La requérante n’a pas argué qu’il était nécessaire de référer au Règlement sur les transports accessibles pour interpréter la loi, en raison d’une ambiguïté dans le Règlement sur la formation du personnel. Elle a plutôt soutenu que les deux règlements devraient être interprétés de manière cohérente et unifiée de façon à ce que le Règlement n’ait pas d’incidence sur les entreprises relevant de la compétence provinciale.

[53] Je n’accepte pas qu’il faille référer au Règlement sur les transports accessibles pour interpréter le Règlement sur la formation du personnel, car la définition d'« entrepreneur » n’est pas ambiguë. De plus, les arguments de la requérante quant à la présomption de cohérence ne tiennent ni compte de la Loi d’interprétation ni du principe moderne d’interprétation des lois.

[54] Les dispositions pertinentes de la Loi d’interprétation sont les suivantes :

15 (1) Les définitions ou les règles d’interprétation d’un texte s’appliquent tant aux dispositions où elles figurent qu’au reste du texte.

(2) Les dispositions définitoires ou interprétatives d’un texte :

a) n’ont d’application qu’à défaut d’indication contraire;

b) s’appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique.

16 Les termes figurant dans les règlements d’application d’un texte ont le même sens que dans celui-ci.

[55] Selon l’article 15 de la Loi d’interprétation, je devrais, à moins d’indication contraire, lire et interpréter le mot « personnel » apparaissant dans le Règlement sur les transports accessibles comme s’appliquant à d’autres textes législatifs portant sur le même sujet, tels le Règlement sur la formation du personnel. Je constate la présence d’une indication contraire à la simple lecture du Règlement sur la formation du personnel. L’indication contraire est le fait qu’un exploitant de terminal soit tenu de s’assurer que ses employés et ses entrepreneurs suivent une formation, ce qui constitue un groupe de personnes différent du « personnel » tenu de suivre une formation dans le cadre du Règlement sur les transports accessibles.

[56] L’article 16 de la Loi d’interprétation incorpore expressément la présomption de cohérence en énonçant que les termes ont le même sens dans les règlements que dans la loi habilitante. Je note par ailleurs que la Loi d’interprétation n’étend pas l’application de la présomption de cohérence de la manière dont l’a fait la requérante, pas plus qu’elle n’exige que la loi soit interprétée de telle sorte que le même problème reçoive la même solution.

[57] Le principe moderne d’interprétation des lois a été officiellement adopté par la CSC dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd, [1998] 1 R.C.S. 27. Au paragraphe 21 de la décision, on peut lire:

21 Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après «Construction of Statutes»); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[58] Ce principe moderne d'interprétation des lois n'exige pas l'examen des lois et règlements connexes pour déterminer s'il y a cohérence entre les solutions adoptées par le législateur pour traiter du même sujet. Cette approche de l’interprétation des lois requiert plutôt que je lise les termes du Règlement dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet du Règlement.

[59] Le mot « entrepreneur » est défini dans le Règlement sur la formation du personnel : « [p]ersonne, ou employé de celle-ci, qui fournit des services aux termes d’un contrat ou d’une entente avec un transporteur ou un exploitant de terminal … ». Le sens ordinaire et grammatical des mots de cette définition ne permet pas, à mon avis, une interprétation incorporant ou appliquant la définition du terme « personnel » provenant du Règlement sur les transports accessibles à des fins de cohérence. Le terme « personnel », comme l’a fait remarquer la requérante dans ses observations, est plus restrictive, car il restreint le groupe qui doit suivre la formation à certaines personnes, soit : les employés du transporteur, de l’exploitant de gare, de l’ACSTA ou de l’ASFC; les personnes, autres qu’une agence de voyage, qui ont conclu un accord ou une entente avec le transporteur, l’exploitant de gare, l’ACSTA ou l’ASFC, visant à fournir des services en leur nom; et tous les employés de ces personnes.

[60] Bien que le Règlement sur les transports accessibles exige de l’exploitant de gare qu’il s’assure que les personnes qui fournissent des services en son nom suivent une formation, je ne suis pas convaincue que cette exigence de formation ait une quelconque incidence sur l’interprétation de l’exigence de formation prévue dans le Règlement sur la formation du personnel, lequel requiert que l’exploitant de terminal s’assure que la formation est suivie par les personnes qui fournissent des services aux termes d’un contrat ou d’une entente. Je conclus que le sens grammatical et ordinaire des mots composant la définition d'« entrepreneur » n’inclut pas l’exigence voulant que les services soient fournis au nom de l’exploitant de terminal. Selon le sens ordinaire de la définition, il suffit que les services soient rendus aux termes d’un contrat ou d’une entente.

[61] Je ne crois pas que la présomption de cohérence m’oblige à incorporer ou à considérer la définition de « personnel » provenant du Règlement sur les transports accessibles afin d’interpréter le sens du mot « entrepreneur » apparaissant dans le Règlement sur la formation du personnel.

La preuve établit-elle que les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures sont en fait des entrepreneurs?

[62] La requérante a fait valoir que, même si la définition d'« entrepreneur » dans le Règlement pouvait valablement s’étendre aux entreprises qui relevaient de la compétence provinciale, les entités particulières que sont les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures n’étaient pas, dans les faits, visées par la définition.

[63] La requérante soutient que le Règlement devrait être interprété conjointement avec le pouvoir de réglementation énoncé au paragraphe 170(1) de la LTC.

[64] La requérante a déclaré que le règlement en cause dans la présente affaire découlait de l’alinéa 170(1)b) quant à « la formation du personnel des transporteurs ou de celui employé dans ces installations et locaux ». Elle a fait remarquer que les installations ou les locaux étaient définis à l’alinéa 170(1)a) comme étant des « installations et locaux connexes », ajoutant que le mot « connexes » impliquait un certain niveau de dépendance entre le terminal et les installations ou les locaux. La requérante a fait valoir que les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures n’étaient pas liés ou intégrés au terminal, ni dépendants de celui-ci, et que, par conséquent, le personnel de ces entreprises n’était pas employé dans des installations ou des locaux connexes, comme l’exige le paragraphe 170(1).

[65] La requérante a présenté en preuve une série de décisions, lesquelles concluaient que des services tels que le transport par taxi et par limousine ne faisaient pas partie du réseau de transport fédéral, ni ne constituaient une partie intégrante d’un aéroport (voir Scott v. Sahota (No. 2), 2006 CanLII 84482 (SK HRT) aux paragraphes 92 à 94, et les arrêts qui y sont cités). S’appuyant sur cette jurisprudence, la requérante a fait valoir que les navettes d’hôtel et les agences de location de voitures ne faisaient pas non plus partie intégrante de l’aéroport et, par conséquent, n’étaient pas employées dans des installations ou des locaux connexes.

[66] M. Luc Charbonneau a témoigné au nom de la requérante. Il a déclaré qu’à l’époque des faits il était le représentant de la requérante responsable des contrats avec les services de navettes d’hôtel et les agences de location de voitures. Il a expliqué que les navettes et les agences de location étaient accessoires à l’activité principale de la requérante et que ces services n’étaient pas fournis en tant que service de l’aéroport ou en son nom. M. Charbonneau a témoigné que les contrats avec les navettes d’hôtel prévoyaient la location d’un espace dans le terminal pour l’embarquement et le débarquement des passagers des navettes. Selon les contrats, chaque service de navette paie le loyer du bail à l’aéroport. Il a en outre expliqué que les contrats avec les agences de location de voitures étaient similaires à ceux passés avec les navettes d’hôtel. La requérante et les agences de location de voitures ont un contrat prévoyant que ces dernières louent un comptoir de service à l’aéroport.

[67] À l’examen du témoignage de M. Charbonneau, je conclus que les employés des services de navettes d’hôtel et des agences de location de voitures sont employés dans des installations et des locaux connexes à l’exploitation du terminal de la requérante. Les chauffeurs de navette sont employés à l’entrée du terminal pour l’embarquement et le débarquement des clients, alors que les agents de location de voitures sont employés à un comptoir situé dans les locaux de l’aéroport. Il s’agit là d’installations et de locaux connexes au sens du paragraphe 170(1). J’interprète le mot « connexes » de l’alinéa 170(1)a) dans son sens ordinaire comme voulant dire « associés à » ou « liés à ». Selon mon interprétation, l’expression « installations et locaux connexes » n’exige pas qu’il y ait un niveau de dépendance ou d’intégration avec les opérations du terminal.

[68] La requérante a ajouté que les navettes d’hôtel et les agences de location de voitures n’étaient pas des entrepreneurs du fait qu’elles n’offraient pas de service en vertu d’un contrat ou d’une entente avec la requérante. Les contrats portaient, comme en a témoigné M. Charbonneau, sur la location d’espaces de comptoir, de lieux d’embarquement pour les navettes et d’affichage à l’aéroport, et non sur des services.

[69] L’Office a fait valoir que les services étaient offerts par les navettes d’hôtel et les agences de location de voitures en vertu de contrats conclus entre la requérante et les entrepreneurs. L’Office a également avancé que les services fournis par les entrepreneurs constituaient des « services liés au transport » selon la définition du Règlement.

[70] La requérante a remis une liste d’entrepreneurs à M. Gagnon en 2018, lors de l’enquête initiale de ce dernier. M. Gagnon a utilisé cette liste pour orienter son enquête ciblée. En novembre 2019, il a demandé à la requérante de lui faire parvenir d’autres documents. Le 10 décembre 2019, il a reçu une liasse de documents provenant de la requérante, comprenant des copies des contrats entre la requérante et les navettes d’hôtel et de ceux entre la requérante et les agences de location de voitures. M. Gagnon a identifié les contrats lors de son témoignage et ceux-ci ont été admis en preuve.

[71] Les contrats avec les services de navettes d’hôtel sont en fait des licences d’exploitation. Aux termes de la licence, la requérante accorde à l’hôtel « une licence non exclusive autorisant le titulaire à transporter des passagers dans des véhicules autorisés entre un établissement hôtelier et l’aéroport international Montréal Pierre Elliott Trudeau (l'Aéroport), le tout conformément aux modalités de la présente licence » (pièce OTC-4).

[72] Les contrats passés avec les agences de location de voitures sont également des licences d’exploitation. La licence que la requérante a accordée à Avis Budget Group (Budget) a été déposée en preuve à titre de pièce 11 de l’OTC. Le préambule de la licence indique que la requérante avait fait une demande d’appel d’offres pour la gestion et l’exploitation d’une concession de location de voiture à l’Aéroport, au terme de laquelle le titulaire du permis (Budget) a été retenu et s’est vu attribuer le droit et le privilège de gérer et d’exploiter une concession de location de voitures. Dans le cadre de la licence d’exploitation, la requérante a autorisé le titulaire à exploiter une « concession de location de véhicules » incluant l’utilisation exclusive d’un comptoir de service, d’un espace de bureau et d’espaces de stationnement, le tout sous réserve des conditions énoncées dans la licence. Les conditions de la licence unissant la requérante et Dollar Rent A Car et Thrifty Rent A Car, laquelle a été déposée en preuve en tant que pièce 12 de l’OTC, sont essentiellement similaires à celles de la licence de Budget.

[73] Au terme de mon examen des licences d’exploitation, j’ai conclu que la requérante avait accordé des licences à sept entreprises pour la prestation de services de transport de passagers utilisant des navettes d’hôtel, et à deux compagnies de location de voitures pour offrir les services d’une concession de location de voitures, conformément aux conditions prévues aux contrats. J’en conclus que les navettes d’hôtel et les agences de location de voitures exécutent donc des services conformément aux termes d’un contrat passé avec la requérante, et que ces entreprises sont en fait des « entrepreneurs » au sens du Règlement.

[74] M. Charbonneau a également témoigné au sujet du transport terrestre assuré à l’aéroport Pierre Elliott Trudeau par la Société de transport de Montréal (STM). Il a déclaré que la STM offrait un service d’autobus régulier de l’aéroport jusqu’au centre-ville de Montréal et que les autobus de la STM embarquaient et débarquaient les passagers à un endroit désigné à l’aéroport. Il a par ailleurs ajouté que l’aéroport disposait de kiosques libre-service où les passagers pouvaient acheter des billets d’autobus de la STM.

[75] La requérante a fait valoir que si le Règlement était interprété de façon à ce que les navettes d’hôtel et les agences de location de voitures soient considérées comme étant des entrepreneurs, la STM serait alors elle aussi considérée comme étant un entrepreneur, car elle fournissait des services de transport terrestre à l’aéroport. La requérante a soutenu que le législateur ne pouvait pas avoir l’intention d’inclure les transports publics municipaux telle la STM dans le champ d’application du Règlement. Je constate qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’un contrat ou d’une quelconque entente entre la requérante et la STM en ce qui concerne la prestation du service d’autobus. M. Gagnon a demandé à la requérante de lui remettre des contrats, et c’est en se fondant sur les contrats reçus qu’il est parvenu à ses conclusions quant à la commission des violations. La définition d’entrepreneur dans le Règlement exige expressément que les services soient fournis « aux termes d’un contrat ou d’une entente avec un transporteur ou un exploitant de terminal ». Puisqu’il n’y a aucune preuve d’un contrat ou d’une entente entre la requérante et la STM, j’estime que cet argument est purement hypothétique et que cette preuve n’est donc d’aucune utilité pour trancher les questions soulevées en l’espèce.

Question 2 – L’Office s'est-il acquitté de son fardeau de preuve selon la prépondérance des probabilités en ce qui concerne les éléments constitutifs des violations?

[76] L’Office a le fardeau de prouver la commission des contraventions alléguées dans le procès-verbal, comme l’énonce le paragraphe 180.3(4) de la LTC. Le paragraphe 15(5) de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada dispose que la charge de la preuve repose sur la prépondérance des probabilités.

[77] Par conséquent, l’Office doit faire la preuve de chaque élément factuel constituant les violations alléguées dans le procès-verbal. Ces éléments sont :

  1. la date des 10 présumées violations (le ou vers le 10 décembre 2019);
  2. la requérante est un exploitant de terminal;
  3. les compagnies identifiées dans le procès-verbal sont des entrepreneurs de l’exploitant de terminal;
  4. le fait que la requérante a omis de s’assurer que tous les employés des entreprises susmentionnées qui fournissent des services liés au transport et qui peuvent être appelés à transiger avec le public ou à prendre des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience reçoivent une formation initiale conformément à l'article4 du Règlement;
  5. le fait que la requérante a omis de s’assurer que tous les employés de Budget qui fournissent des services liés au transport et qui peuvent être appelés à transiger avec le public ou à prendre des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience reçoivent une formationde recyclage conformément à l'article 9 du Règlement.

[78] Le témoignage de M. Gagnon a constitué la preuve de l’Office à l’égard des éléments constitutifs des violations. Au cours de son témoignage, le témoin a identifié plusieurs documents qui ont été déposés au dossier de preuve.

[79] M. Gagnon a affirmé avoir entrepris une enquête ciblée sur la conformité de la requérante au Règlement, en décembre 2018, à la suite d’une inspection régulière qui avait soulevé des questions relativement à la conformité. Après avoir obtenu une liste d’entrepreneurs de la requérante, il a communiqué avec 10 fournisseurs de services de navettes d’hôtel et cinq compagnies de location de voitures pour tenter de savoir si leurs employés avaient suivi la formation que requiert le Règlement.

[80] Me fondant sur l’identification et le dépôt en preuve des licences d’exploitation effectués par M. Gagnon, j’ai déjà constaté que les entreprises identifiées étaient des entrepreneurs liés à la requérante.

[81] M. Gagnon a témoigné au sujet des réponses qu’il a reçues des hôtels et des compagnies de location de voitures. Il a identifié un courriel provenant d’un représentant de chacune des entreprises citées dans le procès-verbal. Ces courriels contenaient les renseignements suivants :

  • Le 21 octobre 2019, un représentant du service de navette de l’hôtel Travelodge a confirmé que l’hôtel comptait huit employés dont les dates d’embauche s’échelonnaient du1er janvier 2015 au 9 août 2019; il a en outre confirmé qu’il n’avait « pas encore mis en œuvre la formation pour les chauffeurs en matière d’aide aux personnes ayant une déficience, mais j’ai l’intention de le faire dès que j’obtiendrai plus d’informations » (pièce OTC-21);
  • Le 21 octobre 2019, un représentant de Budget a fait parvenir à M. Gagnon une liste de 27 agents de comptoir avec leur date d’embauche; dans ce courriel, le représentant indiquait que 12 agents de comptoir avaient suivi une formation initiale en février 2015, mais aucune formation supplémentaire depuis; et que les 15 autres agents n’avaient pas encore reçu de formation; les dates d’embauche des 15 agents sans formation variaient d’octobre 2015 à octobre 2019 (pièce OTC-22);
  • Le 21 octobre 2019, un représentant de Holiday Inn Express a fourni à M. Gagnon une liste de huit chauffeurs de navette, accompagnée de leur date d’embauche qui se situaient toutes entre juin 2015 et avril 2019; dans son courriel, le représentant précisait qu’aucun chauffeur n’avait suivi de formation, qu’elle soit initiale ou de recyclage (pièce OTC-18);
  • Le 28 octobre 2019, un représentant du Days Inn & Centre de Conférence a remis une liste de chauffeurs ainsi leur date d’embauche à M. Gagnon; selon cette liste, le Days Inn employait sept chauffeurs dont les dates d’embauche allaient de mai 2014 à juillet 2019; le 12 novembre 2019, M. Gagnon a reçu un courriel de suivi au nom du Days Inn, et dans lequel le directeur général de l’hôtel avisait son destinataire qu’aucun des chauffeurs n’avait suivi de formation relative aux personnes ayant une déficience (pièce OTC-16);
  • Le 29 octobre 2019, un représentant du Fairfield Inn & Suites by Marriott a fait parvenir à M. Gagnon des renseignements sur la formation de ses employés conformément au Règlement; selon la liste fournie, le service de navette du Fairfield Inn employait 10 chauffeurs, dont huit avaient reçu leur formation initiale en novembre 2018; deux chauffeurs ont été embauchés en 2019 et n’avaient pas reçu leur formation en date du 29 octobre 2019; ces deux derniers chauffeurs ont été respectivement embauchés le 19 juin et le 24 juillet 2019 (pièce OTC-17);
  • Le 30 octobre 2019, un représentant de Beausejour Hotel Apartments a informé M. Gagnon que l’hôtel employait quatre chauffeurs dont les dates d’embauche étaient février 2009, mai 2015, juillet 2017 et août 2019, et qu’aucun de ces conducteurs n’avait suivi la formation que requiert le Règlement (pièce OTC-15);
  • Le 31 octobre 2019, un représentant de Hertz Canada a fourni des renseignements sur les agents de comptoir qu’employait Dollar Rent A Car et Thrifty Rent A Car; l’information précisait que la compagnie avait 16 agents et qu’aucun d’entre eux n’avait reçu la formation initiale; ces agents avaient été embauchés entre mars 1997 et septembre 2019 (pièce OTC-23);
  • Le 31 octobre 2019, un représentant de l’hôtel Quality a confirmé à M. Gagnon que l’hôtel comptait cinq chauffeurs et que deux d’entre eux avaient reçu une formation initiale relative à l’aide aux personnes ayant une déficience, en novembre 2019 [1] ; les trois autres chauffeurs n’avaient suivi aucune formation; leurs dates d’embauche étaient le 24 juin 2013; le 11 janvier 2015; et le 22 mars 2019 (pièce OTC-20);
  • Le 31 octobre 2019, un représentant de l’Auberge de l’Aéroport Inn a soumis une liste de six chauffeurs dont la date d’embauche s’échelonnait de 2001 à 2018; dans le courriel envoyé à M. Gagnon, le représentant de la compagnie indiquait qu’aucun des employés n’avait reçu de formation officielle (pièce OTC-14);
  • Le 21 novembre 2019, le représentant du Holiday Inn Express a confirmé à M. Gagnon que la liste des chauffeurs précédemment envoyée par courriel le 21 octobre 2019 représentait également la liste des chauffeurs de l’hôtel Novotel.

[82] M. Gagnon a témoigné avoir conclu, d’après les renseignements fournis par les entrepreneurs dans les courriels reçus et dans les conversations téléphoniques qu’il a eues avec eux, qu’il y avait des employés de chaque entrepreneur qui n’avaient pas terminé leur formation initiale dans les 60 jours suivant leur entrée en fonctions, comme l’exigent les articles 4 et 8 du Règlement.

[83] Le témoin a en outre déclaré que la requérante lui avait fait parvenir son programme de formation au cours de l’enquête ciblée. Le document avait été élaboré par la requérante conformément à l’article 11 du Règlement, et on pouvait lire sur sa page de couverture qu’il avait été mis à jour pour la dernière fois le 25 septembre 2019 (pièce OTC-2). La requérante y décrit le contenu et la durée de la formation initiale. Le programme de formation de la requérante indiquait également que la formation de recyclage avait le même contenu que la formation initiale et qu’elle était dispensée tous les trois ans. Au terme de son examen du programme de formation de la requérante et des renseignements présentés au nom de Budget, M. Gagnon a conclu que 12 employés de cette compagnie n’avaient pas suivi la formation de recyclage tous les trois ans, comme le prévoyait le programme de la requérante.

[84] La requérante a contesté la fiabilité de la preuve de l’Office voulant que les employés des entrepreneurs n’aient pas suivi la formation requise par le Règlement. Elle a plus particulièrement soutenu que les renseignements figurant dans les courriels des entrepreneurs constituaient une preuve insuffisante, étant donné que l’Office n’avait pas fourni les courriels que M. Gagnon avait envoyés aux entrepreneurs pour leur demander de l’information.

[85] Il ressort clairement des courriels et du témoignage de M. Gagnon que ce dernier a demandé des renseignements sur les employés et leur formation par courriel ou au cours de conversations téléphoniques. J’estime que l’information contenue dans les courriels est suffisamment claire pour permettre d’établir que chaque entrepreneur a transmis à M. Gagnon les noms des employés concernés, leur date d’embauche et les dates de leur formation (qu’elle soit initiale ou de recyclage). Je conclus que l’Office a prouvé que les employés identifiés dans les courriels n’ont pas terminé la formation initiale dans les 60 jours suivant leur embauche, comme ce fut le cas pour les neuf entrepreneurs, ou encore n’ont pas terminé la formation de recyclage dans les trois ans suivant la formation initiale, comme dans le cas de 12 employés de Budget.

[86] Le paragraphe 3(2) du Règlement dispose que la définition d’exploitant de terminal exclut « l’exploitant d’une aérogare où il y a eu moins de 10 000 passagers embarqués et débarqués au cours de chacune des deux dernières années civiles ». M. Gagnon a affirmé qu’il s’était assuré que la requérante était un exploitant d’aérogare au sens de l’article 2 du Règlement en examinant les chiffres qu’elle avait publiés relativement au nombre de ses passagers en 2017 et en 2018. Le rapport de la requérante sur son trafic passagers de janvier 2016 à août 2019 a été déposé en preuve à titre de pièce OTC-25. Selon ce rapport, il y a eu un total de 19 428 143 passagers en 2018, et 18 165 153 en 2017. J’en conclus que l’Office a établi que la requérante était un exploitant de terminal auquel s’applique le Règlement sur la formation du personnel.

[87] La requérante a déclaré que l’Office n’avait pas réussi à prouver deux éléments essentiels des violations – soit que celles-ci s’étaient produites le 10 décembre 2019 ou avant, et que la requérante ne s’était pas assuré que les gens concernés terminent leur formation.

[88] En ce qui concerne la question entourant la date des violations, la requérante a fait valoir que l’Office devait prouver tous les éléments des violations à compter de la date précisée lorsqu’il y avait un délai de prescription prévu par la loi, comme dans le présent Règlement. Son argument repose sur l’adoption de ce principe par la CSC à la page 49 de l’arrêt R. c. B.(G.), [1990] 2 R.C.S. 30. La requérante a soutenu que l’Office n’avait pas fait la preuve que les éléments des violations existaient en date du 10 décembre 2019, car les dates indiquées dans les courriels des entrepreneurs étaient antérieures à la délivrance du procès-verbal. Selon la requérante, étant donné que le Règlement exige la tenue d’une formation initiale et d’une formation de recyclage avant l’expiration d’un certain délai, l’omission de prouver les éléments des violations à cette date a entaché la validité du procès-verbal.

[89] L’Office a soutenu que les manquements relatifs aux exigences en matière de formation ont eu lieu dès l’écoulement des 60 jours suivant la date d’embauche d’un employé sans que celui-ci n’ait reçu la formation. Il a fait valoir que les contraventions avaient été confirmées dans les courriels des entrepreneurs, et qu’elles avaient été commises le 10 décembre 2019 ou avant, comme il est indiqué dans le procès-verbal. L’Office a par ailleurs argué que l’utilisation de la date du 10 décembre 2019 n’était pas fatale au procès-verbal, s’appuyant sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Yukon (Aéroport international de Whitehorse), 2006 CF 1326. Dans cet arrêt, la Cour fédérale a déterminé que le Tribunal n’avait pas outrepassé sa compétence en permettant la modification de quatre avis établissant le montant d’une amende, puisque dans les circonstances la modification ne désavantageait pas le gouvernement du Yukon.

[90] J’estime que l’Office a prouvé que les éléments requis des violations sont survenus au plus tard le 10 décembre 2019. D’après le témoignage de M. Gagnon, les neuf entrepreneurs lui ont tous confirmé par courriel, entre le 21 octobre 2019 et le 21 novembre 2019, que les employés visés n’avaient pas suivi la formation requise. M. Gagnon a reçu les licences d’exploitation de la requérante le 10 décembre 2019 (voir la pièce OTC-1). Après avoir examiné ces documents, il a confirmé que les navettes d’hôtel et les agences de location de voitures étaient des entrepreneurs du fait qu’elles offraient des services en vertu d’un contrat passé avec la requérante. Ce n’est qu’à compter du 10 décembre 2019, lors de la réception des licences d’exploitation de la requérante, que M. Gagnon s’est retrouvé en possession de la preuve de tous les éléments requis des violations.

[91] Je constate qu’en date du 10 décembre 2019, M. Gagnon a déterminé que les navettes et les agences étaient des entrepreneurs et que leurs employés n’avaient pas reçu la formation initiale et celle de recyclage requises. Les employés n’avaient pas terminé la formation initiale dans les 60 jours suivant leur embauche. Ces violations n’auraient pas pu être corrigé lors de l’échange de courriels avec les entrepreneurs en octobre et novembre 2019, car le délai de 60 jours était déjà expiré à ce moment-là. De même, certains employés de Budget n’ont pas suivi de formation de recyclage tous les trois ans comme le prévoit le programme de formation de la requérante. Cette violation n’aurait non plus pu être corrigée lors de l’échange de courriel du 21 octobre 2019 avec Budget, puisqu’à cette date le délai de trois ans était expiré.

[92] Je ne crois pas qu’il faille modifier le procès-verbal pour ajuster la date des violations. Toutefois, si une telle modification était nécessaire pour préciser les dates exactes auxquelles M. Gagnon a confirmé auprès des entrepreneurs que la formation de certains employés n'était pas terminée, je modifierais les dates en me fondant sur le fait qu'il n'y aurait pas de préjudice ou de désavantage réel pour la requérante découlant de la modification, car celle-ci a toujours été au fait des allégations de violations à son endroit, et a eu une véritable occasion de répondre aux allégations.

[93] Enfin, la requérante a fait valoir que l’Office n’avait pas prouvé qu’elle avait omis de s’assurer que la formation des employés soit complétée et, plus précisément, qu’elle ne disposait pas d’un mécanisme pour veiller à ce que les employés des entrepreneurs suivent la formation. À mon avis, la démonstration que les employés n’avaient pas suivi la formation initiale ou la formation de recyclage constitue une preuve suffisante que la requérante n’a pas rempli ses obligations en vertu de l’article 4 du Règlement, afin de s’assurer que les employés aient reçu la formation requise. La requérante a eu l'occasion de présenter des éléments de preuve du soin ou de la diligence raisonnable dont elle a fait preuve dans l'exécution de ses obligations en vertu du Règlement en matière de formation du personnel des entrepreneurs, mais elle n'a rien fait de tel. Je conclus que la requérante ne s’est pas assurée que la formation soit suivie par les employés conformément au Règlement.

[94] M. Gagnon a témoigné au sujet de son évaluation du montant de la sanction pécuniaire pour chacune des violations. Le tableau qu’il a utilisé pour tenir compte des facteurs atténuants et aggravants a été déposé en preuve sous la cote OTC-26. M. Gagnon a estimé que la gravité du préjudice porté aux passagers constituait un facteur aggravant, alors que la coopération de la requérante tout au long de son enquête avait été un facteur atténuant. Il a expliqué que le montant prédéterminé de la sanction était de 2 500 $ pour chacune des contraventions. Chaque facteur atténuant réduit l’amende de 10 pour cent, et chaque facteur aggravant l’augmente de 10 pour cent, de sorte qu’il a imposé une sanction pécuniaire de 2 500 $ pour chacune des 10 violations, soit un montant total de 25 000 $. La requérante n’a pas contesté le montant de la sanction et je considère qu’il n’y a pas lieu de le modifier.

IV. DÉCISION

[95] L’Office des transports du Canada a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la requérante a commis les 10 violations énoncées dans le procès-verbal. La sanction pécuniaire de 25 000 $ pour l’ensemble des 10 violations est maintenue.

[96] Le montant total de 25 000 $ est payable au receveur général du Canada et doit parvenir au Tribunal d’appel des transports du Canada dans les 35 jours suivant la signification de la présente décision.

Le 2 novembre 2021

(Original signé)

Jennifer Webster

Conseillère

Comparutions

Pour l’Office :

Karine Matte

Pour la requérante :

Elizabeth Cullen

Mathieu Quenneville

 



[1] Le texte du courriel indiquait que la date de la formation initiale était le 28 novembre 2019 pour les deux employés. M. Gagnon a témoigné qu’il croyait que la date exacte était le 28 novembre 2018 parce que le courriel était daté du 31 octobre 2019 et qu’il croyait que la formation avait été complétée avant le début de son enquête ciblée

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