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Référence : Horia Sucuturdean et Shuang Li c. Canada (Ministre des Transports), 2022 TATCF 56 (révision)

No de dossier du TATC : Q-4652-33 et Q-4653-33

Secteur : aéronautique

ENTRE :

Horia Sucuturdean et Shuang Li, requérants

-et-

Canada (Ministre des Transports), intimé

Audience :

Par vidéoconférence le 17 mai 2022

Affaire entendue par :

Franco Pietracupa, conseiller

Décision rendue le :

Le 7 novembre 2022

DÉCISION ET MOTIFS À LA SUITE D’UNE RÉVISION

Arrêt : Le ministre des Transports n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les requérants ont contrevenu au paragraphe 605.94(1) du Règlement de l’aviation canadien. Par conséquent, les sanctions pécuniaires imposées aux requérants par le ministre sont annulées.


I. HISTORIQUE

[1] La présente révision porte sur les dossiers nos Q-4652-33 (Horia Sucuturdean) et Q-4653-33 (Shuang Li). À la demande des parties, le Tribunal d’appel des transports du Canada (Tribunal) a entendu les deux dossiers lors d’une même audience en révision, car les événements en cause et les questions en litige dans les deux dossiers étaient liés chronologiquement et en lien avec les infractions alléguées. Toutefois, le Tribunal analysera chaque dossier séparément et rendra des décisions distinctes, car les contraventions alléguées à l’endroit des requérants diffèrent.

[2] Le 21 août 2020, conformément à l’article 7.7 de la Loi sur l’aéronautique (Loi), le ministre des Transports (ministre) a délivré à M. Li un avis d’amende pour contravention (avis) d’un montant de 750 $. L’annexe A de l’avis envoyé à M. Li se lisait comme suit :

[traduction]

Le ou vers le 1er septembre 2019, près de l’aéroport de Baie-Comeau (CYBC), en tant que commandant de bord de l’aéronef de type Cessna 172N, immatriculé C-GIXH, vous avez omis d’inscrire, dans le carnet de route dudit aéronef, en conformité avec l’annexe I de la partie VI du Règlement de l’aviation canadien (RAC), les détails d’une défectuosité devenue apparente pendant les opérations aériennes; plus précisément, vous avez omis de consigner le problème de moteur devenu apparent lors d’un vol de Charlevoix (CYML) à Baie-Comeau (CYBC) le plus tôt possible, mais au plus tard avant le prochain vol, contrevenant ainsi au paragraphe 605.94 (1) du RAC.

[3] Le 21 août 2020, le ministre a délivré un avis incluant une amende de 750 $ à M. Sucuturdean, conformément à l’article 7.7 de la Loi sur l’aéronautique. L’annexe A de l’avis envoyé à M. Sucuturdean indiquait que :

Le ou vers le 1er septembre 2019, en tant que commandant de bord de l’aéronef de type Cessna 172N, immatriculé C-GIXH, vous avez omis d’inscrire, dans le carnet de route dudit aéronef, les détails concernant une défectuosité du moteur devenue apparente après le décollage de l’aéroport de Baie-Comeau (CYBC) et le fait que vous avez effectué un atterrissage d’urgence aux environs de Pointe-aux-Outardes; vous avez également omis d’inscrire les détails du « run up » de l’aéronef effectué en consultation avec du personnel de maintenance préalable à ce vol, contrevenant ainsi au paragraphe 605.94 (1) du Règlement de l’aviation canadien.

II. QUESTION PRÉLIMINAIRE

[4] Le 16 mai 2022, la représentante des requérants a déposé une requête auprès du Tribunal demandant l’annulation des avis d’amende pour contravention des deux requérants. En somme, la représentante des requérants a souligné que les avis étaient inexacts et que, dans le cas de M. Li, il manquait de détails concernant la défectuosité précise du moteur soulevée par le ministre. Dans le dossier de M. Sucuturdean, la représentante des requérants a en outre remis en question la position du ministre quant à savoir qui était réellement le commandant de bord lors de la panne de moteur, et donc, qui aurait eu en principe la responsabilité de faire les inscriptions dans le carnet de route.

[5] Le représentant du ministre a répondu en soumettant des copies des versions françaises et anglaises du paragraphe 605.94(1) et de l’annexe citée à l’alinéa 604.127i) du Règlement de l’aviation canadien (RAC), faisant valoir que les avis étaient exacts et démontraient les contraventions commises par les deux requérants, conformément aux exigences du paragraphe 7.7(2) de la Loi sur l’aéronautique.

[6] Après avoir examiné les observations écrites des parties relativement à la requête préliminaire, j’ai décidé de rejeter la requête en irrecevabilité des requérants. Les avis d’amende pour contravention que le ministre a délivrés aux requérants sont conformes à la norme énoncée aux alinéas 7.7(2)a) et b) de la Loi sur l’aéronautique.

III. ANALYSE

A. Cadre juridique

[7] En vertu du paragraphe 7.7(1) de la Loi sur l’aéronautique :

7.7 (1) Le ministre, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a contrevenu à un texte désigné, peut décider de déterminer le montant de l’amende à payer, auquel cas il lui expédie, par signification à personne ou par courrier recommandé ou certifié à sa dernière adresse connue, un avis l’informant de la décision.

[8] Le paragraphe 605.94(1) du RAC se lit comme suit :

Exigences relatives aux carnets de route

605.94 (1) Les renseignements indiqués à la colonne I de l’annexe I de la présente section doivent être inscrits dans le carnet de route au moment indiqué à la colonne II et par la personne responsable de l’inscription indiquée à la colonne III.

B. Questions en litige

[9] Le Tribunal doit déterminer si le ministre était en droit d’imposer une sanction pécuniaire à M. Li pour avoir contrevenu au paragraphe 605.94(1) du RAC.

[10] Le Tribunal doit en outre décider si le ministre avait raison d’imposer une sanction pécuniaire à M. Sucuturdean pour avoir enfreint le paragraphe 605.94(1) du RAC.

C. Résumé des événements

[11] Il ressort nettement de la preuve produite par le ministre que les vols du 1er septembre 2019 ont été effectués légalement par des pilotes titulaires d’une licence, bien que chacun d’entre eux ait effectué des étapes de vol particulières dans des rôles particuliers (voir le tableau ci-dessous au paragraphe 16).

[12] Deux pilotes désignés détenteurs d’une licence étaient à bord. M. Li a piloté l’appareil lors des trois premières étapes, et M. Junyi Wang était le pilote pour la dernière étape. Tous deux ont agi à titre de commandants de bord lors de leurs étapes de vol respectives.

[13] Pour ce qui est de M. Sucuturdean, le ministre fait allusion au fait qu’il était le commandant de bord. Cependant, la personne qui devait faire l’inscription dans le carnet de route au cours de la dernière étape de vol est M. Wang, puisque c’est lui qui était le véritable commandant de bord.

[14] Messieurs Li et Wang accumulaient alors des heures de vol en vue de l’obtention de leur licence de pilote professionnel respective, agissant donc légalement en tant que commandants de bord. M. Sucuturdean était quant à lui l’instructeur surveillant de chaque commandant de bord.

[15] Le ministre a fait entendre M. Patrick Trépanier, un inspecteur de Transports Canada (TC). Il importe de souligner qu’une large part des allégations des deux requérants est tirée de l’enregistrement audio d’un appel téléphonique que M. Trépanier a passé à M. Sucuturdean (pièce 15) et de renseignements que TC a obtenu par l’entremise de Cargair-Max Aviation Ltd (y compris, mais sans s’y limiter, les pièces 4, 5, 12 et 13). D’après les éléments de preuve soumis par le ministre, jamais M. Wang ou M. Li n’ont été interrogés ou questionnés au cours de l’enquête.

[16] Il serait opportun de schématiser l’itinéraire et les événements ayant précédé le problème du moteur, le tout ayant été produit à partir du carnet de route et de la preuve au dossier (pièces 4 et 14), et de clarifier les rôles des trois passagers présents à bord de l’aéronef Cessna 172N immatriculé C-GIXH, le 1er septembre 2019. Le tableau ci-dessous résume ces informations :

Étape no

Itinéraire

Rôles

Temps de vol [1]

Événements liés au moteur

1

CYHU – CYQB

Saint-Hubert – Québec

Commandant de bord : Shuang Li

Instructeur surveillant (Cargair) : Horia Sucuturdean

Passager : Junyi Wang

1,4 heure

Aucune inscription.

2

CYQB – CYML

Québec – Charlevoix

Commandant de bord : Shuang Li

Instructeur surveillant (Cargair) : Horia Sucuturdean

Passager : Junyi Wang

1,0 heure

Aucune inscription.

3

CYML – CYBC

Charlevoix – Baie-Comeau

Commandant de bord : Shuang Li

Instructeur surveillant (Cargair) : Horia Sucuturdean

Passager : Junyi Wang

1,3 heure

Aucune inscription. Régime moteur instable selon la pièce 15.

4

CYBC – ---

Baie-Comeau – ---

Commandant de bord : Junyi Wang

Instructeur surveillant (Cargair) : Horia Sucuturdean

Passager : Shuang Li

0,3 heure

Panne de moteur consignée par Junyi Wang

D. Shuang Li (dossier no Q-4653-33)

[17] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si c’est à bon droit que le ministre a imposé une sanction pécuniaire en vertu du paragraphe 7.7(1) de la Loi sur l’aéronautique et, plus précisément, si le ministre a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que M. Li a contrevenu au paragraphe 605.94(1) du RAC en omettant d’inscrire dans le carnet de route de l’aéronef Cessna 172N, immatriculé C-GIXH, les détails relatifs à la défectuosité du moteur devenue apparente pendant le vol; et plus particulièrement, que M. Li n’a pas consigné dès que possible, mais au plus tard avant le vol suivant, le problème de moteur qui est devenu apparent pendant le vol de Charlevoix à Baie-Comeau.

[18] Le ministre a soutenu que M. Li, agissant alors à titre de commandant de bord, a contrevenu au paragraphe 605.94(1) en ce qui a trait à l’annexe 1 de la partie VI, pour avoir omis d’inscrire dans le carnet de route de l’aéronef C-GIXH les détails des défectuosités du moteur détectées au cours de l’étape no 3. Le ministre a spécifiquement fait référence aux omissions suivantes tirées des colonnes I, II, et III des articles 6 et 9 de l’annexe 1 :

 

Colonne I

Colonne II

Colonne III

Article

Détails à inscrire

Moment de l’inscription

Personne responsable de l’inscription

6

Détails sur toute condition d’utilisation anormale qu’a subie l’aéronef

Le plus tôt possible après que survient la condition d’utilisation anormale, mais au plus tard avant le prochain vol

Le commandant de bord de l’aéronef ou, lorsque la condition d’utilisation anormale survient durant la maintenance, l’exploitant de l’aéronef au moment où survient la condition

[…]

9

Détails sur toute défectuosité de pièce ou de l’équipement de l’aéronef qui devient apparente durant des opérations aériennes

Le plus tôt possible après la constatation de la défectuosité, mais au plus tard avant le prochain vol

Le commandant de bord de l’aéronef

[19] Le ministre et la représentante de M. Li conviennent que la date de l’événement en cause en l’espèce est le 1er septembre 2019, et que M. Li était le commandant de bord. Il reste au Tribunal à déterminer si le requérant a omis de consigner dans le carnet de route de l’aéronef les détails d’une défectuosité devenue apparente lors de l’étape no 3, et ce, le plus tôt possible, conformément à l’annexe 1 de la partie VI.

[20] Le ministre a fait entendre son seul témoin, M. Trépanier, qui a expliqué que le commandant de bord n’avait pas inscrit dans le carnet de route de l’aéronef les détails relatifs à une défectuosité apparue durant l’étape no 3. Lors d’une conversation téléphonique entre M. Trépanier et M. Sucuturdean (pièce 15), il avait été question d’un régime moteur instable, une défectuosité détectée au sol à l’aéroport de Baie-Comeau.

[21] Le moment précis où est survenue cette anomalie concernant un régime moteur qui n’était « pas stable » (terme utilisé par M. Sucuturdean) demeure difficile à identifier, car le témoignage du témoin du ministre était contradictoire. Deux scénarios ont été avancés quant à l’origine du régime moteur instable :

  1. Après l’atterrissage, le roulage et l’arrêt du moteur à Baie-Comeau
  2. Après le démarrage du moteur et le roulage en vue du décollage à Baie-Comeau

[22] Je comprends de toute manière qu’à un moment donné, à Baie-Comeau, le régime moteur est devenu instable. Si le problème de moteur est apparu au cours du scénario A, le commandant de bord serait M. Li. Si la défectuosité s’est manifestée durant le scénario B, on se retrouve face à des opinions divergentes; le ministre alléguant que le commandant de bord serait M. Sucuturdean alors que la représentante des requérants soutient que ce serait M. Wang. Je reviendrai sur cette question.

[23] Si l’on se fonde sur l’enregistrement audio de la conversation téléphonique entre M. Trépanier et M. Sucuturdean, il semblerait que le problème initial relatif à l’instabilité du régime moteur soit survenu après l’atterrissage, et je conviens que dans ce cas M. Li serait le commandant de bord.

[24] La question primordiale à trancher est de savoir si le requérant a contrevenu au paragraphe 605.94(1) du RAC, c’est-à-dire si M. Li a omis de consigner la défectuosité du moteur qui est devenue apparente après l’atterrissage à Baie-Comeau, puis s’il a omis d’inscrire cette défectuosité le plus tôt possible.

[25] Comme l’a suggéré M. Trépanier, le problème de régime moteur qu’avait décrit M. Sucuturdean lors de la conversation téléphonique inciterait la plupart des observateurs à croire que le problème aurait été causé par le givrage du carburateur. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une cause probable définitive, le ministre n’a présenté aucune preuve pour contredire cette hypothèse. En fait, le témoin du ministre, celui des requérants (M. Philippe Ango) et l’enregistrement audio déposé en preuve semblent tous indiquer que le régime moteur fluctuant pourrait être lié au givrage du carburateur.

[26] La publication TP 14371 – Manuel d’information aéronautique de TC offre l’explication suivante concernant le givrage du carburateur :

Dans la plupart des accidents où le givrage du carburateur est en cause, le pilote n’a pas bien compris le mécanisme de la formation du givre et ce qui se passe lorsqu’il met en marche le réchauffage du carburateur. Par ailleurs, il lui est difficile de comprendre les mesures correctives s’il ne connaît pas le processus de givrage du carburateur. On trouvera une description de ce processus dans la plupart des bons ouvrages aéronautiques de référence et tout mécanicien travaillant sur le type d’aéronef peut expliquer le système de réchauffage du carburateur. Les explications du mécanicien sont particulièrement utiles à cause des différences entre les divers appareils. Le pilote doit apprendre à accepter de voir son moteur tourner de façon irrégulière pendant une minute environ lorsque le réchauffeur fait fondre la glace dont les morceaux se détachent et passent dans le moteur.

[27] TC donne plus d’informations sur le givrage du carburateur dans sa publication TP 2228-38 – Un instant : Givrage du carburateur :

Le tableau suivant décrit les différentes température et humidité relative qui peuvent produire le givrage du carburateur.

Tableau - Givrage du carburateur

[28] D’après l’ensemble de la preuve au dossier, ainsi que le témoignage du technicien d’entretien d’aéronef principal des requérants, M. Ango, la probabilité que l’équipage ait été soumis à ce phénomène environnemental externe semble la plus probable. Le ministre n’a présenté aucune autre preuve pouvant possiblement expliquer le régime moteur fluctuant.

[29] La question est alors de savoir s’il s’agit là d’une condition d’utilisation anormale qu’a subie l’aéronef, au sens de la colonne I de l’article 6. Je considère que le fait de faire face à des conditions de givrage du carburateur fait partie de l’environnement opérationnel de vol si certaines conditions météorologiques sont présentes. Ce phénomène ne constitue pas un problème de moteur anormal.

[30] Il faut en outre répondre à la question suivante : le givrage du carburateur correspond-il à la définition d’une défectuosité dont il est fait mention à la colonne I de l’article 9? En l’espèce, la preuve du ministre repose principalement sur le témoignage de M. Trépanier. Bien que crédible, il m’est difficile de me ranger derrière l’interprétation que fait le ministre de l’expression « défectuosité du moteur ».

[31] Le givrage du carburateur est une condition de vol environnementale externe courante et connue qui, selon le tableau du paragraphe 27, peut se produire dans plusieurs domaines de vol. On remédie au problème en actionnant le réchauffage du carburateur sur les moteurs à carburateur normal du Cessna 172. Ce n’est pas différent d’un aéronef qui subit des conditions de givrage, de turbulence ou de précipitations pendant les opérations aériennes.

[32] Compte tenu de l’ensemble de la preuve dont je dispose, cette explication plausible quant au givrage du carburateur ne satisferait pas aux normes ou aux exigences de la colonne I de l’article 6 ou de l’article 9 de l’annexe I. Le givrage du carburateur n’est ni une condition d’utilisation anormale ni une défectuosité du moteur. Il ne s’agit pas d’un détail, au sens des articles 6 ou 9, qui doit être inscrit dans le carnet de route en vertu du paragraphe 605.94(1) du RAC. Le ministre n’a pas présenté de preuve voulant que l’aéronef C-GIXH ait eu une défectuosité connue ou ait subi une condition d’utilisation anormale, si ce n’est un problème de givrage du carburateur, comme l’a laissé entendre le témoin du ministre.

[33] Il incombe au ministre de prouver que M. Li a contrevenu au paragraphe 605.94(1). La seule preuve présentée par le ministre à l’égard d’un problème de moteur devenu apparent pendant le vol de Charlevoix à Baie-Comeau est celle d’un possible givrage du carburateur. Je conclus donc respectueusement que, selon la prépondérance des probabilités, M. Li n’a pas contrevenu au paragraphe 605.94(1) du RAC.

E. Horia Sucuturdean (dossier no Q-4652-33)

[34] La question dont est saisi le Tribunal est celle de savoir si, en l’espèce, le ministre avait raison d’imposer une sanction pécuniaire en vertu du paragraphe 7.7(1) de la Loi sur l’aéronautique. Plus précisément, le ministre a-t-il prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que M. Sucuturdean, à titre de commandant de bord, a contrevenu au paragraphe 605.94(1) du RAC en omettant de consigner dans le carnet de route de l’aéronef Cessna 172N, immatriculé C-GIXH, les détails relatifs à une défectuosité du moteur devenue apparente après le décollage à l’aéroport de Baie-Comeau, et un atterrissage d’urgence dans les environs de Pointe-aux-Outardes, et en outre en omettant de consigner les détails de l’essai au point fixe effectué en consultation avec le personnel de maintenance avant vol.

[35] M. Sucuturdean, un employé de Cargair, était à bord de l’aéronef le 1er septembre 2019 pour y jouer le rôle d’un pilote instructeur surveillant. Autant la représentante des requérants que M. Sucuturdean lui-même, celui-ci dans l’enregistrement audio, ont soutenu qu’il occupait le siège de droite de l’appareil Cessna 172 et assurait un rôle de supervision à l’égard des deux pilotes qui étaient à compléter leurs heures de vol pour l’obtention de leur licence de pilote professionnel respective. Messieurs Li et Wang étaient tous deux qualifiés pour agir en tant que commandant de bord lors leurs étapes de vol respectives. Tous les éléments de preuve, y compris les inscriptions dans le carnet de route, démontrent que c’est le rôle qu’ils ont rempli.

[36] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur l’aéronautique définit le commandant de bord comme étant le pilote responsable, pendant le temps de vol, de l’utilisation et de la sécurité d’un aéronef. Selon l’ensemble des témoignages entendus, les étapes de vol réalisées ce jour-là ont été effectuées par M. Li ou M. Wang, et le Tribunal est d’avis que ces deux pilotes auraient agi à titre de commandants de bord le 1er septembre 2019.

[37] Quant à lui, M. Sucuturdean jouait le rôle de pilote surveillant passager responsable de la sécurité, et il occupait le siège de droite. Le cas échéant, M. Li ou M. Wang auraient eu la responsabilité de faire toute inscription dans le carnet de route à bord du C-GIXH. Conséquemment, M. Sucuturdean n’était pas le commandant de bord et n’était donc pas responsable de la consignation des détails en vertu du paragraphe 605.94(1) du RAC.

[38] Le ministre attribue essentiellement le rôle de commandant de bord à M. Sucuturdean en fonction du fait qu’il a pris le contrôle de l’aéronef lorsqu’il est devenu apparent qu’une panne de moteur majeure était survenue. Je ne suis pas convaincu que cela suffit. Tant les témoignages entendus que les éléments soumis en preuve par les deux parties (pièce 12) indiquent positivement que M. Li et M. Wang ont chacun été commandant de bord ce jour-là, lors de leurs étapes de vol respectives. Voilà qui serait logique puisqu’ils sont dûment autorisés à agir en tant que tel.

[39] Les deux commandants de bord devaient effectuer des heures de vol afin d’obtenir leur licence de pilote professionnel, et pour ce faire, ils devaient voler à titre de commandants de bord conformément à la norme 421.30(4)a) du RAC, qui dispose qu’un demandeur de licence doit avoir complété au moins 100 heures de vol en qualité de commandant de bord.

[40] L’aéronef Cessna 172 est un avion classé monopilote/monomoteur. Bien que trois pilotes étaient à bord ce jour-là, un seul, lorsqu’il est désigné, peut agir en tant que commandant de bord. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que M. Sucuturdean a pris le contrôle de l’aéronef le 1er septembre 2019, près de Pointe-aux-Outardes. En tant que pilote instructeur de vol professionnel, il aurait été le pilote le plus expérimenté à bord pour gérer l’urgence relative à la panne de moteur. Je n’en attendais pas moins de lui. Mais cela ne fait pas automatiquement en sorte qu’il était le commandant de bord. C’est M. Wang qui était commandant de bord durant cette étape.

M. Sucuturdean a-t-il omis d’inscrire dans le carnet de route la défectuosité du moteur, l’atterrissage d’urgence et l’essai au point fixe de l’aéronef?

[41] La panne de moteur a été dûment consignée dans le carnet de route de l’aéronef (pièce 4) par le commandant de bord, M. Wang, ce dernier satisfaisant ainsi aux exigences du paragraphe 605.94(1) du RAC.

[42] Comme l’a lui-même suggéré le témoin du ministre, les fluctuations du régime moteur peuvent être attribuables à de multiples causes, y compris, mais sans y être limité, le givrage du carburateur. Dans l’enregistrement audio de son appel téléphonique avec M. Trépanier, on entend M. Sucuturdean se dire d’accord avec cette hypothèse. Il indique clairement que l’avion avait de la difficulté à tenir les 1 000 tr/min, soit le régime moteur normal lors du roulage.

[43] La représentante des requérants a fait témoigner M. Philippe Ango, directeur de la maintenance chez Cargair. M. Ango a lui aussi expliqué que les fluctuations momentanées du régime moteur pouvaient être causées par différentes conditions environnementales externes, y compris, mais sans s’y limiter, la condensation, la présence d’eau dans le circuit de carburant ou celle de débris passant dans le moteur.

[44] Dans l’enregistrement audio, M. Sucuturdean explique que le problème l’avait incité à communiquer avec un mécanicien de l’entreprise afin que l’essai au point fixe standard soit effectué en tandem. M. Ango a déclaré qu’il avait participé à l’essai au point fixe en compagnie du requérant, à l’aide du logiciel FaceTime.

[45] Il est essentiel de comprendre qu’un essai au point fixe est une vérification normale que les pilotes effectuent avant le décollage pour s’assurer que l’aéronef, et en particulier le moteur, est en parfait état de fonctionnement.

[46] À mon avis, il est clair que non seulement il y avait deux pilotes qualifiés à bord pendant l’essai au point fixe, soit messieurs Li et Wang, mais que M. Sucuturdean, accompagné de M. Ango via FaceTime, ont effectué l’entièreté de l’essai au point fixe et ont constaté que le moteur était en parfait état de fonctionnement. Selon cette liste de vérification, il ne semble pas y avoir eu de défectuosité ou d’anomalie du moteur devant être consignée dans le carnet de route.

[47] À moins qu’il révèle une anomalie apparente, un essai au point fixe ne nécessite pas d’inscription dans le carnet de route. Il n’y a aucune preuve tendant à démontrer que l’essai au point fixe a été effectué de manière inappropriée. Je conviens que normalement le mécanicien de l’entreprise n’observe pas l’essai au point fixe sur FaceTime. Le fait de demander à M. Ango d’être en mesure d’observer et de donner un coup de main pendant l’essai est louable, mais ne constitue pas en soi une anomalie ou un motif d’inscription dans le carnet de route.

[48] Les éléments de preuve soumis par le ministre et le témoignage de M. Trépanier établissent un lien possible entre le fait qu’un problème de moteur a été détecté lors de l’étape de vol précédente et l’atterrissage d’urgence qui a eu lieu après le décollage de Baie-Comeau. Si l’on se fonde sur les constatations, l’enregistrement audio et le témoignage du témoin des requérants, cela semble improbable. L’essai au point fixe est la liste de vérification normale permettant de s’assurer que le moteur est pleinement fonctionnel et qu’il n’y a aucune anomalie ou défectuosité visible, sonore ou apparente. La vérification n’a permis de détecter ni anomalie ni défectuosité.

[49] Considérant la preuve présentée par les parties, il m’apparaît évident que le problème de régime moteur fluctuant détecté par les pilotes à Baie-Comeau n’a rien à voir la description et les données qui m’ont été soumises quant aux caractéristiques réelles de la panne de moteur et de l’atterrissage d’urgence survenus dans la région de Pointe-aux-Outardes. M. Sucuturdean décrit comme suit les moments précédant la panne moteur :

  • une baisse soudaine de puissance moteur de 2 500 tr/min à 1 600 tr/min
  • de violentes vibrations
  • un gros bruit résonnait du moteur

[50] M. Ango a déclaré que son enquête de suivi avait révélé que la panne était attribuable à une défaillance de la bielle de poussée et du culbuteur du moteur. Subséquemment, le motoriste Lycoming Corporation a publié un bulletin de service obligatoire en janvier 2020, lequel traitait d’un possible défaut technique de certains moteurs comme entre autres celui dont est doté l’aéronef Cessna 172N immatriculé C-GIXH. Lycoming a spécifiquement demandé à tous les exploitants concernés d’inspecter les culbuteurs afin de détecter d’éventuels dommages et fissures dans la bielle de poussée et le culbuteur.

[51] Le bulletin de service obligatoire (pièce 14) de Lycoming Corporation précise que, jusqu’à ce que l’on puisse déterminer la cause fondamentale du problème et les mesures correctives à prendre, les inspections suivantes devraient être effectuées à intervalles de 50 heures, et toute fissure détectée devrait être signalée à Lycoming :

[traduction]

Procédure d’inspection

1. Retirez les culbuteurs, les bielles de poussée, les tubes-poussoir, les joints d’étanchéité des tubes-poussoir et les poussoirs hydrauliques de soupape selon les instructions du Lycoming 76Series Engines Overhaul Manual (60294-9). Jetez les joints d’étanchéité des tubes-poussoir et les écrous autofreinés.

2. Enlevez l’huile résiduelle sur le culbuteur.

3. Utilisez une loupe grossissant 10 fois afin d’inspecter la douille de la bielle de poussée et l’extérieur du culbuteur.

[52] J’ai la ferme conviction que le jour fatidique, les pilotes n’auraient pu détecter ou anticiper ce défaut ou vice de fabrication qui a provoqué la publication d’un bulletin de service obligatoire du manufacturier prévoyant une inspection. Selon le témoignage de M. Ango, il aurait été impossible que les pilotes sachent que le culbuteur était endommagé. À mon avis, il est fort improbable qu’on puisse établir un lien entre un régime moteur fluctuant à l’arrivée à Baie-Comeau et une défectuosité de la bielle de poussée et du culbuteur.

[53] En résumé, l’annexe A de l’avis identifie clairement M. Sucuturdean à titre de commandant de bord du C-GIXH le 1er septembre 2019 et précise par ailleurs qu’il aurait dû non seulement inscrire dans le carnet de route la panne de moteur subséquente au décollage de Baie-Comeau, mais aussi les détails de l’essai au point fixe effectué avant ce décollage. En fonction du dossier de la preuve en l’espèce, je conclus que M. Sucuturdean n’était pas le commandant de bord de l’appareil C-GIXH le 1er septembre 2019, et qu’il n’était donc pas tenu de consigner la panne moteur subséquente au décollage, ainsi que l’atterrissage d’urgence effectué près de Pointe-aux-Outardes le 1er septembre 2019. Il m’apparaît en outre indéniable que le commandant de bord n’est pas tenu d’inscrire les détails d’un essai au point fixe dans le carnet de route, à moins qu’il y ait une anomalie ou un problème de moteur apparent.

[54] J’aimerais me joindre au témoin du ministre, M. Trépanier, et, comme on entend celui-ci le faire dans l’enregistrement audio, féliciter M. Sucuturdean à mon tour. En tant que pilote le plus expérimenté ce jour-là, il n’a pas hésité à prendre les commandes lors de la panne soudaine du moteur et a réussi à faire atterrir l’appareil C-GIXH en toute sécurité, sans causer de blessure aux deux autres pilotes, et tout en limitant au minimum les dommages subis par l’avion. Bravo!

IV. DÉCISION

[55] Le ministre des Transports n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les requérants ont contrevenu au paragraphe 605.94(1) du Règlement de l’aviation canadien. Par conséquent, les sanctions pécuniaires imposées aux requérants par le ministre sont annulées.

Le 7 novembre 2022

(Original signé)

Franco Pietracupa

Conseiller

Représentants des parties

Pour le ministre :

Michel Tremblay

Pour les requérants :

Josée Prud’homme

 



[1] Remarque : 0,1 heure équivaut à six minutes.

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