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Référence : Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Ministre des Transports), 2021 TATCF 33 (révision)

No de dossier du TATC : RO-0030-41

Secteur : Ferroviaire

ENTRE :

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, requérante

- et -

Canada (Ministre des Transports), intimé

[Traduction française officielle]

Audience :

Par vidéoconférence les 11, 12 et 13 mai 2021

Affaire entendue par :

George « Ron » Ashley, conseiller

Décision rendue le :

15 novembre 2021

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D’UNE RÉVISION

Arrêt : Le procès-verbal en date du 11 avril 2018, tel que modifié, délivré à la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, lequel faisait état d’une violation présumée de l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire découlant du non-respect de la règle 439 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, et incluait une sanction pécuniaire de 64 600 $, est annulé.


I. HISTORIQUE

[1] Dans un procès-verbal modifié en date du 11 avril 2018, [1] Transports Canada (TC) a imposé une sanction pécuniaire de 64 600 $ à la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP). Cette mesure a été prise en vertu du paragraphe 2(1) [2] du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire, et des procédures prévues aux articles 40.14 à 40.22 de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF). L’annexe A du procès-verbal indiquait que :

Le ou vers le 14 juin 2017 à Romford (Ontario) ou dans les environs, dans la subdivision Cartier, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique aurait prétendument exploité du matériel ferroviaire autrement que conformément à la règle 439 du Règlement d’exploitation [ferroviaire] du Canada qui s’applique à la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, lorsque ses employés ont omis d’arrêter un mouvement à un signal d’ARRÊT ABSOLU, contrevenant ainsi l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire.

[2] L’avis était accompagné d’une chronologie de violations antérieures, datées des 15 et 24 octobre 2016, du 21 août 2016, du 21 janvier 2017 et du 14 juin 2017.

[3] Le 14 mai 2018, le CP a demandé une révision du procès-verbal auprès du Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal), conformément au paragraphe 40.16(1) de la LSF.

II. QUESTIONS EN LITIGE

[4] Le Tribunal examinera les questions suivantes :

  1. Si les faits démontrent qu’on a contrevenu à la règle 439 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC);
  2. Dans l’affirmative, si le CP n’est néanmoins pas responsable, car il a fait preuve de diligence raisonnable en faisant tout ce qui était raisonnablement possible pour éviter la commission de la contravention.

III. ANALYSE

A. Cadre juridique

[5] L’article 17.2 de la LSF dispose que :

17.2 Il est interdit à toute compagnie de chemin de fer d’exploiter ou d’entretenir un chemin de fer, notamment les installations et le matériel ferroviaires, et à toute compagnie de chemin de fer locale d’exploiter du matériel ferroviaire sur un chemin de fer, en contravention avec un certificat d’exploitation de chemin de fer, les règlements et les règles établies sous le régime des articles 19 ou 20 qui lui sont applicables, sauf si elle bénéficie de l’exemption prévue aux articles 22 ou 22.1.

[6] L’article 6 de l’annexe 1 de la partie 1 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire indique que l’article 17.2 est un texte désigné, dont la violation est assujettie aux articles 40.13 à 40.22 de la LSF. Aux termes de l’annexe 1, l’amende maximale pour une compagnie qui contrevient à l’article 17.2 de la LSF est de 250 000 $. Le tout est conforme à l’article 40.1 de la LSF, lequel traite également des sanctions.

[7] Le procès-verbal cite la règle 439 du REFC. Cette règle dispose que :

Arrêt absolu – S’arrêter.

OPTIONNEL : À moins qu'il ne soit nécessaire de libérer un aiguillage, un passage à niveau, un emplacement contrôlé ou pour placer du matériel voyageurs devant un quai de gare un mouvement qui n’est pas autorisé en vertu de la règle 564, doit s'arrêter à au moins 300 pieds d'un signal d'ARRÊT ABSOLU.

[...]

564. AUTORISATION DE FRANCHIR UN SIGNAL D’ARRÊT ABSOLU

a) Un train ou un transfert doit avoir l'autorisation nécessaire pour franchir un signal de canton donnant l'indication Arrêt absolu.

[...]

B. Charge de la preuve

[8] En vertu du paragraphe 40.16(4) de la LSF, il incombe au ministre des Transports (ministre) de prouver les allégations. La charge de la preuve repose sur la prépondérance des probabilités, aux termes du paragraphe 15(5) de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada.

C. Les faits

[9] Le témoin de TC, l’inspecteur de la sécurité ferroviaire Peter Hopper, a déclaré que le 14 juin 2017, dans les environs de Sudbury (Ontario), dans la subdivision Cartier du CP, le train GPS-14 du CP se dirigeait vers l’est sur la voie du CP après avoir quitté la gare de triage locale. À environ quatre milles de Sudbury et alors qu’il roulait à approximativement 30 mi/h, le train a franchi un signal avancé « De vitesse normale à arrêt » à la hauteur de l’avenue Moonlight (signal 744-1). Ce signal faisait partie d’une série de signaux progressifs et visait à alerter l’équipe de deux personnes d’un signal d’arrêt imminent situé à environ deux milles plus à l’est (signal 724-1).

[10] Se référant aux entrevues qu’il avait effectuées les 27 juillet et 1er septembre 2017, à la suite de l’incident (pièces M-4 et M-5), M. Hopper a indiqué que le mécanicien et le chef de train présents dans la cabine, soit respectivement MM. Barry Brunette et Jim Rotar, connaissaient le territoire d’affectation, et qu’ils avaient tous deux admis à cette occasion avoir vu le signal « De vitesse normale à arrêt ». En le voyant, ils se sont mutuellement communiqué le signal oralement dans la cabine (le chef l’a dit au mécanicien et celui-ci a répondu), puis le chef l’a signalé par radio au centre de contrôle de la circulation ferroviaire (CCF) du CP ainsi que sur les lignes de communication générales du CP, une fréquence à grand angle servant au personnel du CP de la région.

[11] Ces détails ont été confirmés lors d’entrevues avec les membres de l’équipe à la suite d’une enquête interne du CP effectuée le 22 juin 2017 [3] (pièces A-1 et A-2).

[12] M. Hopper a déclaré que même si l’équipe était au courant de l’existence du signal de vitesse normale à arrêt, le train n’a pas ralenti en prévision de l’arrêt à venir.

[13] Au contraire, il a accéléré, passant d’environ 30 mi/h au signal de vitesse normale à arrêt, à 35,6 mi/h immédiatement avant que les freins d’urgence ne soient serrés et que le train franchisse le signal d’arrêt. Un témoin du CP, M. Jason Wilkerson, qui était à l’époque directeur général, Région de l’Est du CP, a pour sa part déclaré que cela était contraire aux exigences opérationnelles internes de la compagnie, lesquelles prévoyaient un ralentissement immédiat à 30 mi/h.

[14] Finalement, c’est environ 1 000 pieds avant de l’atteindre que M. Rotar a aperçu le signal d’arrêt. Il a alors alerté le mécanicien, M. Brunette, qui a immédiatement mis le train en situation d’arrêt d’urgence. Celui-ci s’est immobilisé à environ cinq longueurs de wagon au-delà du signal d’arrêt. Les notes d’entrevue interne du CP indiquaient que le train s’était arrêté sept ou huit longueurs de wagon après l’arrêt, alors que M. Wilkerson a déclaré que 10 wagons et deux locomotives avaient franchi le signal d’arrêt.

[15] Les notes prises par M. Hopper lors des entrevues avec les membres de l’équipe, ainsi que celles recueillies à l’interne par le CP, montrent que l’équipe de train a confirmé avoir manqué l’arrêt parce qu’elle était distraite par d’autres choses. Il y avait quelques erreurs d’écriture dans la composition du train au départ de Sudbury, lesquelles ont dû être corrigées par l’équipage qui a complété le tout après la séance d’information dans la cour du CP. Il y a également eu un changement dans les plans d’exploitation de ce même train.

[16] Les notes d’entrevue montrent également qu’il s’agissait d’un train de ballast non rémunérateur. À ce titre, il était trop lourd pour circuler vers l’est sur la voie contiguë de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) (circulation en direction est), de sorte qu’on a modifié le plan d’exploitation pour permettre au train de circuler à contresens sur la voie du CP. Ce changement a obligé l’équipe à entreprendre un certain nombre de tâches, y compris le fait de communiquer avec le CCF du CN pour l’informer qu’il ne transiterait plus par la voie du CN, ainsi que d’aviser le CCF du CP et lui demander l’autorisation de circuler à contresens sur la voie contiguë du CP dans la subdivision de Parry Sound. Le changement devait également être documenté, ce qui nécessitait de remplir de la paperasse.

[17] M. Hopper a précisé qu’aucun accident n’était survenu à la suite de ces événements. Un passage à niveau local (rue Chisholm) a été bloqué pendant environ une heure, alors que l’équipe du train tentait d’obtenir les autorisations nécessaires pour poursuivre sa route.

[18] Les deux membres de l’équipe étaient bien reposés. M. Wilkerson a par ailleurs déclaré que leur champ de vision n’avait pas été altéré par des conditions météorologiques particulières ou le tracé de la voie, et qu’il n’y avait aucune preuve de conditions atmosphériques ou d’autres circonstances qui auraient pu nuire à la vision ou à l'attention des employés. Aucune preuve non plus de défaillance ou de dysfonctionnement de l’équipement.

[19] L’inspecteur Hopper a affirmé que l’équipe avait manqué le signal d’arrêt parce qu’elle était préoccupée par les exigences du chemin de fer relatives aux changements effectués à l’autorisation de circuler. Cela comprenait le remplissage du formulaire 125 et les tâches de communication radio, entrepris au moment où le train franchissait le signal de vitesse normale à arrêt. Aux dires de M. Hopper, c’est ce qui a distrait l’équipe de l’impératif de se préparer à arrêter le train au besoin.

[20] Sans préciser la nature de la distraction. M. Wilkerson a admis que l’équipe était distraite à ce moment-là, car les tâches qu’elle avait à effectuer n’étaient pas inhabituelles en termes d’exigences opérationnelles. L’équipe de train, a-t-il déclaré, pensait simplement à « d’autres choses » et ne prêtait pas attention à la tâche prioritaire qui consistait à de se préparer à s’arrêter, et, ultimement, de s’arrêter avant le signal d’arrêt. Il a déclaré qu’il n’y avait pas d’instruction ou d’impératif de la compagnie voulant que des documents soient remplis au départ d’un train, et certainement pas au moment de s’approcher d’un signal d’arrêt. Il a précisé qu’il s’agissait « essentiellement d’un formulaire » qui devait être rempli « pendant leur voyage ... et avant leur destination finale ».

D. Violation de la règle 439

[21] Le témoignage de M. Hopper a établi, et le représentant du CP a admis, que le 14 juin 2017, dans les environs de Sudbury, en Ontario, dans la subdivision Cartier du CP, le train de ballast GPS-14 de la compagnie circulait en direction est sur la voie du CP après avoir quitté la gare de triage locale. À environ quatre milles de Sudbury et alors qu’il roulait à environ 30 mi/h, le train a franchi un signal avancé « De vitesse normale à arrêt » à la hauteur de l’avenue Moonlight (signal 744-1). Ce signal faisait partie d’une série de signaux progressifs et visait à alerter l’équipe de deux personnes d’un signal d’arrêt imminent situé à environ deux milles plus à l’est (signal 724-1).

[22] L’équipe a toutefois omis de ralentir le train en prévision de l’arrêt. Environ 1 000 pieds avant le signal d’arrêt, elle a amorcé un freinage d’urgence et le train a roulé au-delà du point d’arrêt de plus de cinq longueurs de wagon. Une voie publique adjacente a été bloquée pendant environ une heure avant que le train ne poursuive sa route.

[23] La règle 439 du REFC exige que le train s’arrête à au moins 300 pieds d’un signal d’arrêt. Rien dans la preuve n’indiquait que le mouvement était autorisé en vertu de la règle 564 ou qu’il était nécessaire de libérer un aiguillage, un passage à niveau, un emplacement contrôlé ou de placer du matériel voyageurs devant un quai de gare. Il s’agissait bien d’une violation de la règle 439 et, par conséquent, d’une contravention à l’article 17.2 de la LSF.

E. Diligence raisonnable

[24] Autant TC que le CP ont reconnu qu’une violation de l’article 17.2 de la LSF, découlant du non-respect de la règle 439, est une infraction de responsabilité stricte en vertu de laquelle, une fois que la violation est établie prima facie, le CP peut faire valoir une défense de diligence raisonnable. À cet égard, le représentant de la compagnie a reconnu qu’il incombait au CP de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la compagnie a pris toutes les mesures raisonnables afin d’éviter que l’infraction ne soit commise : i) en veillant à ce qu’un système d’opération ferroviaire sûr soit en place et ii) en assurant son fonctionnement efficace.

[25] Cette approche est conforme au raisonnement énoncé dans R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 :

Lorsqu’un employeur est poursuivi pour un acte commis par un employé dans le cours de son travail, il faut déterminer si l’acte incriminé a été accompli sans l’autorisation ni l’approbation de l’accusé, ce qui exclut toute participation intentionnelle de ce dernier, et si l’accusé a fait preuve de diligence raisonnable, savoir s’il a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives. Une compagnie pourra invoquer ce moyen en défense si cette diligence raisonnable a été exercée par ceux qui en sont l’âme dirigeante...

[26] La même approche a été adoptée dans de récentes décisions en matière ferroviaire citées par la représentante du ministre. [4]

[27] Je conviens qu’il s’agit en l’espèce d’une infraction de responsabilité stricte. Une fois que les faits établis démontrent prima facie l’existence d’une infraction, il incombe au CP de prouver qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher que ces deux membres d’équipe ratent le signal d’arrêt 724-1 à Romford, le 14 juin 2017.

[28] J’estime que les changements apportés au groupe de traction et aux opérations avec lesquels cette équipe d’exploitation a dû composer dès son départ de Sudbury ce jour-là font partie des opérations ferroviaires normales. Le changement de locomotive ainsi que le fait de devoir circuler à contresens sur la voie directionnelle constituent de tels changements. De plus, aucune preuve ne démontre que la direction du CP ait ordonné ou se soit attendu à ce que cette équipe rédige les documents requis à ce moment-là. J’accepte la preuve présentée par M. Keith Shearer, vice-président adjoint, Sécurité et durabilité du CP, selon laquelle l’équipe devait remplir les documents avant la fin de l’affectation.

[29] Agissant alors de son propre chef, l’équipe a décidé de s’occuper de la paperasse découlant de ces changements, à ce qui s’est avéré être un moment critique. Bien que le mécanicien et le chef de train aient été attentifs au signal de vitesse normale à arrêt et qu’ils en aient communiqué correctement le fait entre eux ainsi qu’au CCF, ils ont tout simplement perdu conscience du temps et de l’espace à partir de ce moment-là.

[30] L’équipe était distraite au moment des faits en cause. La question est maintenant de savoir si le CP, en tant que compagnie de chemin de fer, dispose ou non d’une défense de diligence raisonnable viable en ce qui concerne l’omission de cette équipe d’agir ou, comme l’ont qualifié les témoins du CP, la « négligence » des membres de l’équipe qui n’ont pas réussi à arrêter correctement le train.

(1) Diligence raisonnable – nature de la preuve

[31] Il y a un certain nombre de remarques préliminaires à faire au sujet de cette défense en l’espèce. Premièrement, le fait qu’il y ait eu violation de la règle 439 ne signifie pas que le CP n’avait pas de mesures raisonnables en place. Deuxièmement, la conduite du CP après l’événement, laquelle représentait une réaction à l’infraction commise (par exemple, la suspension des membres de l’équipe et leur formation d’appoint à leur retour au travail) ne permet pas de conclure que le système du CP était déficient et déraisonnable.

[32] Il doit également y avoir des éléments de preuve très détaillés en matière de sécurité, au-delà des affirmations générales des dirigeants de la compagnie de chemin de fer démontrant que les systèmes en place sont raisonnables. Sur ce point, les dirigeants du CP ont déclaré que le dossier de la compagnie en matière de conformité aux signaux était de 99,99 %, et ce malgré d’autres contraventions récentes à la règle 439. Bien que ce genre de preuve générale puisse faire partie d’une défense de diligence raisonnable, il ne suffit pas, à lui seul, pour démontrer si oui ou non des programmes raisonnables étaient en place afin d’éviter la commission d’une contravention particulière.

(2) Globalité du système de gestion de la sécurité du CP

[33] Les éléments de preuve tant orale que documentaire présentés, relatifs au système global de gestion de la sécurité (SGS) du CP, montrent qu’il tient compte des exigences du REFC. En l’espèce, le CP a fait entendre quatre témoins sur des questions touchant le SGS de la compagnie.

[34] M. Shearer a décrit le SGS du CP dans son ensemble. Il a avancé que le CP était un « chef de file de l’industrie » compte tenu des antécédents de la compagnie en matière de prévention des accidents. Selon ses dires, il s’agit d’un système qui comprend 12 éléments incluant la responsabilisation, la conformité aux règles de sécurité, l’identification et l’évaluation des risques, la gestion de la connaissance, l’affectation des équipes et l’amélioration continue. Il a déclaré que dans le cadre de ces paramètres, la formation, le perfectionnement professionnel, les moyens de contrôle et la surveillance des équipes d’exploitation, en particulier, étaient continus et essentiels.

[35] M. David Phillips, instructeur au département de la formation technique du CP, a offert des preuves plus détaillées sur les normes de formation, de qualification et de requalification mises en oeuvre par la compagnie. Il a déclaré que celles-ci étaient rigoureuses, exigeantes et systématiques. Dans le cas de MM. Rotar et Brunette, respectivement chef de train et mécanicien, le témoin a fait valoir que leurs dossiers de formation (pièces A-5 et A-6) démontraient le respect de ces normes.

[36] M. David Guerin, qui était à l’époque directeur des relations de travail au CP, a témoigné de l’évolution des politiques et du processus disciplinaire touchant les équipes d’exploitation du CP. Il a indiqué que ceux-ci avaient changé en mars 2017, alors que la compagnie a abandonné un système de suspension par points d’inaptitude pour en adopter un plus flexible. La nouvelle approche, selon lui, est plus efficace pour assurer la dissuasion, la responsabilisation et la « diligence raisonnable ». Mon examen de cette nouvelle politique (pièce A-9) et de son application à MM. Brunette et Rotar en l’espèce, tel que plus amplement exposé ci-dessous, m’indique que le nouveau système adopte une approche de cause à effet calibrée et immédiate.

[37] M. Wilkerson a témoigné au sujet des systèmes de formation, de discipline et de surveillance en place au CP et applicables à ces deux employés. Selon son témoignage, les systèmes du CP sont axés sur l’apprentissage, la rétention, les conséquences et l’évitement des risques.

[38] Me fondant sur la preuve présentée par ces témoins du CP, je conclus que le SGS global du CP est complet. Mais la diligence raisonnable exige une preuve directe, claire et précise démontrant que le CP a agi raisonnablement pour empêcher la commission de la contravention en cause – soit la prétendue violation de la règle 439.

(3) Formation

[39] La formation en matière d’exploitation et de sécurité est un aspect essentiel de la diligence raisonnable. Cette formation doit être adéquate, continue et spécifique. Je considère que c’est le cas en l’espèce. Les dossiers du chef de train et du mécanicien démontrent qu’ils ont suivi une formation sur le REFC tout au long de leur emploi au CP. Ils ont reçu une formation initiale au moment de leur embauche, des cours d’orientation, puis une formation de requalification ou des cours de recyclage. Le mécanicien a complété sa formation de requalification et les tests connexes en mars 2015, et le chef de train a fait de même en avril 2016. Un des témoins du CP, M. Phillips, a déclaré que la formation pour la requalification d’employés comme MM. Brunette et Rotar a lieu à peu près tous les 2,5 ans. Ces chiffres concordent avec les données de formation à l’égard de ces deux employés qui ont été déposées en preuve. Bien que le contenu lui-même des modules de formation et de recyclage n’ait pas été soumis en preuve, les notes figurant dans les pièces A-5 et A-6 illustrent l’étendue des questions abordées en formation, et font spécifiquement référence à la conformité des signaux.

[40] Il s’agissait d’un événement propre à l’équipe. Ces membres avaient été formés pour ne pas rater les signaux d’arrêt, que ce soit directement, par l’apprentissage et la compréhension des règles, ou indirectement dans l’exercice de leurs fonctions et de leur jugement. Le dossier de formation de M. Brunette montre qu’il a suivi des cours de compréhension et d’apprentissage des règles en 2001, 2007, 2010, 2012 et 2015. Dans le cas de M. Rotar, son dossier indique qu’il a reçu les mêmes formations en 2007, 2010, 2012, 2014 et 2016.

(4) Contrôle de la sécurité

[41] À mon avis, la diligence raisonnable requiert en outre que les superviseurs ferroviaires soumettent les équipes d’exploitation à des contrôles continus sur le terrain, ce qui peut inclure des preuves de surveillance secrète du respect des règles de sécurité. J’accepte la preuve des résultats des tests (pièces A-7 et A-8) qui montre que les deux membres de l’équipe étaient assujettis au programme continu de « tests d’efficacité » (« tests-e ») du CP, dans le cadre duquel ils étaient couramment surveillés par les superviseurs. M. Shearer a déclaré que le programme était mis en œuvre « de façon régulière » pour tous les employés de l’exploitation, et qu’il était « systématique ». Ces contrôles comprenaient des trajets inopinés en cabine avec des superviseurs (« accompagnateurs ») ainsi qu’une surveillance secrète par messages radio et des observations sur le terrain, y compris des contrôles de vitesse par radar à la hauteur des signaux. Bien qu’il n’y ait pas de référence précise à la règle 439 dans les dossiers des employés en cause, j’accepte la déclaration de M. Shearer selon laquelle toutes les règles (testées) ne peuvent pas être énumérées et que la conformité aux règles d’utilisation des signaux et à celles relatives aux arrêts serait couverte dans les observations.

[42] Le témoin du CP, M. Phillips, a par ailleurs confirmé que les contrôles comprenaient, entre autres, la vérification de la conformité aux règles et aux procédures dans des conditions d’exploitation normales, ainsi que dans des conditions de configuration de signaux artificielles ou « inattendues ». Je conviens que cela inclurait le respect de la règle 439.

[43] Les dossiers de contrôle déposés en preuve par le CP (pièce A-12) montrent que ce type de contrôle était largement appliqué aux employés de l’exploitation des subdivisions Cartier et Parry Sound afin de vérifier une foule de fonctions liées à l’exploitation. Le tout concorde avec la déclaration de M. Shearer voulant que plus de 500 000 tests-e soient effectués chaque année dans l’ensemble du réseau du CP.

[44] En ce qui concerne la question clé de la « concentration » ou de la « conscience de la situation » de l’équipe, M. Wilkerson, un témoin du CP, a confirmé que la surveillance des communications de l’équipe était un élément des contrôles. Il a témoigné que les équipes étaient surveillées pour s’assurer de leur vigilance à l’égard de leur tâche de donner un préavis au répartiteur central (CCF) à l’approche de signaux, et s’assurer que le mécanicien et le chef de train s’échangent l’information dans la cabine. En d’autres termes, en plus de se conformer aux signaux d’exploitation, les équipes doivent démontrer qu’elles sont, et étaient en l’espèce, alertes en vue des tâches à venir. Je considère que ce témoignage constitue une preuve crédible de diligence raisonnable.

[45] La représentante du ministre a souligné que même si le CP avait mis en place un solide programme de SGS, celui-ci demeurait déficient en raison de lacunes en matière de protection. Elle a plus précisément soutenu que le CP n’avait pas donné de formation spécifique sur la « conscience de la situation ». À mon avis, une telle lacune n’existe pas en l’espèce.

[46] La conscience de la situation, la « concentration » ou la « priorité des tâches » font partie intégrante des systèmes de sécurité que le CP avait mis en place. J’accepte les témoignages de MM. Phillips, Shearer et Wilkerson voulant que la formation sur le respect des règles comprenne la reconnaissance des panneaux indicateurs et des signaux d’exploitation, la compréhension de ce que ces signaux exigent et le jugement nécessaire pour y réagir de manière appropriée. Cela inclut particulièrement les exigences de communication de l’équipe relatives à l’approche des signaux, incluant le fait de communiquer entre membres d’équipe ainsi qu’avec le répartiteur - le tout afin de démontrer de la vigilance et la volonté de se conformer aux règles.

[47] Bien qu’aucun module de formation intitulé « conscience de la situation » n’ait été déposé en preuve, il est évident que le programme de tests-e du CP s’adressant aux équipes d’exploitation couvre la connaissance des règles, l’attention, la réaction et les conséquences. Cela répond aux faits que les équipes doivent rester vigilantes afin de se conformer adéquatement aux règles d’exploitation. En ce qui concerne les deux membres d’équipe en cause dans cette affaire, M. Brunette a effectué huit tests de conformité et de conscience de la situation entre décembre 2016 et avril 2017, tandis que M. Rotar a subi les mêmes tests à 16 reprises au cours des cinq premiers mois de 2017. On ne note aucun cas d’omission de s’arrêter.

[48] J’estime qu’une surveillance secrète continue et effectuée par des superviseurs qui la documente, comme en l’espèce, est primordiale au succès d’une défense de diligence raisonnable dans un cas de non-conformité au REFC. Si les membres d’une équipe savent qu’ils risquent d’être surveillés à tout moment, ils sont plus enclins à rester en tout temps extrêmement vigilants quant au respect des règles d’exploitation. Cela est particulièrement vrai lorsque des conséquences disciplinaires découlent d’une non-conformité.

(5) Employés et mesures disciplinaires

[49] Un système disciplinaire efficace et efficient en cas d’inconduite des employés est un élément essentiel du SGS d’une compagnie de chemin de fer, et de sa diligence raisonnable. Le système devrait démontrer que les conséquences des infractions aux règles sont mesurées en fonction du type de l’inconduite, de sa fréquence et de sa gravité. On a dit du témoignage de M. Guérin qu’il représentait la politique disciplinaire du CP qui s’appliquait aux équipes d’exploitation. Il a déclaré qu’il s’agissait d’un nouveau système, en vigueur depuis mars 2017, et qu’il remplaçait le système de points d’inaptitude préexistant. Il a ajouté qu’il avait été conçu, en partie, pour faire face au genre d’événements liés la règle 439 que les équipes du CP avaient vécus ailleurs en Ontario en 2016, et qui étaient énumérés dans le procès-verbal en cause dans cette affaire.

[50] M. Guérin a déclaré que le système précédent en était un qui permettait que des contraventions au règlement soient passées sous silence si un employé n’avait pas atteint la limite de points d’inaptitudes établie. Le nouveau système permet l’imposition de mesures disciplinaires plus sérieuses et immédiates, comme des suspensions en l’espèce par exemple, lorsque les infractions sont graves. Une politique disciplinaire efficace dont l’application est intègre doit encourager un bon comportement opérationnel des employés et la diligence raisonnable de la compagnie. Dans l’affaire qui nous occupe, les dossiers disciplinaires (pièces A-3 et A-4) du mécanicien et du chef de train leur ont tous deux valu des suspensions en vertu du nouveau système.

[51] Je reconnais que cette preuve démontre que le CP avait une politique disciplinaire efficace et qu’il a fait preuve de diligence raisonnable dans son application. En l’espèce, la politique a été appliquée immédiatement, et était conforme aux règles énoncées. Soulignons qu’il s’agit d’une nouvelle politique, mise en œuvre dans le cadre d'une réponse efficace et diligente aux violations antérieures de la règle 439. Contrairement à ce que prévoyait la politique précédente, les sanctions découlant d’infractions graves commises par des employés sont dorénavant immédiates et sévères. Le nouveau système est plus susceptible d’assurer un comportement sûr des employés et la conformité aux règles d’exploitation. Sous le régime de l’ancienne politique, il aurait été possible qu’il n’y ait pas de sanctions du tout, en fonction des points d’inaptitude accumulés par le contrevenant.

(6) Formation sur simulateur

[52] Selon le CP, la formation sur simulateur en cabine faisait partie intégrante de la formation des équipes de train comme moyen d’assurer le respect continu des règles. La représentante du ministre a fait valoir qu’en ce qui concerne les simulateurs, rien ne démontrait qu’ils aient servi spécifiquement à former des équipes ayant manqué d’attention au travail, ou à accroître leur « conscience de la situation ». La représentante a soutenu que les meilleurs éléments de preuve à ce sujet, lesquels étaient absents, auraient pu être la preuve d’une formation sur les facteurs humains, le matériel servant aux tests, des vidéos, des dossiers de présentation ou des résultats d’examens.

[53] Le témoin du CP, M. Phillips, a déclaré que la formation sur simulateur avait évolué au point où elle pouvait maintenant offrir des graphiques et des applications propres à chaque subdivision, et qu’elle s’avérait être un ajout précieux au développement et au maintien de la conscience de la situation des équipes de train. Réagissant aux arguments du ministre, le CP n’a pas fourni beaucoup plus de détails. Je ne tire cependant pas de conclusion négative de ce fait. Bien que les simulations en cabine puissent constituer un élément important de la formation et du respect des règles en matière de diligence raisonnable, j’accorde plus de poids aux contrôles continus sur le terrain, en particulier la surveillance secrète et l’imposition de mesures disciplinaires.

(7) Perte de concentration en raison de la connaissance du territoire

[54] En terminant sa plaidoirie, la représentante du ministre a laissé entendre que les deux employés connaissaient très bien les opérations du CP à partir de Sudbury, et que cette familiarité les avait conduits à adopter une approche désinvolte dans l’exécution leurs fonctions opérationnelles. Il est exact de dire que tous deux connaissaient très bien le territoire. Le mécanicien travaillait régulièrement dans la subdivision Cartier du CP depuis au moins 18 ans et le chef de train depuis 10 ans. La preuve ne démontre toutefois pas qu’ils ont exercé leurs fonctions avec négligence ou « laxisme » dans le passé. Leurs dossiers disciplinaires ne révèlent pas de lacune chronique et n’indiquent aucune violation de la règle 439 ou toute autre négligence.

[55] Lorsqu’ils sont arrivés au travail le 14 juin 2017, ces deux membres d’équipe étaient « aptes au travail » et bien reposés. Rien ne les empêchait de s’acquitter correctement de leurs tâches opérationnelles, et il n’y a pas de preuve au dossier que l’affectation des équipes ait constitué un problème, ou que les employés aient été incités par la direction, par exemple, à atteindre les objectifs de « respect des horaires » de la compagnie. Sur ce dernier point, notons le train GPS-14 était un train de ballast non rémunérateur, de sorte que le respect des délais de livraison aux n’était pas un enjeu en soi. Les dossiers de formation et de recyclage de ces employés témoignent d’un solide programme de formation entrepris systématiquement. Tous ces éléments indiquent que le CP a fait preuve de diligence raisonnable.

F. Conclusion

[56] Somme toute, je considère que le CP a exercé une diligence raisonnable en créant, puis en assurant la mise en oeuvre d’un système de sécurité de l’exploitation particulièrement destiné à l’équipe en cause dans cette affaire, et qui visait à assurer la conformité aux règles d’exploitation, y compris le respect de la règle 439. La formation et le recyclage professionnel de ces deux membres d’équipe, les contrôles, l’affectation des équipes, la surveillance sur le terrain des équipes d’exploitation par le CP et un programme disciplinaire amélioré, dans l’ensemble, conduisent à cette conclusion.

[57] Le procès-verbal en date du 11 avril 2018, tel que modifié, imposant une sanction pécuniaire de 64 600 $ est par la présente annulé. Par conséquent, il est inutile d’apprécier le bien-fondé du montant de la sanction pécuniaire qui aurait été autrement imposée.

IV. DÉCISION

[58] Le procès-verbal en date du 11 avril 2018, tel que modifié, délivré à la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, lequel faisait état d’une violation présumée de l’article 17.2 de la Loi sur la sécurité ferroviaire découlant du non-respect de la règle 439 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, et incluait une sanction pécuniaire de 64 600 $, est annulé.

Le 15 novembre 2021

(Original signé)

George « Ron » Ashley

Conseiller

Représentants des parties

Pour le ministre :

Micheline Sabourin

Pour la requérante :

Alan Blair
Kunal K. Nand



[1] Ce procès-verbal modifié remplaçait le procès-verbal original datant du 8 mars 2018, lequel situait erronément l’action “ près de Brockville (Ontario) »

[2] La disposition applicable est le paragraphe 2(1) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires relatives à la sécurité ferroviaire puisque le texte désigné est l’article 17.2 de la LSF. Le procès-verbal référait faussement au paragraphe 3.1b) (qui traite des textes désignés que constituent les arrêtés et les règles).

[3] Les pièces A-1 et A-2 indiquent toutes deux que l’enquête a été complétée le 22 juin 2016; toutefois, il a été reconnu à l’audience en révision qu’il s’agissait bien du 22 juin 2017.

[4] Y compris : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1119; Cando Rail Services Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), 2019 TATCF 3 (appel); Ville d’Ottawa exerçant son activité sous le nom de Capital Railway c. Canada (Ministre des Transports), 2020 TATCF 20 (appel); Chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Ministre des Transports), 2019 TATCF 35 (appel)

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