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Référence : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Ministre des Transports), 2021 TATCF 29 (décision interlocutoire)

No de dossier du TATC : RQ-0054-41

Secteur : ferroviaire

ENTRE :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, requérante

- et -

Canada (Ministre des Transports), intimé

Audience :

Par observations écrites les 10, 17 et 22 juin 2021

Affaire entendue par :

Jennifer Webster, conseillère

Décision rendue le :

28 septembre 2021

DÉCISION INTERLOCUTOIRE ET MOTIFS

Arrêt : Le Tribunal accueille la demande de la requérante de proroger le délai de présentation de sa requête en révision, en vertu du paragraphe 40.16(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire. La requérante peut déposer une demande écrite de révision du procès-verbal 4004-16-9-106849 auprès du Tribunal au plus tard le 8 octobre 2021.


I. HISTORIQUE

[1] Le 25 mars 2021, le ministre des Transports (ministre) a signifié un procès-verbal à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). Dans ce procès-verbal, le ministre imposait à la compagnie des sanctions administratives pécuniaires d’un montant total de 237 498 $ relativement à trois violations présumées par le CN des règles et règlements en matière de sécurité ferroviaire. L’avis indiquait que le CN devait soit payer les amendes, soit demander une révision de la décision du ministre auprès du Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal) au plus tard le 26 avril 2021.

[2] Le CN a envoyé un courriel au greffe du Tribunal le 1er juin 2021, y demandant une prorogation du délai de dépôt de sa demande de révision. Le greffe a alors établi un calendrier pour la présentation des observations écrites des parties relativement à la demande du CN.

[3] Le CN a remis ses observations le 10 juin 2021. Puis le 17 juin 2021, le ministre a présenté des observations s’opposant à la demande de prorogation. Enfin, le CN a répondu aux observations du ministre le 22 juin 2021.

II. ANALYSE

A. Le pouvoir discrétionnaire du Tribunal de prolonger le délai de dépôt d’une demande de révision

[4] La question dont le Tribunal est saisi est de savoir s’il faut prolonger le délai accordé au CN pour demander une révision du procès-verbal délivré le 25 mars 2021. Le paragraphe 40.16(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire (Loi) prévoit le délai de dépôt d’une requête en révision d’un procès-verbal et énonce comme suit le pouvoir du Tribunal de proroger ce délai :

40.16 (1) Le destinataire du procès-verbal qui veut faire réviser la décision du ministre à l’égard des faits reprochés ou du montant de la pénalité dépose une requête auprès du Tribunal, au plus tard à la date limite qui y est indiquée, ou dans le délai supérieur éventuellement accordé à sa demande par le Tribunal.

[5] Le procès-verbal précisait que le CN devait déposer sa demande de révision au plus tard le 26 avril 2021. Le CN a communiqué avec le Tribunal le 1er juin 2021 pour lui demander d’accorder un délai supplémentaire, comme le permet le paragraphe 40.16(1) de la Loi.

B. Les positions des parties

[6] Le CN soutient que le Tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai de dépôt d’une demande écrite de révision en tenant compte de toutes les circonstances. Le CN demande au Tribunal d’accorder une prorogation du délai, le portant à dix (10) jours suivant la délivrance de la présente décision.

[7] Le CN souligne que le paragraphe 40.16(1) de la Loi ne prévoit pas de critères relativement à l’examen par le Tribunal d’une demande de prorogation de délai. Il soutient qu’en l’absence de critères précis, le Tribunal peut s’en tenir au critère en quatre parties adopté par la Cour fédérale pour la guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales exige qu’un demandeur présente une demande de contrôle judiciaire dans les trente jours qui suivent la date de la première communication de la décision ou de l’ordonnance à la partie concernée « ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder ». Récemment, dans l’arrêt Cyr c. Première Nation Batchewana, 2020 CF 1001, la Cour fédérale a décrit en quelques paragraphes le critère en quatre parties élaboré par la Cour d’appel fédérale, ainsi que son application :

[41] Les prorogations au titre du paragraphe 18.1(2) sont discrétionnaires; la Cour les accorde lorsqu’elles sont dans l’intérêt de la justice. Une fois une demande de contrôle judiciaire présentée, par un ou plusieurs demandeurs, quatre questions guident l’enquête de la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire :

1) Le demandeur a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

2) La demande a‑t‑elle un certain fondement?

3) Le défendeur subit‑il un préjudice en raison du retard?

4) Le demandeur a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

Se reporter aux arrêts Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 au para 5; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 42; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 61.

[42] L’importance de chacun de ces quatre facteurs dépend des circonstances propres à chaque affaire. De plus, il n’est pas nécessaire que chacun de ces quatre facteurs soit en faveur du demandeur. Le poids élevé d’un facteur peut compenser la moindre importance d’un autre. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation serait dans l’intérêt de la justice : Larkman, au para 63; Thompson, au para 9.

[8] Le CN fait valoir que l’examen des quatre facteurs énoncés par la Cour fédérale favorise l’acceptation de sa demande de prorogation de délai dans les circonstances du procès-verbal en cause dans la présente affaire.

[9] En ce qui concerne le facteur d’une intention constante de poursuivre sa demande, le CN indique que les questions soulevées dans le procès-verbal ont fait l’objet de discussions continues entre le CN et Transports Canada à compter de mai 2020. Le CN affirme que tout au long de ces discussions, il a démontré de façon non équivoque qu’il était en désaccord avec l’interprétation et l’application par Transports Canada de la réglementation relative à la sécurité ferroviaire en ce qui a trait à sa décision de retirer la gare de triage Garneau de la liste des lieux désignés pour les vérifications de sécurité. Le CN soutient avoir toujours eu l’intention de contester les allégations de violations réglementaires faites par Transports Canada.

[10] Le CN prétend en outre que sa demande est justifiée du fait qu’il existe un véritable différend entre lui et Transports Canada quant à l’interprétation et à l’application de la réglementation. Le CN affirme que la sécurité est pour lui une valeur fondamentale, et qu’il croit s’être conformé à toute la réglementation relative à la sécurité. Le CN affirme qu’il n’y a aucune preuve que le ministre subirait un préjudice si une prorogation était accordée. Le CN indique que le ministre serait en mesure de présenter ses éléments de preuve et faire entendre ses témoins même si la demande de révision était retardée.

[11] Enfin, le CN offre une explication sur son retard, laquelle il qualifie lui-même de raisonnable. Le CN reconnaît que le procès-verbal a été valablement signifié le 25 mars 2021. Il explique que la situation actuelle liée à la pandémie de la COVID-19 a compliqué l’échange d’informations au sein de ses services juridiques et a fait augmenter la charge de travail. De plus, le CN affirme qu’il y a eu une diminution du nombre d’avocats dans le département qui traite les procès-verbaux. Le CN explique que c’est un technicien juridique qui a reçu le procès-verbal, puis qu’il l’a ensuite transmis à deux avocats. Commettant une erreur de bonne foi, chaque avocat a cru que l’autre se chargeait de répondre au procès-verbal, si bien qu’aucun des deux n’a pris les mesures nécessaires pour ce faire avant le 1er juin 2021. Le CN accepte la responsabilité de son erreur et de son omission, soutenant qu’il s’agissait d’une omission involontaire causée par la pandémie et la réduction de son personnel juridique. En raison de toutes ces circonstances et compte tenu des facteurs énoncés par la Cour fédérale, le CN soutient que le Tribunal devrait faire droit à sa demande de prorogation de délai.

[12] Le ministre convient que le critère juridique applicable est le critère en quatre parties comme le soutient le CN, mais il s’oppose à la demande de prorogation au motif que la compagnie n’a pas fourni d’explication raisonnable pour justifier son retard. Il fait valoir que, lorsqu’une partie demande à un tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger un délai, cette partie doit démontrer qu’il existe des raisons légitimes et sérieuses pour lesquelles elle n’a pas respecté le délai, et qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable dans les circonstances. Le ministre soutient que le CN n’a pas satisfait aux critères fondamentaux justifiant une prorogation, en ce qu’il n’a pas fourni d’explication raisonnable du retard dans le dépôt de la requête en révision.

[13] Le ministre avance que l’explication du CN pour le retard n’est pas plausible, car la compagnie avait antérieurement soumis des demandes de révision en temps opportun relativement à quatre procès-verbaux, lesquels avaient tous été signifiés après la déclaration de la pandémie en mars 2020. Par ailleurs, le ministre fait valoir qu’il serait lésé par une prorogation du délai puisqu’il devrait pouvoir s’appuyer sur le caractère définitif de la décision contenue au procès-verbal une fois le délai légal écoulé. Pour ces motifs, le ministre soutient qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de permettre au CN de déposer une demande de révision tardive, et requiert que le Tribunal rejette la demande du CN.

C. Le Tribunal devrait-il accueillir la demande de prorogation du CN?

[14] Le Tribunal a élaboré une Politique relative aux demandes tardives disponible publiquement sur son site Web qui décrit l’approche adoptée par le Tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’autoriser une prorogation de délai dans le cas d’une demande tardive. La politique dispose qu’une demande en retard de cinq jours ou plus ne sera pas acceptée, à moins qu’il y ait des circonstances atténuantes justifiant le défaut du demandeur de demander une révision à l’intérieur du délai prévu par la loi.

[15] Le Tribunal considère que le CN a présenté des motifs atténuants en expliquant pourquoi il avait tardé à demander la révision du procès-verbal. Le CN n’a pas déposé sa demande en temps opportun en raison d’une omission involontaire liée aux restrictions en matière de santé publique adoptées en raison de la pandémie de la COVID-19. Bien que le ministre soutienne que l’explication du CN ne soit pas raisonnable, le Tribunal conclut, après avoir examiné et soupesé tous les facteurs pertinents, qu’il existe des motifs convaincants d’accéder à la demande de prorogation du CN.

[16] Le Tribunal accepte l’explication du CN voulant que les restrictions en matière de santé publique liées à la COVID-19 aient affecté le fonctionnement de ses services juridiques. Le Tribunal reconnaît que les activités normales du bureau ne se déroulent peut-être pas comme elles le faisaient avant la pandémie. Le Tribunal juge que l’incidence des restrictions en matière de santé publique et le changement dans les habitudes de travail constituent des circonstances atténuantes qui expliquent et justifient le retard du CN à présenter une demande de révision. En outre, le Tribunal constate que le CN a diligemment présenté sa demande de révision après avoir reconnu qu’il n’avait pas respecté la date limite du 26 avril 2021, et qu’il a assumé la responsabilité de son erreur de ne pas avoir géré ses communications internes de façon plus appropriée.

[17] Le ministre conteste la crédibilité de l’explication du CN pour son retard au motif que la compagnie a présenté des demandes en temps opportun en réponse à quatre autres procès-verbaux. Le Tribunal note toutefois que dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Ministre des Transports), 2020 TATCF 19 (décision), le ministre ne s’est pas opposé à la demande de révision tardive du CN en novembre 2020. Le Tribunal a décidé d’accéder à la demande du CN qui avait dépassé de neuf jours le délai prévu par la loi en raison d’une omission involontaire du personnel juridique de la compagnie. Bien que les décisions du Tribunal ne soient pas contraignantes, le fait que le Tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai dans des circonstances similaires à la demande en l’espèce est probant. Dans les circonstances de cette demande, le Tribunal estime que le CN a établi des circonstances atténuantes liées au fonctionnement de ses services juridiques en raison de la pandémie, et qu’il a exposé des motifs légitimes pour expliquer son retard.

[18] En outre, le Tribunal considère en l’espèce les questions en litige comme étant des facteurs déterminants en faveur de la demande de prorogation du CN. Les documents déposés en preuve par le CN démontrent que la compagnie et Transports Canada ont entamé une série de discussions au sujet de leur désaccord relatif à l’interprétation de la réglementation sur la sécurité ferroviaire dans le contexte du retrait de la gare de triage Garneau de la liste des lieux désignés pour les vérifications de sécurité. Le procès-verbal soulève des questions sérieuses et litigieuses entre les parties, un fait qui est aggravé par l’ampleur des sanctions administratives pécuniaires qu’il contient.

[19] Après avoir examiné toutes les circonstances de l’affaire, le Tribunal conclut qu’il existe des circonstances atténuantes justifiant la demande tardive, et il accorde au CN une prorogation du délai de présentation de sa demande de révision en vertu de l’article 46.01 de la Loi.

III. DÉCISION

[20] Le Tribunal accueille la demande de la requérante de proroger le délai de présentation de sa requête en révision, en vertu du paragraphe 40.16(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire. La requérante peut déposer une demande écrite de révision du procès-verbal 4004-16-9-106849 auprès du Tribunal au plus tard le 8 octobre 2021.

Le 28 septembre 2021

(Original signé)

Jennifer Webster

Conseillère

Comparutions

Pour le ministre :

Éric Villemure

Pour le requérant :

Eric Harvey

 

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